• Aucun résultat trouvé

d’actualisation sur la décision de court terme en matière d’effet de serre

2.4. Incertitude sur la productivité marginale du capital de long terme

Nous avons jusqu’à présent considéré l’incertitude sur la valeur du taux d’actualisation de manière globale, sans distinguer entre l’influence du « taux de préférence pure pour le présent », celle de la forme de la fonction d’utilité et celle du taux de croissance à long terme de l’économie. Rappelons pourtant que dans un univers de premier rang, le taux d’actualisation est donné comme la somme d’un taux d’escompte social ou « préférence pure pour le présent » δ, et d’un terme d’effet richesse constitué comme le produit du taux de croissance à long terme et de l’élasticité temporelle de l’utilité marginale de la consommation (équation 3.34, voir la première section du premier chapitre).

ρ = δ + g.ν (3.34)

Trois sources d’incertitudes distinctes concourrent donc à faire de ρ un paramètre controversé. Nous nous proposons ici de les démêler. Nous faisons cependant l’hypothèse simplificatrice selon laquelle la fonction d’utilité de l’agent représentatif est logarithmique à chaque période en fonction de la consommation, ce qui implique ν = 1. Nous examinons donc ici l’impact comparé du taux de croissance à long terme g et du « taux de préférence pure pour le présent » sur la décision de court terme en matière d’effet de serre.

Les émissions de CO2 de seconde période ne sont pas indifférentes au taux de croissance à long terme. Le choix d’une élasticité PIB des émissions de CO2 résulte cependant d’une combinaison d'hypothèses portant sur des paramètres aussi incertains que l'évolution des modes de consommation et sur le volume de l'activité d'une part (demande d'énergie) ou la vitesse du progrès technique et son "biais" vers la décarbonisation de l’autre (offre d'énergie) (Hourcade et al., 1996c). Ces éléments étant fortement controversés, comme nous le reverrons en détail au chapitre 7, nous décidons de raisonner ici sur la base de trois scénarios qualitatifs décrits dans le tableau 3.4 ci-dessous7.

OPTIMISTE Le progrès technique ainsi éventuellement que les modifications des modes

de consommation l'emportent sur les effets volume : E2 décroissant avec g.

PESSIMISTE Le progrès technique et les changements de modes de consommation ne sont

pas suffisants pour contrebalancer les effets volume : E2 est croissant avec g.

NEUTRE Les effets volume et progrès technique s'annulent pour produire les mêmes

émissions quel que soit le taux de croissance : E2 est constant.

Tableau 3.4 : Trois scénarios sur les liens entre émissions de seconde période et taux de croissance économique à long terme.

Nous introduisons ainsi une incertitude sur le taux de croissance futur, dont nous supposons qu’il prendra la valeur gi avec une probabilité subjective ex ante pi. Le modèle de décision en matière d’effet de serre est alors analogue à celui développé par Weitzman (1998). L’objectif reste de maximiser les niveaux d’abattement, mais cette fois-ci c’est l’indicateur de qualité environnementale qui est incertain, tout comme les facteurs d’actualisation à long terme (nous supposons que le taux de

7 En toute rigueur, il faudrait aussi faire varier les coûts de deuxième période c

2 en fonction du taux de

croissance. Il y a d'ores et déjà un effet puisque ces coûts sont basés sur le pourcentage de réduction des émissions et non sur le montant d'abattement. Ce point reste à développer lors de travaux ultérieurs.

croissance sur la première période est quant à lui connu). Soit finalement le problème de décision suivant : Min (a1,a2 i ) ϕ1c1(a1) +

i ϕ2 i .pi.c2 i (a2 i ) +

i ϕ3 i .pi.θοψi(a1,a2 i ) (3.35) 0 ≤ a1≤ E1 (3.36) 0 ≤ a2 i ≤ E2(gi) (3.37) Avec ρ1 = δ+g1, ρ2 i = δ+gi (3.38) ϕ = 1 1+ρ1 , ϕ1 = 1-ϕn 1-ϕ, ϕ2i = 1 1+ρ2 i, ϕ2 i = ϕ1 n .1-ϕ2i m-n 1-ϕ2i , ϕ3 i = ϕ1 n .ϕ2 i m-n . 1 1-ϕ2i (3.39)

Nous calibrons le modèle avec les hypothèses suivantes. Le taux de croissance de première période g1 est fixé à 2,5% par an. Le taux de croissance de seconde période vaut 1,5%, 2,5% ou 3,5% avec probabilité 1/3 pour chacun de ces scénarios. Les émissions de première période E1 sont de 196 GtC. Les émissions de seconde période sont données dans le tableau 3.5 suivant. Tous les autres paramètres sont fixés comme précédemment.

E(g) g 1,5% 2,5% 3,5% Optimiste 1504 GtC 1254 GtC 1004 GtC

Pessimiste 1004 GtC 1254 GtC 1504 GtC

Neutre 1254 GtC 1254 GtC 1254 GtC

Tableau 3.5 : Emissions de seconde période en fonction du taux de croissance à long terme et des hypothèses sur l’élasticité PIB des émissions de CO2.

Trois paramètres restent ainsi libres : l’hypothèse formulée sur la décarbonisation, la nature de la fonction dommage et le « taux de préférence pure pour le présent ». Nous supposons ici que les émissions de seconde période dépendent uniquement de g et non de δ. Nous nous plaçons donc dans un monde dans lequel on imposerait aux politiques climatiques un taux de « préférence pure pour le présent » différent de celui de l’ensemble de l’économie. Nous avons bien insisté au premier chapitre sur les limites d’une telle approche, qui induit un biais artificiel pour l’investissement dans le domaine climatique. Nous adoptons cette représentation plus simple à formaliser dans cette section, en gardant présent à l’esprit que l’impact du « taux de préférence pure pour le présent » sur la décision de court terme s’en trouve augmenté.

