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L’intégration du cinéma et de la vidéo dans le discours sur l'art et la

Chapitre II. Le renouvellement du programme : développement de la stratégie de l'exposition thématique développement de la stratégie de l'exposition thématique

D. L’intégration du cinéma et de la vidéo dans le discours sur l'art et la

Michel Leiris dit au sujet de l'art du portrait, « que depuis l'avènement de la photographie, qui s'en charge, la photo est libérée de toute fonction de <reportage> »319 et il précise que « le rôle du peintre n'est pas de représenter, ni même de transposer ce que lui offre la nature : il est de fabriquer, de faire un signe »320.

C'est ce que l'on peut voir si l'on compare la photo de Michel Leiris, aux tableaux qu'ont faits de lui ses amis – on voit bien ici le sens de l'homme pluriel : chacun le représente tel qu'il voit un des aspects de Leiris – mais aussi on peut dire que l'on voit l'artiste pluriel, car chacun des artistes le représente selon sa perception personnelle.

Dans ce croisement particulier entre l'art et la photographie, on assiste à deux phénomènes : d'une part, la photo entre dans le domaine de l'art, où elle est utilisée grâce à des manipulations, des collages (Man Ray, Dali, les surréalistes en général ) et, d'autre part, elle transforme profondément l'art du portrait – en ce qu'il avait de représentatif surtout du physique – et en fait non plus une représentation de l’aspect physique, mais une expression de la personnalité.

D. L’intégration du cinéma et de la vidéo dans le discours sur l'art et la

société : l'exemple de l'exposition Le Mouvement des images – Art, Cinéma

Entre les années 1972 et 2011, le Centre Pompidou a enrichi ses collections en faisant l'acquisition de 1244 films,œuvres de 399 artistes. Dans cette période, il faut remarquer la mise en place de la cinémathèque dans le Centre Pompidou en 1976321

:

316  Voir le livre Michel Leiris, Pierre Vilar, Écrits sur l'art, CNRS édition, 2011, Michel Leiris, grâce à

ces amitiés, avait une très belle collection d'art moderne, que sa femme et lui ont légué au Centre Pompidou.

317 Michel Leiris, Écrits sur l'art, CNRS édition, 2011, p. 484.

318  Entretien avec Bacon, David Sylvester, 1979, VI, p. 195.

319 Michel Leiris, Écrits sur l'art, op. cit.,p.565.

320 Ibid., p.315.

321 Pontus Hulten, directeur du MNAM (1973-1981), la confie à Peter Kubelka, c'est un cinéaste, un plasticien et un musicien autrichien.

n° 22 : Francis Bacon, Po r t ra i t d e M i ch el Leiris, 1976 n° 23 : Francis Bacon, Portrait de Michel Leiris, 1978

sa « mission [est] de constituer une collections de films. Par cet acte fondateur, le film est considéré au même titre que les autres créations artistiques à l'honneur au musée. Pour sa part la BPI enrichit ses ressources d'un fonds de films documentaires accessibles à la consultation »322

.

Comment et pourquoi le Centre Pompidou a-t-il mis en place une exposition thématique Le Mouvement des images – Art, Cinéma sur le cinéma à égalité avec d'autres

disciplines, peinture, sculpture, design et architecture ? Le cinéma était déjà considéré

comme un art, « le septième art»; ce terme avait été inventé en 1911 par l'écrivain et

critique français, d'origine italienne, Ricciotto Canudo, qui l'officialisa en 1923 dans son

Manifeste des Sept Arts : « Nous avons besoin du cinéma pour créer l'art total vers lequel tous les autres, depuis toujours, ont tendu. […] Nous avons marié la Science et l'Art, je veux dire les trouvailles de la Science et l'idéal de l'Art, les appliquant l'une à l'autre pour capter et fixer les rythmes de la lumière. C'est le Cinéma »323

. De plus, le cinéma apparaît comme répondant à deux caractéristiques du Centre Pompidou lui même, la pluridisciplinarité et l'esprit de démocratisation : la pluridisciplinarité par son recours à des moyens

artistiques très divers pour créer un film ( récit, scénographie, acteurs, montage,

décor, musique, costumes, éclairage, effets spéciaux et communications visuelle) et la démocratisation, par le fait que le cinéma est ouvert à un très large public (qui peut ainsi être attiré plus facilement vers d'autres formes d'art).

