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Chapitre II. Le renouvellement du programme : développement de la stratégie de l'exposition thématique développement de la stratégie de l'exposition thématique

A. Les États-Unis : un melting pot artistique

Le MoMA a été créé à New York en 1929, pendant la Grande Dépression, dans le but de présenter au public l'art moderne à travers les grands maîtres européens

et américains depuis Gauguin jusqu'à nos jours. Le MoMA a été alors « le laboratoire d'étude des diverses manières dont la modernité se manifeste dans les arts visuels »108. À partir de la même année, le MoMA a ainsi permis la promotion d'œuvres modernes et la mise en place des aspects pluridisciplinaires dans l'histoire de l'art. En dehors des

106  Germain Viatte, Le Centre Pompidou, Les année Beaubourg, Gallimard, 2007, p.11.

107 MoMA Highlights: 350 œuvres du Museum of Modern Art New York, traduit de l'anglais (États-Unis)

par Christine Monnatte ; sous la resp. de Harriet Schoenholz Bee et Cassandra Heliczer, 2005, p.19. 108 Ibid., p.16.

peintures, des sculptures et des œuvres d'art graphique, le MoMA s'est spécialisé dans le design industriel, l'architecture, la photographie et le cinéma.

Dans la même période aux États-Unis, un autre lieu artistique important est le Black Mountain College, fondé en 1933 par John Andrew Rice, professeur de philologie. Cette université érige l'interdisciplinarité de l'art en un lieu de promotion des arts plastiques, des arts scéniques – théâtre, danse, performance, film, enregistrements. Des artistes tels que Josef Albers (peintre), Willem De Kooning (peintre), Robert Rauschenberg (plasticien), John Cage (musicien), Merce Cunningham ( danseur et chorégraphe) jouent un rôle important dans cette période marquante de l’avant-garde artistique américaine.

Le fonctionnement expérimental et pédagogique du Black Mountain College a été mis en relief grâce aux études du précurseur américain John Dewey (1895-1952)109, en particulier dans ses œuvres Démocratie et éducation (1916)110 et Art comme expérience (1934)111

. Depuis le début de XXe siècle, aux États-Unis, les innovations techniques et les développements industriel, scientifique et économique ont favorisé la transformation radicale de la vie quotidienne. Face à un monde en perpétuel changement, la pensée de John Dewey a affecté les rénovations dans les domaines de l'éducation et de la culture. Nous développerons son influence de manière plus détaillée lorsque nous aborderons le chapitre sur les ateliers pédagogiques112

.

Face à cette évolution radicale de l'art et aux hybridations des disciplines artistiques, la pluridisciplinarité s'est formée en vue de proposer une nouvelle vision de l'art moderne au public dans un pays où la notion de mélanges (melting pot) était tout à fait naturelle. Par exemple, une exposition CUBISM AND ABSTRACT ART (1936)

est organisée par le premier directeur du MoMA, Alfred Barr. Il schématise sa réflexion sur l'art moderne par un diagramme113

qui est utilisé comme affiche de l'exposition et illustre aussi la couverture du catalogue de l'exposition. Il s'agit d'une généalogie ou une cartographie pour introduire le Cubisme et l'Art Abstrait, c'est à dire le sujet de son exposition.

109  Voir Partie III. chapitre III. La participation des jeunes à des expériences artistiques, p. 378. 110  John Dewey, Démocratie et éducation, 1916, trad, Gérard Deledalle, Paris, ArmandColin, 1990. 111 John Dewey, Art as Experience, New York, 1934.

112 Voir chapitre III de la troisième Partie de la thèse.

113  Illustration n° 5, la couverture d'un livre sur le cubisme et l'art abstrait, réalisé par le premier directeur du MoMA, Alfred Barr. utilisé dans le catalogue elles@centrepompidou, p. 325.

n° 5 : diagramme qui sert de couverture d'un livre sur le cubisme et l'art abstrait

Sur ce diagramme, nous voyons une succession de termes en « isme » réunissant une diversité foisonnante (Cubisme, Futurisme, Dadaïsme,...) donnant valeur de doctrine à chacun de ces mouvements artistiques du XXe siècle. Alfred Barr a ainsi classifié les différents courants artistiques du XXe siècle, et leur place dans une constante évolution depuis la fin du XIXe siècle. Ce diagramme tient compte non seulement de la chronologie, mais il indique par des flèches l'origine multiple de chaque mouvement et son influence sur les suivants.114

Il indique également les lieux géographiques où se sont développés chacun de ces mouvements. Dans le diagramme, qui se termine en 1935, on peut voir comment ont joué les influences qui ont conduit à un art élargi, que l'on peut

114 Nous aborderons le décloisonnement des disciplines artistiques dans A. Renouveau curatorial et décloisonnement de l'art, p.71.

considérer comme un aboutissement de toutes ces influences. On voit, sur ce diagramme, comment le Cubisme115

, introduit par Braque et Picasso en 1906, a été influencé par l'esthétique de la machine, par le néo-impressionnisme, par les peintres Cézanne et Rousseau et par la sculpture africaine. L'esprit du Cubisme contribue à un bouleversement du regard habituel et introduit une rupture conventionnelle. Puis, le Cubisme s'est divisé et a influencé des mouvements tels que le Futurisme à partir de 1910 à Milan, l'Orphisme116

à partir de 1912 à Paris, le Suprématisme117

à partir de 1913 à Moscou, le Constructivisme à partir de 1914 à Moscou, le Néo-plasticisme à partir de 1916 à Leyde, Berlin et Paris, le Dadaïsme à partir de 1916 à Zurich, Paris, Cologne et Berlin et le Purisme118

à partir de 1918 à Paris. Ces villes étaient devenues les grands centres d'activité avant-gardiste avant la première guerre mondiale.

