• Aucun résultat trouvé

CHAPIRE I : Big Bang deux aspects antagonistes : destruction et création

H. Les couleurs et les formes : la part des artistes

fonde sa théorie sur la polarité des couleurs et développe son système sur les contrastes naturels entre le foncé et le clair. Pour Goethe, la couleur révèle une démarche psychologique, et la notion de couleur est liée à une expérience sensorielle spontanée. Cette perspective psychologique et phénoménologique sur la couleur est devenue un point important pour l'organisation du parcours. Cet univers coloré sensibilise le visiteur au thème défini par la section.

Cette citation de Goethe sur les couleurs nous a conduit tout naturellement à nous poser des questions sur le rapport des théoriciens et des artistes avec ce sujet, car, jusqu'à présent, nous n'avons considéré les couleurs dans Big Bang que presque

uniquement comme elles étaient vues et ressenties par le visiteur.

H. Les couleurs et les formes : la part des artistes

Dans le parcours des expositions nous avons suivi le visiteur réagissant devant l'aspect des œuvres, les couleurs et les formes, souvent selon la perception qu'il en avait personnellement (l'homme pluriel).

Nous avons vu, par exemple, que le monochrome posait des questions aux visiteurs, que chaque couleur elle-même pouvait avoir une signification différente selon la nationalité et la culture des visiteurs. Leurs réactions sont évidement à prendre en compte et, d'ailleurs, c'est ce que font les organisateurs des expositions lorsqu'ils mettent en scène ce que chacun va voir. Mais la signification des couleurs ne peut pas complètement se comprendre sans penser aux artistes eux-mêmes.

Alors qu'en est-il des artistes quand ils s'expriment sur les couleurs et les formes qu'ils emploient ?

a. Les chromatismes

D'abord du fait que les artistes modernes et contemporains ne cherchent plus à représenter la réalité extérieure dans tous ses détails, la couleur et la forme, qu'ils emploient avec la liberté qu'ils revendiquent, deviennent des éléments essentiels de l'expression picturale. Ainsi la couleur n'est plus imitative du monde tel qu'il

605 Olaf L. Müller ''La palette colorée de Goethe'', Courrier international | n° 1051-1052| du 22 décembre

apparaît ; c'est ce qu'exprime, par exemple, Matisse quand il dit : « Quand je mets un vert, ça ne veut pas dire de l’herbe, quand je mets un bleu, ça ne veut pas dire du ciel »606. Ceci est assez évident dans Big Bang non seulement pour Matisse (La Tristesse du roi,

1952), mais aussi pour beaucoup d'autres, par exemple, les personnages de Picabia (Le Rechiré, 1924/1926), de Raysse, (Made in Japan - La Grande Odalisque, 1964) ou de

Peter Saul (Bewtiful & Stwong,1971). Quand les artistes s'expriment sur la couleur, on

sent que leurs rapports avec les couleurs sont intenses.

Déjà Cézanne disait : « Il n’y a qu’une route pour tout rendre, tout traduire : la couleur. La couleur est biologique, si je puis dire. La couleur est vivante, rend seule les choses vivantes »607. Kandinsky, lui, parle des couleurs comme d'être vivants : « Ce que je ressentis alors, ou, pour mieux dire, l’expérience que je vécus en voyant la couleur sortir du tube, je la fais encore aujourd’hui […] ces êtres étranges que l’on nomme les couleurs venaient l’un après l’autre, vivants en soi et pour soi, autonomes, et dotés des qualités nécessaires à leur future vie autonome, et, à chaque instant, prêts à se lier librement à de nouvelles combinaisons, à se mêler les uns aux autres, et à créer une infinité de mondes nouveaux »608. Pour Matisse: « La couleur surtout et peut-être plus encore que le dessin, est une libération »609. Paul Klee avoue : « La couleur me possède. [...] elle le sait. Tel est le sens de ce moment de bonheur : la couleur et moi, sommes une seule et même chose»610.Et certains, comme Klein s’approprie même une couleur : le bleu Klein.

Étant donné l'importance pour eux des couleurs, certains se sont penché sur leur signification et sur l’intérêt que même des philosophes et des écrivains ont montré au sujet de cette question.

Le nom qui revient le plus souvent sur ce sujet est celui de l'écrivain romantique allemand Goethe (1749-1832).

