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4. TENTATIVE DE DÉFINITION DE CETTE DIMENSION : UNE ÉTHICOLOGIE DE LA PERSONNE ÉTHICOLOGIE DE LA PERSONNE

4.3.3. Les éthiques postérieures : temps de la praxis

La dernière étape du triple postulat de Ricœur est la légitimité d’un recours de la norme à la visée, dans la perspective d’une sagesse pratique. Cette troisième thèse se base sur l’idée que l’universalité qu’exige la morale nous détache trop de la singularité des situations pratiques et qu’en étant formulées, les normes dans une même situation peuvent être contradictoires dans leur mise en application170. L’élaboration des règles étant rigoureuse, elles se trouvent chacune légitimes à être appliquées dans une situation donnée mais aucune hiérarchie des règles n’est élaborée pour aider à trancher171. L’expression de « tragique de l’action sur le fond d’un conflit de devoir » est utilisée en miroir de la référence théâtral d’Antigone de Sophocle que convoque Ricœur. A nouveau, les trois domaines de l’éthique dans sa dimension métamorale sont objets de l’analyse : estime de soi et

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« Le respect ne constitue à mon avis, qu’un des mobiles susceptibles d’incliner un sujet à « faire son devoir » : Ricœur par cette phrase ne réduit pas les sentiments moraux simple souhait de respecter la règle mais pour autant il fait bien du souhait de respecter la règle une vraie inclinaison personnelle et une intention subjective. Ibid. P 690.

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« Or l’imputabilité peut être tour à tour associée au concept grec de référence raisonnable et au concept kantien d’obligation morale ». Ibid. P 692

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« (…)la légitimité d'un recours de la norme à la visée, lorsque la norme conduit à des conflits pour lesquels il n'est pas d'autre issue qu'une sagesse pratique qui renvoie à ce qui, dans la visée éthique, est le plus attentif à la singularité des situations. » Ricœur Paul. Ethique et morale. Opus cité.

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universalisation, sollicitude et respect et enfin, les différentes acceptions du terme de justice (partie de la discussion que nous n’aborderons pas).

Il ressort de cette analyse, la nécessité d’une sagesse pratique. Cette sagesse pratique,

praxis, se développe dans un domaine d’application bien identifié et dans un contexte défini

(contexte pratique, historique, culturel) de telle sorte que la réflexion post-morale, venant donc après identification des normes, ne peut pas s’appliquer à tous les domaines et dans tous les contextes172. La sagesse pratique requiert bien évidemment de manipuler des règles, des principes normatifs mais leur priorisation sera à réfléchir, à mettre en perspective dans une situation très singulière, c'est-à-dire en étant attentif à ce qui relève de la dimension de l’éthique173. Ainsi au sein de cette sagesse pratique, il est demandé au sujet de faire preuve d’une capacité de « jugement moral en situation ».

Ricœur parle de conviction, dont le risque d’arbitraire est limité justement par ce recours à un registre éthique. Dans la pensée aristotélicienne, cette sagesse pratique prend le nom de prudence, de phronesis174. La prudence est identifiée comme une vertu singulière au sein des autres vertus éthiques. La prudence à laquelle on fait appel trouve une application dans chacun des domaines possibles de la praxis.

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A l’échelon du jugement politique (renvoyant à la sphère des institutions de la visée éthique première), Ricœur écrit : « L'expérience historique montre en effet qu'il n'y a pas de règle immuable pour classer dans un ordre universellement convaincant des revendications aussi estimables que celles de la sécurité, de la liberté, de la légalité, de la solidarité, etc. Seul le débat public, dont l'issue reste aléatoire, peut donner naissance à un certain ordre de priorité. Mais cet ordre ne vaudra que pour un peuple, durant une certaine période de son histoire, sans jamais remporter une conviction irréfutable valable pour tous les hommes et pour tous les temps. ». Ibid.

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« C'est pour faire face à cette situation qu'une sagesse pratique est requise, sagesse liée au jugement moral en situation et pour laquelle la conviction est plus décisive que la règle elle-même. Cette conviction n'est toutefois pas arbitraire, dans la mesure où elle fait recours à des ressources du sens éthique le plus originaire qui ne sont pas passées dans la norme. » Ibid.

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« (…)mais, une fois encore, le recours à la sagesse pratique proche de celle qu'Aristote désignait du terme de phronesis (que l'on a traduit par « prudence »), dont l'Éthique à Nicomaque dit qu'elle est dans l'ordre pratique ce qu'est la sensation singulière dans l’ordre théorique. C’est exactement le cas avec le jugement moral en situation ». Ibid.

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Elle est la capacité à reconnaître la bonne attitude au sein de l’action, d’avoir la juste conviction si l’on reprend les termes antérieurs175. Ainsi différents domaines peuvent nécessiter un jugement moral en situation et Ricœur utilise les exemples des domaines médical et juridique. Chacun de ces domaines d’application va prendre le nom d’éthique postérieure, d’éthique appliquée ou d’éthique régionale. Et la prudence représente la matrice, le point commun à ces différents domaines d’application de l’activité humaine où un jugement pratique se trouve nécessaire176. Ces éthiques postérieures ont pour point commun de nécessiter le passage des règles formulées à la mise en pratique dans une situation donnée. Ainsi, concernant la décision médicale, cette dernière s’articule autour de bases déontologiques, scientifiques et administratives très précises, et doit aboutir à une prescription médicale concrète : la jonction entre ce cadre normatif et l’acte issu de la décision est le jugement pratique médicale. Ricœur parle de « phronésis médicale ». La présence du cadre normatif, des règles prescriptives strictes et l’impératif d’adapter ce cadre à une situation bien singulière, sont les éléments qui font selon Ricœur l’identité des jugements médicaux et juridiques par le biais de la phronesis177.

