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la période future

Chapitre 5 De la « préférence pure pour le présent » à la préférence pour le non

2.2. Une axiomatique de la soutenabilité : le critère de Chichilnisky

2.2.1. Le théorème de représentation de Chichilnisky

a) Axiomes

La démarche employée par Chichilnisky est identique à celle de Koopmans : il s’agit de déterminer l’ensemble des fonctions d’utilité intertemporelles vérifiant un jeu d’axiomes élémentaires. Pour décrire ces axiomes, nous nous donnons avec Chichilnisky une fonction d’utilité à chaque période u de classe C1 croissante et bornée. Nous pouvons supposer sans perte de généralité que u est bornée entre 0 et 1. Si x est un programme de consommation donné, le problème de Chichilnisky est de trouver les fonctions d’utilité intertemporelles U(u(x1),u(x2),...) vérifiant les trois axiomes suivants

17 :

Axiome C1 (sensitivité et complétude) : U est une fonction continue de

[0,1] dans R+ telle que si α et α' sont deux suites de niveaux d’utilité telles que pour toute période i αi≥α'i et pour au moins une période αi>α'i, alors U(α) > U(α').

Axiome C2 (non-dictature du présent) : La proposition suivante est fausse :

Pour toutes les suites d’utilité α et α',

U(α)>U(α’) ⇔∃A∈N / ∀β,β' ∀B>A, U(α1,...,αB-1,βB,βB+1,...)>U(α'1,...,α'B-1,β'B,β'B+1,...).

Axiome C3 (non-dictature du futur) : La proposition suivante est fausse :

Pour toutes les suites d’utilité α et α',

U(α)>U(α’) ⇔∃A∈N / ∀β,β', ∀B>A, U(β1,β2,...,βB-1,αB,αB+1,...) < U(β'1,β'2,...,β'B-1,α'B,α'B+1,...). Malgré son apparente simplicité, le premier axiome est d’importance. Il impose en effet que la fonction d’utilité intertemporelle soit à valeur dans R+, et constitue donc à nouveau une restriction très forte sur la forme du critère d’utilité. En outre, le critère de sensibilité (forte) imposé à la fonction U implique que U doive dépendre explicitement de chacun des niveaux d’utilité.

L’axiome de non dictature du présent mérite quelques éclaircissements. Il y a « dictature du présent » si le classement de toutes les suites de niveaux d’utilité ne dépend que de leurs premiers termes, c’est- à-dire si le classement de toutes les suites de niveaux d’utilité reste inchangé par modification des termes à partir d’une date finie donnée. Pour éviter la dictature du présent, il suffit donc qu’il existe deux suites de niveaux d’utilité telles que pour toute date donnée suffisamment lointaine, il soit possible de modifier le classement de ces deux suites en changeant uniquement les termes situés au- delà de cette date. Le critère de Koopmans ne vérifie pas ce critère capital. L’axiome de non dictature du futur est le symétrique de précédent.

17 Nous reprenons les notations de la section 1.1.1. Nous définirons par ailleurs U directement sur les suites de

b) Théorème

Théorème 5.3 (Chichilnisky, 1996) : Si la fonction d’utilité intertemporelle U vérifie les axiomes C1, C2 et C3, elle est alors de la forme :

U(α) = β.

t=1

at.αt + (1-β).φ(α) (5.37)

Avec at une suite à termes strictement positifs telle que a1=1 et dont la série converge et φ un critère limite de type limsup(αt)

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et 0<β<1.

Le théorème 5.3 nous indique que les fonctions d’utilité intertemporelles vérifiant sensibilité, complétude, non-dictature du présent et non-dictature du futur s’écrivent comme la somme pondérée entre un critère classique (avec cependant des facteurs d’actualisation non nécessairement exponentiellement décroissants) et un critère de type limite, qui rend compte du comportement asymptotique de la suite des niveaux d’utilité.