Son ouvrage Zur Farbenlehre, Le Traité des couleurs publié de 1808 à 1810, après que Goethe y avait

travaillé pendant plus de vingt ans (plus de 2000 pages), comporte une partie où il expose les principes de sa théorie (c'est elle qui nous intéresse plus particulièrement), une partie sur sa querelle avec Newton611, et une partie où il

606 Marie-Thérèse Pulvenis de Séligny, Matisse, un siècle de couleur : le bleu de l’été, éditions RMN, Paris,

607 J. Gasquet, Cézanne, 1926, Cynara, 1988, p.145.

608  Vassily Kandinsky, Regards sur le passé et autres textes 1912-1922, Paris, Hermann,1990, p.114.

609 Les Problèmes de la peinture (1945) repris dans Écrits et propos sur l’art, présenté par Dominique

Fourcade, Hermann, Paris, 1972, p. 202.

610 Journal de Klee, 16 avril 1914 à Kairouan. Cité dans le dossier pédagogique Le centre Pompidou Mobile, 2011, p. 46.

611 On trouve la querelle de Goethe avec la théorie de Newton, ainsi que la comparaison entre les points de vue de Goethe et Schopenhauer et d'autres dans la longue préface de la p. 11à 35 dans l'introduction « J.W. Goethe. La théorie de Newton dévoilée » , traduction de l'allemand et présentation de

Maurice Elie. Presse Universitaire du Mirail, 2002.

passe d'abord en revue tout ce qui a été dit depuis l'Antiquité, par les philosophes et les artistes, sur les couleurs et la perception des couleurs.

Sa théorie porte sur l'idée qu'il y a trois couleurs primaires (le jaune, le rouge et le bleu) et surtout que la couleur est un obscurcissement de la lumière, le jaune étant tout proche de la lumière et le bleu tout proche de l'ombre ; cet obscurcissement de la lumière est en quelque sorte dynamique : l'intensification

du jaune donne le rouge. Il étudie le mélange des couleurs et dans son triangle est montré comment se fait ce mélange, c'est à dire que les couleurs primaires de chaque angle donnent par leur mélange la couleur intermédiaire qui apparaît entre elles sur le côté, ainsi le jaune et le bleu donnent le vert612.

Ce qui est intéressant c'est que Goethe recherche aussi la signification des couleurs et les relie à des états d'esprit : par exemple, le bleu évoque la compréhension, la tranquillité, le rouge l'imagination, un aspect joyeux, jovial ; les couleurs du côté gauche des petits triangles la lucidité, du côté droit le sérieux, celles de la moitié supérieure du triangle la puissance, et, dans la moitié inférieure du triangle, celles du côté gauche la sérénité et celles du triangle de droite la mélancolie. Ces références à un aspect émotionnel pouvait aider les artistes à choisir leurs couleurs, mais aussi annonce ce que d'autres théoriciens vont prévoir ensuite (Kandinsky «la nécessité intérieure»)613.

Une correspondance a été échangée entre Goethe et le peintre romantique et théoricien Philipp Otto Runge (1777-1810) en 1810 sur les couleurs et Runge, lui, a présenté sa sphère des couleurs sur laquelle les couleurs sont réparties du noir au blanc (les deux pôles) par cercles chromatiques, répartition résultant de ses constatations, et selon lui, de quelques «réflexions philosophiques». On voit que ce problème

des couleurs était vraiment un sujet d'époque.

612 Illustration n° 112, 113, sources des images, site : Color mixing and Goethe's Triangle, site internet : http://cs.brown.edu/courses/cs092/VA10/HTML/GoethesTriangleExplanation.html

613 Vassily Kandinsky, Du Spirituel dans l'Art, et dans la peinture en particulier (1er éd.1912), établie par Philippe Sers, Collection Folio essais (n° 72), Gallimard, 2016, p.110.

n° 112 : Triangle de Goethe

n° 113 : Triangle de Goethe

Pourtant, selon Kandinsky, les théorie du Traité de Goethe, n'ont pas

beaucoup intéressé les Français. (Sans doute parce que ce gros livre n'avait pas été immédiatement traduit614).