La figure 3.16 présente les abattements optimaux de première période en fonction du « taux de préférence pure pour le présent », du niveau de dommages explosifs et des liens entre émissions de CO2 et taux de croissance du PIB à long terme. Nous constatons à nouveau que le paramètre déterminant pour la décision de court terme est, dans ce cas de dommages explosifs, le montant des dommages. Viennent ensuite avec un impact à peu près similaire la valeur du « taux de préférence pure pour le présent » et l’hypothèse formulée sur la nature des liens entre émissions de CO2 et taux de croissance.

0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 0 1 2 3 4

Taux de préférence pure pour le présent (%)

Abattements de première période (GtC/an)

650 P 650 N 650 O 550 P 550 N 550 O 450 P 450 N 450 O 450 ppm 550 ppm 650 ppm

Figure 3.16 : Abattement optimal de première période en fonction du « taux de préférence pure pour le présent », du niveau de dommages explosifs et du scénario sur les liens entre émissions et croissance (δ entre 0 et 4%, ψ¯ entre 450 et 650 ppm, scénario optimiste, pessimiste ou neutre).

Nous constatons par ailleurs que les abattements optimaux de première période sont plus élevés lorsque nous nous trouvons dans un scénario optimiste que lorsque nous nous trouvons dans un scénario pessimiste sur les liens entre croissance et émissions. La raison en est que le facteur d’actualisation est d’autant plus élevé que le taux de croissance est faible. De fait, dans l’équation (3.35), les dommages liés au scénario de plus faible taux de croissance sont ceux qui sont le plus valorisés. Or dans notre scénario « optimiste », c’est pour le taux de croissance le plus faible que les émissions sont les plus élevées, générant des risques de dommages importants. Dans le scénario « pessimiste » au contraire, les émissions sont élevées pour un taux de croissance élevé, ce qui du fait de l’actualisation a moins de poids dans le total des coûts actualisés. Nous retrouvons ainsi le résultat souligné par Weitzman (1998) selon lequel c’est ce qui se passe pour les taux de croissance futurs les plus faibles qui compte le plus pour la décision de court terme en matière de changement climatique.

Conclusion

Ce chapitre n’aura permis qu’une exploration très partielle de l’impact des incertitudes sur la décision de court terme en matière d’effet de serre. Il manque en effet un examen attentif des incertitudes liées aux coûts d’abattement (que notre modèle à deux périodes ne nous permettait malheureusement pas de bien prendre en compte), à l’inertie, au progrès technique ou encore à la date d’acquisition de l’information. Ce chapitre nous a simplement permis d’examiner en détail l’impact du taux d’actualisation sur la décision optimale de court terme, et de comparer cet impact à celui d’autres paramètres incertains. Les approches graphiques, analytiques et numériques concourent à nous montrer que la question clé est de savoir si oui ou non nous croyons qu’une catastrophe climatique est possible. La sensibilité de la décision optimale de court terme au taux d’actualisation est en effet subordonnée à la réponse qui y est apportée :

- Si nous faisons le pari qu’aucune catastrophe climatique n’est susceptible d’intervenir, au moins pour une plage raisonnable de concentrations, alors deux paramètres déterminent à égale

importance la décision de court terme : le taux d’actualisation et le niveau de dommages anticipé pour un doublement de la concentration atmosphérique en CO2.

- Si par contre une catastrophe est considérée comme possible, même avec une probabilité faible, alors l’image change totalement. Le seuil de concentration à partir duquel cette catastrophe est susceptible d’intervenir devient le paramètre déterminant pour la décision de court terme, nettement devant la valeur du taux d’actualisation.

Ce résultat nous permet tout d’abord de réfléchir aux questions que l’économiste peut poser aux spécialistes du climat. Le fait que les dommages du changement climatique comptent pour la décision en matière climatique est un truisme. Mais ce résultat suggère que l’incertitude prioritaire porte plus sur la probabilité d’occurrence d’une catastrophe que sur les réactions moyennes du climat et des écosystèmes à l’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les travaux de ce chapitre demandent bien entendu à être complétés, mais il nous semble d’ores et déjà qu’ils peuvent aider à ouvrir des portes pour le dialogue entre les groupes I et III du GIEC.

En second lieu, cette analyse numérique nous conduit à relativiser l’impact du taux d’actualisation sur la décision de court terme en matière de changement climatique. Ce paramètre reste bien évidemment important, mais son influence est subordonnée à la nature linéaire ou explosive de la fonction de dommages. En outre, nos résultats suggèrent que l’incertitude liée à la « préférence pure pour le présent » et celle liée au taux d’actualisation ont une influence quasi identique. L’incertitude sur la forme de la fonction dommages apparaît ici prépondérante. En d’autres termes, la décision résulte d’un jeu combiné d’hypothèses sur la croissance économique future, la nature de la fonction dommage et en dernier lieu sur le choix de la « préférence pure pour le présent ». Ce modèle à un agent et à un bien suggère ainsi que le débat entre court terme et long terme renvoie à un arbitrage plus large entre différentes « visions du monde ». Mais il suggère aussi que pour étudier le contenu de ces « visions du monde », il est nécessaire de développer le cadre étroit d’un seul bien et d’un seul secteur. Nous nous y employons dans la seconde partie de ce travail.

Outline

Documents relatifs