Les éthiques postérieures que sont la médecine et le juridique ne sont donc pas qu’une application stricte et froide des règles car celles-ci ne semblent pas être satisfaisantes si elles ne sont pas éclairées par un certain retour à la visée éthique178. Sans discréditer la règle, Ricœur démontre que la complexité de la situation concrète impose un recours à la visée initiale lorsque la règle ne semble pas répondre pleinement et de manière adéquate à l’impératif du « faire » qu’impose la pratique. Et chacun de ces domaines postérieurs va venir privilégier une des dimensions du souhait, de l’aspiration première de l’éthique antérieure. L’éthique médicale, éthique régionale est un domaine où la notion de sollicitude

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« (…) à part des vertus qu’il (Aristote) appelle éthiques, une vertu intellectuelle, la phronesis, qui est devenue la prudence des Latins, et qu’on peut tenir pour la matrice des éthiques postérieures. Elle consiste en effet dans une capacité, l’aptitude à discerner la droite règle, l’orthos logos, dans les situations difficiles de l’action ». Ricœur Paul. Ethique : de la morale, à l’éthique et aux éthiques. Article cité. P 693.

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« Chacune de ces éthiques appliquées a ses propres règles, mais leur parenté phronétique, (…) préserve entre elles une analogie formelle remarquable au niveau de la formation du jugement et de la prise de la décision ». Ibid P 693.

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« Mais comme dans le jugement médical, l’enjeu est l’application d’une règle juridique à un cas concret, le litige en examen, ».Ibid. P 693.

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« (…) ces ressemblances illustrent le transfert de l’éthique antérieure, plus fondamentale que la norme, en direction des éthiques appliquées qui excèdent les ressources de la norme ». Ibid. P 693.

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prédomine. La sollicitude prenant alors l’aspect de la nécessité de secourir une personne en danger, en l’occurrence du fait de la maladie. La sollicitude n’est pas appliquée sans regarder le cadre normatif, mais au contraire, l’application des règles et la poursuite de la visée de sollicitude donne à la visée de sollicitude une occasion de manifestation. Et au travers de l’éthique appliquée qu’est le juridique, c’est le souhait premier de vivre dans des institutions justes qui trouve « visibilité et lisibilité » dans la parole que prononce le juge179.

C’est pour cette raison que Ricœur parle bien de l’éthique antérieure qui manifeste de cette aspiration première de la bonne vie, et des éthiques appliquées, qui chacune nécessitent la mise en œuvre de la phronesis afin de transférer l’impératif de la règle à la singularité de la situation180. Les éthiques postérieures sont une occasion d’insertion de la visée de la vie bonne, dans l’application des règles et normes établies par la morale181.

Inspiré par l’article de Svandra, nous proposons un schéma explicatif182. Cette illustration permet de mettre en lumière l’interaction entre morale et éthique. Si l’éthique antérieure revêt un aspect de primordialité temporelle, la morale chez Ricœur occupe la place centrale. Car c’est autour de la morale que s’articule la double acception du terme éthique (l’antérieure et les postérieures). La morale en tant que structure transitive permet à la visée de la vie bonne de l’éthique antérieure, une mise en pratique au travers de l’activité des éthiques postérieures183.

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« Si l’éthique médicale s’autorise du second terme de la séquence, l’éthique judiciaire trouve dans le vœu de vivre dans des institutions justes la requête qui relie l’ensemble des institutions judiciaires à l’idée de vie bonne ». Ibid. P 693.

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« (… nous désignons aussi) par éthique, (…) des dispositifs pratiques invitant à mettre le mot éthique au pluriel et à accompagner le terme d’un complément comme nous parlons d’éthique médicale, d’éthique juridique, d’éthique des affaires,… ». Ibid. P 689.

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« (…) la seule façon de prendre possession de l’antérieur des normes que vise l’éthique antérieure, c’est d’en faire paraître les contenus au plan de la sagesse pratique, qui n’est autre que celui de l’éthique postérieure ». Ibid. P 689.

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Svandra Philippe. Repenser l’éthique avec Paul Ricœur. Le soin : entre responsabilité, sollicitude et justice. Article cité.

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« (…) on peut tenir la moralité pour le plan de référence par rapport auquel se définissent de part et d’autre une éthique fondamentale qui lui serait antérieure et des éthiques appliquées qui lui seraient postérieures. D’un autre côté, on peut dire que la morale, dans son déploiement des normes privées, juridiques, politiques, constitue la structure de transition qui guide le transfert de l’éthique fondamentale en direction des éthiques appliquées qui lui donnent visibilité et lisibilité au plan de la praxis ». Ricœur Paul. Ethique : de la morale, à l’éthique et aux éthiques. Article cité. P 694.

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4.3.4. Points essentiels et proposition d’extension de la démonstration