En France, c'est surtout Michel Eugène Chevreul (1786-1889) qui intéresse le public. Il publie en 1839 De la loi du contraste simultané des couleurs et de l’assortiment des objets colorés, considérés d'après cette loi dans ses rapports avec la peinture. Chevreul, professeur de chimie, puis

directeur des Gobelins, avait une réelle expérience des couleurs à cause de ses recherches sur les teintures. Il est connu pour sa loi des contrastes simultanés : les tons de deux couleurs juxtaposées paraissant différentes de lorsqu'on voit ces couleurs toutes seules.

La couleur ne dépend donc pas de sa teinte réelle, mais de la façon dont l’œil la perçoit. D'autre part, il décrit aussi un phénomène de saturation, selon lequel on peut mesurer la part de coloration d'une couleur (et ainsi différencier un pastel d'une

couleur vive). Il prescrit : « pour produire un effet agréable, le rapprochement de couleurs complémentaires »615. Il s'agit de lois établies après constations de ce qui se passe avec les teintures, il ne s'y mêle pas de réflexions d'ordre spirituel ou philosophique.

A partir de la dernière partie du XIXe siècle des représentants de doctrines ésotériques, et en particulier de la théosophie, se sont aussi beaucoup intéressés aux couleurs et l'on retrouve leur influence en particulier sur beaucoup de milieux artistiques et intellectuels, par exemple sur Rudolf Steiner (1861-1925), (qui avait participé à la publication du traité de Goethe et avait écrit une introductions aux œuvres scientifiques de Goethe), sur des artistes tels que Kandinsky, Mondrian, Pollock et des

écrivains tels que Kafka et le futur prix Nobel de littérature Yeats, qui étaient tous fervents adeptes de la théosophie.

Annie Besant et C. W. Leadbeater, grands adeptes de la société théosophique, avaient publié en 1905 Les Formes Pensées, ouvrage dans lequel, ils affirment que :

« toute pensée donne naissance à une série de vibrations […] une splendide gamme de couleurs l'accompagne »616, et ainsi l'aura, qui entoure selon eux chaque être et qui exprime sa réalité spirituelle intérieure, est d'une certaine valeur : pour l'homme grossier son aura est sombre, et les bruns, les verts sales, certains rouges y jouent le

614 Le Traité des couleurs n'a été traduit en français seulement à partir de 1973 par Henriette Bideau. 615 Site CNRS, Les lois de Chevreul sur la couleur. http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doschim/decouv/ couleurs/loi_chev_coul.html

616 Expression extérieure colorée de la personnalité intérieure.

plus grand rôle ; au contraire,

pour un homme de type raffiné, ce sont des couleurs plus pures. Besant et Leadbeater donnent même une clé de 25 couleurs, où chaque couleur est répertoriée avec sa signification spirituelle et psychologique montrant, p a r e xe m p l e , q u e l ' o ra n g é sombre signifie l'orgueil ou l'ambition, et les jaunes signifient l'intellectualité 617.

D a n s s o n l iv re D u spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier (1911),

où il exprime sa propre théorie des couleurs, Kandinsky décrit les conditions dans lesquelles

l'art sera appelé à se développer et ici on retrouve, fortement exprimée, l'influence

de la théosophie sur ses théories artistiques et sur la manière dont il décrit les couleurs.

Kandinsky exprime d'abord (dans la partie A de son livre) ses angoisses sur l'état du monde : «Lorsque la religion, la science et la morale (cette dernière par la rude main de Nietzsche) sont ébranlées, et lorsque les appuis extérieurs menacent de s'écrouler, l'homme détourne ses regards des contingences extérieures, et les ramène sur lui-même. La littérature, la musique, l'art sont les premiers et les plus sensibles des domaines dans lesquels apparaîtra réellement ce tournant spirituel »618. Et, devant l'état de ce monde, Kandinsky fait éloge de la théosophie et de sa fondatrice Madame Blavatsky qui dit que : « Un nouveau messager de la vérité trouvera, grâce à la société de Théosophie, une humanité prête à l’entendre ; il existera des formes d’expression desquelles il [l'artiste] pourra habiller les nouvelles vérités; une organisation qui, dans une certaine mesure, attendra sa venue pour débarrasser sa route des obstacles et des difficultés matérielles »619.

Kandinsky est convaincu que : « ce grand mouvements spirituel n'en demeure pas moins un puissant ferment dans l'atmosphère spirituelle et peut, même sous cette forme, 617 Illustration n° 116, tableau de la signification des couleurs selon Annie Besant and C. W. Leadbeater,

dans PDF Les formes-pensées, p. 87, (Paris: Publications Théosophiques, 1905).

