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Coordination par les prix ou coordination par les quantités, le legs du Protocole de Kyoto

Où la modélisation économique rejoint la réflexion institutionnelle

Chapitre 7 Le protocole de Kyoto au défi du long terme

1.2. Coordination par les prix ou coordination par les quantités, le legs du Protocole de Kyoto

Nous ne reviendrons pas ici le détail de ce qui a fait que le protocole de Kyoto, suivant en cela le libellé de la Convention Cadre sur le Changement Climatique puis le mandat de Berlin, a formulé les contraintes climatiques en termes de quantités émises. Rappelons simplement que la proposition d’une taxe internationale sur le carbone a perdu beaucoup de crédibilité juste avant la Conférence de Rio (1992) du fait de la décision de l’Europe de ne pas la mettre en place à l’intérieur de la Communauté. Devant l’opposition résolue des milieux d’affaire et des Etats-Unis, ainsi que des ONG environnementalistes, la notion d’une approche par les quantités s’est finalement imposée. La Convention Cadre sur le Changement Climatique qui formule ainsi son objectif final en termes de « niveau [de concentration] qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse pour le système climatique ». Trois ans plus tard, le Mandat de Berlin parachève le dispositif en donnant mandat aux Parties pour négocier des objectifs de réduction des émissions quantitatifs, objectifs qui seront finalement décidès à Kyoto.

D’un strict point de vue juridique, le protocole ne préjuge en rien de la forme des accords internationaux qui définiront l’après 2012. Il est clair cependant que nous sommes entrés ici dans une forme de « lock-in » intellectuel, diplomatique et bientôt institutionnel sur lequel il sera difficile de revenir.

- « Lock-in » intellectuel en premier lieu car l’ensemble des acteurs a intégré depuis 1992 le fait que l'effort pour le climat soit envisagé en termes de quantités.

5 Nous pouvons rajouter à ces considérations un éclairage de nature dynamique. Si nous revenons pour un instant

au point de vue collectif que pourrait adopter un planificateur global, l’intérêt de l’élargissement de l’annexe B aux pays en voie de développement va dépendre de manière critique de la nature des politiques climatiques qui seront menées tant au nord qu’au sud. Si l’ouverture sert aux pays du Nord à éviter des actions domestiques dans les secteurs les plus rigides tout en ne finançant pas non plus dans les pays du Sud, nous nous trouvons alors dans une configuration à termes très dangereuse. Si l’ouverture permet au contraire de mieux contrôler les dynamiques de croissance des secteurs les plus rigides (habitat et surtout transports) dans les pays du Sud, la configuration apparaît alors comme plus intéressante.

Un système de flexibilité mondial économisant une quantité donnée de carbone peut donc tout autant être profitable à long terme au Nord comme au Sud (mise en œuvre de politiques sur les structures urbaines) qu’épuiser à la fois les sources de réduction des émissions de court terme dans les deux hémisphères (abattements principalement centrés sur le méthane et sur des changements d’usage finaux de l’énergie au Nord, simples remplacements des centrales les plus polluantes au Sud). Cette discussion dynamique sur la flexibilité comparée des systèmes technico-économiques au Nord et au Sud demande des recherches complémentaires.

- « Lock-in » diplomatique ensuite pour deux raisons principales : d’une part le choix d’une négociation par les quantités répond aux demandes de certains groupes de pression comme les ONG. Toute remise en cause de ce point serait donc considéré par elles comme une défaite. D’autre part, d’un point de vue diplomatique, il s’agit d’un débat déjà tranché (Hourcade, 1999).

- « Lock-in » institutionnel enfin car l’ensemble des mécanismes de régulation et de vérification du protocole qui devraient être mis en place d’ici 2008 seront bâtis autour de la notion d’engagements quantitatifs.

Si beaucoup de choses peuvent encore se passer avant que la seconde période budgétaire ne soit discutée, à commencer par une non-application du protocole de Kyoto, nous ferons ici l’hypothèse qu’un changement de paradigme serait trop coûteux, et que la négociation s’orientera donc naturellement vers des engagements quantitatifs.

Si le législateur était parfaitement informé sur le coût social de la pollution et sur les coûts des techniques d’abattement, alors coordination par les prix (au moyen d'une écotaxe) ou par les quantités (au moyen de quotas) seraient strictement équivalentes. L’écotaxe peut en effet être fixée en fonction du niveau de dépollution désiré, et en sens inverse le planificateur peut fixer ce niveau désiré et le marché détermine alors le prix d’équilibre des PEN Popt = taxe. Dans les deux cas, les pollueurs sont incités à mettre en œuvre les mêmes solutions de dépollution, celles dont le coût marginal est inférieur ou égal à la valeur de la taxe ou au prix des PEN, comme le montre la figure 7.2 ci-dessous.

Coûts Réductions Permis Taxe Coût marginal Dommage marginal

Figure 7.2 : Equivalence taxe – permis en univers certain.

Or, nous avons vu que dans le cas de l’effet de serre, les acteurs n’ont une expérience directe ni des dommages du changement climatique, ni des coûts de réduction des émissions. Dans ce contexte, choisir les prix ou les quantités comme objet de la coordination revêt deux significations économiques très différentes :

- Une coordination par les prix signifie que l'ensemble des acteurs s'accorde sur un même coût marginal de la dépense en matière climatique. Ils obtiennent ainsi une garantie sur l'effort marginal consenti, puisque les taxes sont observables, mais pas sur le niveau final de réduction des émissions.

- Une approche par les quantités signifie au contraire que chaque pays s'engage sur un objectif quantitatif de réduction des émissions et accepte les risques d'une incertitude sur les coûts consentis. S'engager sur des quantités signifie donc rechercher une garantie plus forte sur l'objectif final au prix d'une incertitude sur les coûts.