On voit sur le tableau comment le Bauhaus, une formidable pépinière d'artistes et de designers, a été influencé par l'esthétique de la machine, le néo-plasticisme, l'expressionnisme, le suprématisme et le constructivisme. L’architecture moderne est influencée aussi par le Bauhaus, le Purisme, le DE STIJL et le Neo-plasticisme.

La réflexion d'Alfred Barr sur les rapports entre les différents mouvements artistiques reflète une mission d'exploration de la culture moderne ; mais le fait que Bar soit américain et qu'il appartienne donc au fameux ''melting pot'', civilisation du multiculturalisme et de la diversité, le privilégie particulièrement dans la réflexion sur le cubisme et l'abstraction qu'il présente dans le diagramme servant d'introduction à son exposition. Tous ces mouvements artistiques qui s’influencent les uns les autres, et qui enrichissent l'art au cours de leurs pérégrinations, apparaissent comme un éloge de la circulation des Hommes, des idées, des savoirs et savoir-faire.

Mais Alfred Barr apporte encore plus à l'Art Moderne par sa réflexion sur ce que l'on peut appeler l'Art élargi.

B. L'Art élargi : la transgression de la création artistique et la fusion entre l'art majeur et l'art mineur

Une innovation importante dans l'histoire de l'art a été apportée par le

MoMA à ses tout débuts grâce à son directeur Alfred Barr : l'« abolition de la distinction 115  Henri Matisse qualifia de ''cubiste'', le tableau de George Braque '' Maison à l'Estaque''(1907-1908) 116 Le mouvement artistique s’est développé à partir de 1913, il est liée au cubisme analytique et abstraction. Par exemple, Robert Delaunay, un des fondateurs, présente une série des Fenêtres (1912). 117 Suprématisme est un mouvement d'art abstrait né en Russie au début du XXe siècle. Kasimir Malevitch est le fondateur.

118 Le purisme est le mouvement artistique français à partir de 1918, les artistes Amédée Ozenfant et Le Corbusier sont comme les fondateurs.

entre arts nobles et arts mineurs ; en cela il constitue un modèle pour Beaubourg dans la mesure où, dès sa fondation en novembre 1929, le MoMA a été organisé en plusieurs départements qui dépassent le cadre strict des arts plastiques ; il comporte des départements consacrés à la photographie, à la gravure et au dessin, à l’architecture, au design, aux art décoratifs, à la typographie, au décor de scène et au livre d’artiste »119.

Quelles raisons ont amené le MoMA à faire cette politique d'abolition de la distinction entre arts nobles et arts mineurs, qui a, par la suite, tellement modifié l'organisation des musées et a joué un rôle important en particulier dans les idées fondatrices du Centre Pompidou ?

La première raison, que Bernadette Dufrêne souligne, est qu'Alfred Barr, avait été influencé, à Princeton, par son professeur Charles Rufus Morey120

dont les cours, portant sur le Moyen Age, présentaient « une remarquable synthèse des principaux arts visuels médiévaux conçus comme les témoins d'une époque de la civilisation : architecture, sculpture, fresques et enlumineurs, arts mineurs et artisanaux étaient tous intégrés »121

. Morey s’appuie sur une analyse formelle et examine les similitudes stylistiques entre les manuscrits et les sculptures de la période romane. Alfred Barr fut ainsi frappé par la mise en évidence non seulement de l'art noble, mais aussi des arts considérés comme mineurs.

Cette réflexion sur l’importance des « arts mineurs » conduit à une méthodologie de recherche qui exige d'avoir une vision plus anthropologique des mondes de l'Art et d'élargir les collection dans ce sens. Le Beau a perdu son hégémonie sur les arts122; le regard se déplace vers des objets qui auparavant n'étaient pas dignes d'entrer dans un musée, mais auxquels on accorde désormais une considération nouvelle.

Ainsi, très curieusement, une étude originale sur l'art médiéval a pu avoir une grande influence sur le développement muséologique contemporain et que c'est en remontant à un «état d'avant » que Barr a pu apporter un tel renouveau à l'art.

De ce point de vue, cette politique d’abolition de la distinction entre arts nobles et arts mineurs permet l’élargissement des collections ; elle justifie et fait exister, dans les musées, l’art mineur et cherche à réduire la distance entre le musée et le public. L'introduction des Arts mineurs (appellation qui désigne toutes les formes d'art décoratif: la marqueterie, la céramique, la tapisserie)123

peut être vue comme un premier pas vers une plus grande pluridisciplinarité, qui caractérise aujourd'hui des

119 Bernadette Dufrêne, La création de Beaubourg, pug, 2000, p.72,73.

120 Charles Rufus Morey est historien d'art américain, né 1877, mort 1955, il enseigne les cours à l'Université Prirceton (1924-1945) , son expertise est sur l'art médiéval et l'art chrétien. 121 Bernadette Dufrêne, La création de Beaubourg,op.cit., p.73.

122 Voir la Partie II : l'exposition Big Bang, pp. 118-211.

123 les Arts mineurs ont une fonction décorative : la joaillerie, la céramique, le travail de la tapisserie, du verre et du cristal, l’orfèvrerie ou métal ciselé, les émaux.

musées tels que le Centre Pompidou.

Un nouvel apport important dans le renouvellement des programmes d'exposition, dû aussi à Alfred Barr, résulte de son intérêt pour le Bauhaus, école d'art très important dans le développement de l'art moderne.