618 Vassily Kandinsky, Du Spirituel dans l'Art, et dans la peinture en particulier (1er éd.1912), établie

par Philippe Sers, Collection Folio essais (n° 72), Gallimard, 2016, p.78. 619 Ibid., p.77.

n°116 : tableau de la signification des couleurs selon Annie Besant and C. W. Leadbeater

atteindre comme signal de délivrance plus d'un cœur désespéré en proie aux ténèbres et à la nuit »620.

Dans ce « ce tournant spirituel»621, il utilise les images du triangle et de la pyramide pour expliquer la nécessité de cette évolution des artistes vers le spirituel « Et quiconque approfondit les trésors intérieurs cachés de son art est à envier, car il contribue à élever la pyramide spirituelle, qui atteindra le ciel »622.

Une fois établie la nécessité d'atteindre « ces trésors cachés», il entreprend la partie B de son livre, qui comprend sa réflexion sur la couleur, la forme ainsi que sur l’œuvre d'art et l'artiste. Il ne cite pas beaucoup de noms, il fait seulement l'éloge de Cézanne, de Matisse et de Picasso (Matisse pour la couleur, Picasso pour la forme)623.

La couleur produit, selon lui, un double effet :

D'une part, un effet purement physique grâce à la beauté et à d'autres propriétés de la couleur, le spectateur ressent une impression d’apaisement, de joie et d'autres sensations, mais qui sont de courte durée car, selon lui, sur une sensibilité spirituelle faible : « la couleur […] ne peut produire qu'un effet superficiel, un effet qui disparaît dès que cesse l'excitation»624.

D'autre part, dans le cas d'un développement spirituel plus complet, la

contemplation de la couleur provoque « une vibration de l'âme »625. (terme que l'on retrouve chez les théosophes) et qui fait penser au sentiment d'immersion que nous avons vu comme souvent nécessaire au visiteur dans sa contemplation d’œuvres de Big Bang.

Pour lui ce rapport avec l'influence vibratoire qu'exerce la couleur est extrêmement important et il prend l'exemple de la musique (qu'il associe par synesthésie avec les couleurs626) pour expliquer cette importance : « En règle générale, la couleur n'est donc pas un moyen d'exercer une influence directe sur l'âme. La couleur est la touche. L'oeil est le marteau. L'âme est le piano aux cordes nombreuses. L'artiste est la main qui, par l'usage convenable de telle ou telle touche, met l'âme humaine en vibration. Il est donc clair que l'harmonie des couleurs doit reposer uniquement sur le principe de l'entrée en contact efficace avec l'âme humaine. Cette base sera définie comme le principe de la nécessité intérieure »627. Pour Kandinsky ce principe de la ''nécessité intérieure'' en art est extrêmement important. D'ailleurs c'est aussi ce qui finalement va contrôler tout ce qui se fera dans l'art moderne et contemporain, où la copie du monde

620 Ibid., p.78.

621 Titre de son chapitre III, Du Spirituel dans l'Art, et dans la peinture en particulier.

622 Vassily Kandinsky, Du Spirituel dans l'Art, et dans la peinture en particulier, op.cit p.99.

623 Cézanne (p.89.) de Matisse (pp.90 – 92.) et de Picasso (p.94.) Matisse pour la couleur, Picasso pour la forme )

624 Ibid., p.105.

625 une vibration de l'âme, terme qu'on retrouve chez les théosophes.

626 Voir Partie III. 2. Sensibilisation et interdisciplinarité: Rencontres croisées, p.369. 627 Vassily Kandinsky, Du Spirituel dans l'Art, et dans la peinture en particulier, op.cit., p.110.

visible tend à disparaître complètement pour laisser place à cette ''nécessité intérieure'' qui peut s'exprimer par le recours à des formes et couleurs très variées.

Si Kandinsky utilise une image musicale pour faire comprendre sa notion de nécessité intérieure, c'est parce qu'il pense que « l'homme a la musique en lui-même »628 et qu'il existe « une parenté profonde entre les arts en général, entre la musique et la peinture en particulier »629. Il semble ici devancer la notion moderne de pluridisciplinarité, prônée par le Centre Pompidou.