Toute la question est donc de savoir sur quelle variable reporter l’incertitude. Il est connu depuis la parution en 1974 d'un article de Weitzman, qu’à niveaux d’incertitudes donnés, le choix d’une coordination par les quantités ou par les prix dépend de la pente relative des courbes de coûts marginaux et des courbes de dommages marginaux. Si nous anticipons que la pente de la courbe de dommages est plus forte que celle de la courbe de coûts d’abattement, mieux vaut alors adopter une

contrainte sur les quantités. Dans le cas contraire, une taxe s’avère économiquement préférable, car elle définit le montant unitaire maximal qu’il sera demandé aux agents de payer au titre de la lutte contre la pollution.

La démonstration, que nous ne reprendrons ici que de façon graphique, repose sur la minimisation du coût de l’erreur. (cf. figures 7.3 et 7.4). Nous pouvons donner une idée du résultat en comparant deux cas extrêmes : si nous sommes certains que des rejets polluants donnés vont engendrer des dommages importants au-delà d'un certain seuil, il convient d'imposer des limites quantitatives strictes (cas des normes sanitaires par exemple). En revanche, si nous sommes sûrs que le contrôle des émissions polluantes croît très rapidement en fonction des objectifs, et si l'ampleur des dommages évités est au contraire très incertaine, il est de bonne politique de s'assurer du contrôle des dépenses pour ne pas être mécaniquement entraînés à des coûts économiques inacceptables.

Coût de l'erreur

Cas taxe Coût de l'erreur Cas permis Coûts Réductions Permis Taxe Q taxe Coût marginal estimé ex ante Coût marginal avéré ex post Dommage marginal Coût de l'erreur

Cas taxe Coût de l'erreur Cas permis Coûts Réductions Permis Taxe Q taxe Coût marginal estimé ex ante Coût marginal avéré ex post Dommage marginal

Figures 7.3 et 7.4 : Perte de surplus comparée d’une taxe ou de permis en cas d’incertitude sur les coûts et de dommages marginaux « plat » (figure de gauche) ou « abrupts » (figure de droite). Source : CIRED (1999).

Pizer (1997) et Newell et Pizer (1998) étendent ce raisonnement au cas du changement climatique. Ils remarquent que la nature même du problème climatique nous place dans le cas où la coordination par les prix est préférable. Il est en effet probable que la courbe de dommages soit relativement plate. Ce résultat ne s’inverse que sous deux hypothèses : présence de catastrophes climatiques à un horizon relativement proche (quelques décennies) ou progrès technique endogène avec forte baisse dans le temps du coût des technologies non carbonées qui « aplatirait » la courbe des coûts marginaux d’abattement. Newell et Pizer considèrent que l’incertitude sur ces deux éléments est trop importante pour renverser la prédominance initiale d’un système de coordination par les prix, ce qui n’empêcherait pas, dans une deuxième période, de renverser la proposition en fonction d’éléments nouveaux.

Le choix d’une coordination par les quantités fait à Kyoto renforce donc l’impact de deux incertitudes sur la décision : l’incertitude sur les coûts d’abattement, et l’incertitude sur la trajectoire de référence puisque l’effort réel de réduction des émissions dépend de la différence entre le quota qui aura été négocié et la trajectoire de référence. Nous nous proposons d’examiner cette dernière incertitude dans la seconde section de ce chapitre.

2.

De la diversité des scénarios de référence

Dans le contexte du protocole de Kyoto, mettre en place des politiques d’abattement à moyen terme nécessite donc aujourd’hui de faire face à une double incertitude portant sur l’évolution des coûts d’abattement futurs comme sur l’évolution des trajectoires d’émissions de référence. Chacune de ces deux incertitudes ramène en fait à la question fondamentale de la nature du scénario de référence à long terme.

En second lieu, dès lors qu’il s’agit d’évaluer les coûts indirects de la mise en place de ces quotas (baisse de la croissance induite liée aux sommes détournées au profit de la lutte contre le climat, impacts des variations des prix des énergies fossiles sur la balance commerciale, possibles délocalisations des industries intensives en carbone, etc.), il est nécessaire de disposer en sus d’une information beaucoup plus complète sur la nature des trajectoires économiques de référence. Les taux de croissance et les intensités énergétiques régionales constituent en l’occurrence les données minimales pour envisager une telle évaluation.

En troisième lieu, la plupart des règles d’attribution des quotas d’émissions proposées dans la littérature dépendent elles-mêmes d’indicateurs macroéconomiques. La règle de convergence d’Anil Agarwal et de Sunita Narain (1998) repose sur les dynamiques de population régionales. Henry Jacoby et al. (1999) allouent leurs quotas en fonction du PIB par tête. D’autres se réfèrent encore à l’intensité énergétique (Colombier, 1998) ou à une combinaison de plusieurs indicateurs. En résumé, l’évaluation des coûts des politiques d’élargissement de l’annexe B ne peut se faire indépendamment d’une projection à long terme d’indicateurs économiques dans le scénario de référence.

En quatrième lieu, nous avons abondamment souligné le fait que les paramètres du calcul économique eux-mêmes dépendent des hypothèses formulées sur la croissance à long terme.

Bien entendu, chacune de ces variables ne peut être étudiée isolément. La consommation d’énergie et le PIB ne sauraient par exemple être traitées indépendamment sauf à prendre le risque de formuler des hypothèses hasardeuses à la fois sur la nature des activités qui dirigent la croissance et sur le rythme du progrès technique. La présente section a donc pour objet d’examiner les principaux scénarios économiques et énergétiques de référence proposés dans la littérature. L’objectif n’est pas ici d’en faire une recension complète6, mais d’illustrer et d’analyser la diversité de ces projections.

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