Si la preuve formelle du théorème est complexe (nous renvoyons le lecteur au papier original de Chichilnisky pour la démonstration complète19), nous pouvons avoir une idée de l’intuition qui la guide. La combinaison des axiomes de non-dictature du présent et de non-dictature du futur exclue en effet à la fois le critère actualisé et les critères se préoccupant uniquement du comportement asymptotique des suites des niveaux d’utilité. Par contre, toute combinaison linéaire de ces deux types de fonctions présente l’intérêt de vérifier à la fois les deux axiomes de non-dictature. En effet, ni les niveaux d’utilité des premières périodes, ni les niveaux d’utilité à très long terme ne sont négligés. L’axiome C1 enfin impose que la série des poids at converge (complétude) et qu’aucun des poids ne soit nul (sensibilité).

L’écart entre l’approche de Chichilnisky et celle de Koopmans provient essentiellement du remplacement de l’axiome de stationnarité (K4) par l’axiome de non-dictature du présent (C1). Il est tout d’abord immédiat que l’axiome de non-dictature du présent est incompatible avec les axiomes K1 à K5 et K3’ retenus par Koopmans. Mais, plus intéressant, la propriété « inverse » est vraie elle aussi. L’axiome de stationnarité K4 n’est pas compatible avec les axiomes C1 à C3 de Chichilnisky : les fonctions d’utilité intertemporelles obtenues au moyen du théorème 5.3 ne vérifient donc pas la propriété de stationnarité.

Pour s’en convaincre, examinons un petit exemple qui permet de comparer le comportement des deux critères face à des choix analogues mais décalés dans le temps. La société se trouve placée devant un choix entre deux programmes de croissance. Dans le premier, l’utilité de la consommation vaut 1 à la première période, puis 0 ensuite à l’infini (5.38). Dans le second, l’utilité reste nulle pendant T périodes avant de valoir 1 à partir de la période T+1 en pendant l’éternité (5.39).

α1 = (1,0,0,0,0,0,...) où l’utilité est nulle sauf à la première période (5.38) α2 = (0,0,0,....,0,1,1,1,1,...) où l’utilité vaut 1 à partir de la période T (5.39)

Nous supposons en second lieu que la même société se trouve placée devant le choix entre deux programmes identiques à (5.38) et à (5.39), mais décalés de N-1 périodes dans le temps. Précisément, dans (5.40), l’utilité est nulle sauf à la période N, alors que dans (5.41), l’utilité est nulle jusqu’à la période T+N-1, mais vaut 1 ensuite.

18

En toute généralité, le théorème impose que φ soit une mesure additive « essentiellement finie » (Chichilnisky,

1996).

19 Cependant, la preuve donnée par Chichilnisky (1996) pourra décevoir en ce sens qu’elle consiste

essentiellement à montrer que les hypothèses retenues sont bien cohérentes avec un théorème de décomposition

plus général donné par Yosida et Hewitt (in Yosida K. [1974] "Functional analysis" (4ème édition), Springer

α1N = (0,...,0,1,0,0,0,0,0,...) où l’utilité est nulle sauf à la N ième

période (5.40)

α2N = (0,...,0,0,0,0,....,0,1,1,1,1,...) où l’utilité vaut 1 à partir de la période T+N (5.41)

Le lecteur vérifiera sans peine qu’avec un critère actualisé (paramètre δ>0), la hiérarchie entre α1 et α2 est conservée à l’identique entre α1N et α2N quelle que soit la valeur de N. Il s’agit là d’une conséquence directe l’hypothèse de stationnarité. Cette propriété de stationnarité n’est par contre plus vérifiée par le critère de Chichilnisky. Supposons que le critère « limite » φ soit donné comme la limite inférieure de la suite des niveaux d’utilité, et choisissons β=0,75. Les utilités intertemporelles associées à α1 et à α2 par le critère de Chichilnisky (5.37) sont alors données par :

U(α1) = 0,75, U(α2) = 0,75.

t=T

at + 0,25 (5.42)

En prenant T suffisamment grand, nous pouvons toujours obtenir U(α1)>U(α2). Examinons maintenant les utilités intertemporelles données par le critère de Chichilnisky aux programmes α1N et à α2N. Nous obtenons directement

U(α1N) = 0,75.aN, U(α2N) = 0,75.

T+N

at + 0,25 (5.43)

Puisque la série des poids at tend vers 0, U(α1N) tend vers 0, alors que U(α2N) reste supérieur à 0,25. De fait, si le décalage temporel est assez grand (i.e. si N est assez grand), alors le choix entre ces deux programmes de consommation est renversé par le simple passage du temps.

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