Cette nécessité intérieure naît, selon lui, de trois conditions: 1. de la personnalité de l'artiste ; 2. l'artiste doit exprimer ce qui est propre à son époque ;

3. parce que « Chaque artiste, en tant que serviteur de l'art, doit exprimer ce qui est propre à l’art en général (élément de l’art pur et éternel que l’on retrouve chez tous les hommes, chez tous les peuples, dans toutes les époques, dans l’œuvre de chaque artiste, de toutes nations et de toutes les époques et qui, en tant qu’élément principal de l’art, ne connaît ni espace ni temps »630. On croirait qu'il exprime une sorte de prophétie de l'art moderne et contemporain, avec la présence d'artistes venant de tous horizons (comme l’expriment les expositions Big Bang et elles et les expositions geo-esthétiques de la Première partie

de notre thèse, ainsi que la Partie I sur « La France et ses artistes étrangers» ).

Le langage des couleurs va naître de cette nécessité intérieure : il sera basé

d'abord sur « la chaleur ou la froideur du ton coloré» et à « la clarté ou l'obscurité de

ce ton» ; mais chaque couleur a surtout une résonance personnelle : « Le jaune est la couleur typiquement terrestre.[...] Le bleu est la couleur typiquement céleste. Le bleu développe très profondément l’élément du calme. […] Glissant vers le noir, il prend la consonance d’une tristesse inhumaine.[...] le bleu est comparable aux sons graves d'un orgue […]Un néant sans possibilités, un néant mort après que le soleil s’est éteint, un silence éternel sans avenir ni espoir, voilà la résonance intérieure du noir.[...] Le gris est

[...] l’immobilité sans espoir.[...] »631. Et on peut changer l'effet d'une couleur : « Cet effet s'accentue par la différence entre clair et foncé : l'effet du jaune augmente lorsqu’on l’éclaircit (pour parler simplement : par adjonction du blanc) et celui du bleu lorsque la couleur s’assombrit (adjonction du noir) »632. Il distingue toutes sortes de tonalités, par exemple, dans le rouge (rouge de Saturne, de cinabre, rouge anglais, carmin). Kandinsky étudie chaque couleur dans tous les détails, mais ce qui ressort surtout de son étude c'est l'accent qu'il met sur la « nécessité intérieure», c'est à dire sur une appréhension

spirituelle de la couleur. 628 Ibid., p.111. 629 Ibid., p.112. 630 Ibid., p.112. 631 Ibid., pp.144-160. 632 Ibid., p.142.

Quand on pense à l'importance de la couleur, et à tous les théoriciens qui se sont exprimés sur ce sujet, on est moins étonné par l'apparition du monochrome en art.

C'est cette fascination pour une couleur en particulier ( et le « principe de la nécessité intérieure », souligné par Kandinsky ) qui semble mener tout droit au monochrome

dont nous avons pu voir plusieurs exemples dans Big Bang ( une première esquisse du

monochrome par Malevitch avec Carré noir sur le fond blanc, 1915 et qui apparaît la

première fois en 1918 avec Carré blanc, aussi de Malevitch ). On remarque aussi que

cette fascination pour la couleur s'est aussi développée dans une autre direction, en s'étendant à la sculpture contemporaine avec, à l'extérieur du Centre Pompidou, les sculptures colorées de Niki de Saint Phalle devant IRCAM et un des ''Mobiles'' colorés de Calder sur la Piazza.

Cette « nécessité intérieure » nous semble un principe très important en

art moderne, car elle sous-tend ce que crée l'artiste, mais il nous semble qu'elle peut s'appliquer aussi à l'autre acteur de l’œuvre d'art633, le visiteur qui regarde l’œuvre parce qu'on lui demande souvent d'atteindre aussi une autre forme de ''nécessité intérieure'' pour apprécier l'art : c'est l'immersion totale dans l’œuvre.

b. Les formes : leur émancipation

Nous avons vu dans Big Bang la destruction, la déformation, la distorsion de

formes.

Kandinsky parle aussi de la forme et, en particulier, de sa destruction dans

Du Spirituel dans l'Art (1911) : Kandinsky mentionne le cas de Picasso qui « aboutit par la voie de la logique à la destruction de ce qui est matériel, non par dissolution, mais par une sorte de morcellement des divers éléments constitutifs et la dispersion constructive