En 2006, le Centre Pompidou organise donc l'exposition Le Mouvement des imagesArt, Cinéma 324

, qui est conçue et réalisée par le commissaire Philippe-Alain Michaud, historien de l'art et conservateur chargé de la collection des films du Centre Pompidou. Grâce aux thèmes traités dans chaque salle, l'exposition se veut une

« relecture de l'art moderne à travers le cinéma »325

et se déroule suivant quatre sections :

DEFILEMENT ; MONTAGE ; PROJECTION et RECIT, qui mettent en avant chacune des

caractéristiques dominantes des films pour les « exposer » avec des œuvres issues des

arts plastiques. Le parcours met en scène des œuvres statiques telles que la peinture, la sculpture, le dessin, la photographie, l'architecture et le design avec des films d'avant-garde, des films expérimentaux, des vidéos d'artistes, afin que le visiteur puisse trouver des analogies entre l'art plastique et les films.

Par exemple, dans la première section DEFILEMENT, le tableau Ten Lizes326

(1963) d'Andy Warhol présente une sérigraphie sur les dix portraits de la star Liz Taylor qui fait penser au ''défilement'' d'une pellicule cinématographique.

322 Site http://hdacentrepompidou.pagesperso-orange.fr/grand4.html

323 Ricciotto Canudo, Manifeste des Sept Arts, dans la Gazette des Septs Arts, n°2, 23 janvier 1923,

reproduit dans l'Usine aux images. op. cit., pp.161-164. 324 Du 5 avril 2006 au 29 janvier 2007.

325 Site https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cn6eXo/r8K9ao

326 Andy Warhol (1928 – 1987), Ten Lizes, 1963, Encre sérigraphique et peinture à la bombe sur toile,

Le deuxième section MONTAGE est évoqué par la démarche artistique des

collages cubistes ou surréalistes ou par une installation, Oracle327

(1962-65) de Robert Rauschenberg, qui présente une installation : un assemblage d'objets de récupération, portière de voiture, baignoire avec douche, escalier, tuyau et fenêtre, matériaux issus de la société industrielle. (Rauschenberg, comme les autres artistes issus du mouvement happenings, souhaite abolir les frontières entre l’expérience artistique et la vie quotidienne). Oracle s'inscrit dans la logique du

sens du parcours : c'est un MONTAGE.

On trouve une autre mise en scène pour signifier le thème PROJECTION, avec par

exemple, Light Sentence328

(1992) de l'artiste Mona Hatoum, qui place une ampoule dans des casiers métalliques ajourés pour créer des jeux de lumière semblables à ceux des ''projecteurs'' utilisés dans le cinéma.

Avec le dernière section RECIT, le visiteur peut voir l’émergence de la vidéo

art, telle que la vidéo Le Droit Chemin329

(Der Rechte Weg, 1983) de Fischli & Weiss, où

les artistes ont recours, avec humour, à la manière narrative du cinéma pour introduire une fiction. Plus loin, le visiteur peut voir une photographie Sans titre330

(1981) de l'artiste américaine Cindy Sherman, qui, pour évoquer la culture populaire américaine et l'identité féminine, se photographie sous divers déguisements d'actrices d'anciens films.

Le cinéma est un instrument qui « offre une nouvelle fenêtre de projection aux plasticiens. L'influence est mutuelle entre le cinéma et des techniques traditionnelles comme la peinture ou la sculpture. Chaque courant d'idées exploite à sa manière ce nouvel outil, suscitant de nombreuses innovations tout en renouvelant notre rapport à

327  Illustration n° 24 : Robert Rauschenberg (1925 – 2008), Oracle, 1962 – 1965, Tôle galvanisée, eau

et son, 236 x 450 x 400 cm. Crédit photographique : © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Bib. Kandinsky 328 Illustration n° 25 : Mona Hatoum (1952 - ), Light Sentence, 1992, Treillis métallique, moteur

électrique, minuteur, ampoule, câbles, fil électrique. Crédit photographique : © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Bib. Kandinsky

329 Der Rechte Weg, 1983, En couleur , 55 minute.

330 Cindy Sherman, Sans titre, 1981, Cibachrome, 123,5 x 60,2 cm.

n° 24 : Robert Rauschenberg, Oracle, 1962-1965

n° 25 : Mona Hatoum, Light Sentence, 1992

l’image »331

. Le cinéma possède une telle possibilité de convergences et d'hybridations par le croisement de médias qu'il pousse les artistes à exploiter à l'infini toutes les techniques : cet «emblème de la modernité » avait également déjà fasciné les artistes

d'avant-garde des années 20, tels que Hans Richter (Rythme 21, en 1921), Viking

Eggeling (Symphonie diagonale, en 1923), Fernand Léger (Balletmécanique, en 1924),

Marcel Duchamp (Anemic cinema, en 1926), qui ont employé des images mécaniques,

géométriques ou picturales pour produire des effets d'optique, une vision donnée par la machine et la vitesse. En particulier les cubistes et Picasso, dès les débuts du cinéma, ont été fascinés par ce média : François Albera, professeur d'histoire et d'esthétique du cinéma à Lausanne, souligne dans son article « cinéma et peinture, peinture et cinéma », que Berenice Rose dans son étude Picasso, Braque and the Early Cinema s'est

attachée332

« à repérer de la manière la plus minutieuse possible les rapports entre Picasso et le cinématographe afin de fournir une base attestée à son hypothèse selon laquelle les 'Demoiselles d’Avignon' (1907) sont peintes non seulement à partir d’une reprise iconoclaste de sources picturales souvent alléguées (Ingres, etc.), mais du phénomène filmique lui-même : la décomposition du mouvement, la transparence du support, les chocs des rapports entre photogrammes ou plans »333. Étant donné cette fascination qu'exerçait le cinéma et son influence sur les artistes, il n'est pas étonnant que le Centre Pompidou ait désiré y consacrer une exposition qui le mette en parallèle avec les arts plastiques.

Dans le dossier pédagogique du Centre Pompidou sur cette exposition, on trouve les liens nouveaux entre les arts et en particulier une analogie entre le cinéma et

l'art plastique : « Le peintre comme projecteur, la peinture comme projection, le tableau comme écran »334.

Le cinéma devient aujourd’hui une industrie culturelle et une création artistique à part entière ; l'importance du cinéma s'opère par rapport à la technique et à ses progrès (films en noir et blanc ou technicolors, muets, en relief, cinémascope, défilement, montage, ...) ou par rapport au système économique de production-distribution (cinéma commercial, cinéma d'art, cinéma d'essai, et cinéma expérimental), ou encore selon le mode de narration ou le montage (films nouvelle vague, cinéma italien, le journal filmé, documentaire).

Grâce à la variété des moyens modernes de présentation (écran plat, téléviseur ou projection sur les murs), l'exposition thématique permet de proposer au visiteur une expérience d'immersion : la scénographie a été adaptée au sujet de

331 site du Centre Pompidou -- film.html

332 Ouvrage qui accompagnait l'exposition new-yorkaise : Picasso, Braque and the Early Cinema – trois

études (de Tom Gunning, Berenice Rose et Jennifer Wild ).

333 François Albera, ''Cinéma et peinture, peinture et cinéma'', 1995. Mille huit cent

quinze, revue de l'association française sur l'histoire du cinéma, [En ligne], 2008, p.7. 334  Dossiers pédagogique : exposition Le mouvement des images , 2006, Centre Pompidou.

l'exposition : les murs du grand couloir de la grande galerie, où étaient projetés les films, étaient de couleur noire pour recréer une perception similaire à celle ressentie e n p é n é t ra n t d a n s l a s a l l e

obscure d'un cinéma.335

Cette scénographie, différente des

murs blancs, (le « white cube »336

des musées d'art moderne) était destinée à créer plus facilement p o u r l e v i s i t e u r u n e f f e t d'immersion, capable de lui faire porter un regard nouveau sur toute cette exposition.

Dans l'organisation du parcours, cet agencement renforce chez le visiteur l'intérêt pour le caractère évolutif des mouvements des images et les conduit à établir une comparaison avec les œuvres plastiques présentées à proximité dans de petites salles. Les visiteurs, qui pourraient ne pas considérer les nouveaux médias (vidéo ou installation des objets) comme de l'art, finissent par accepter ces mutations technologiques comme pouvant faire partie d'une vision artistique et, grâce à l'inclusion des dispositifs cinématographique et à ce processus d'artification dans les expositions et aux thèmes qui sont donnés, ils peuvent être menés à une acceptation plus générale de l'art contemporain. Par ces moyens, les pratiques expographiques souhaitent abolir les frontières entre l’expérience artistique et l'expérience cinématographique dans la vie quotidienne.