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matière d’effet de serre

Chapitre 1 Une pure métaphore : un agent et un bien en nivers certain

2. L’arbitrage présent futur sous l’angle de l’actualisation

2.1.2. De l’actualisation dans des modèles plus réalistes

a) Agent vivant indéfiniment ou générations imbriquées ?

La première critique que Solow formule avec le recul à son propre modèle (Solow, 1988) est qu’il représente des agents (ou des dynasties) qui font leurs choix de consommation et d’investissement sur la base d’une optimisation à très long terme. Or selon certains auteurs, une telle présentation masque l’importance du legs d’une génération vers la suivante en tant que motivation principale de la transmission de la génération présente à la génération future. Ils proposent l’utilisation de modèles à générations imbriquées en lieu et place de modèles à agent vivant indéfiniment. Une comparaison rigoureuse du comportement des modèles à générations imbriquées et des modèles à individu vivant indéfiniment reste cependant à écrire (Toth, 1999). A notre connaissance, la plupart des contributions qui prétendent mettre en regard les avantages et les inconvénients des deux systèmes s’appuient sur des hypothèses par trop différentes pour pouvoir tirer des conclusions générales.

Suite aux travaux de Howard et Nordgaard (1993), Reyer Gerlagh (1999) fait ainsi apparaître à l’aide d’un modèle à générations imbriquées des taux d’intérêts non constants et nettement inférieurs aux taux d’actualisation couramment utilisés dans les modèles à agent vivant indéfiniment. Ce résultat dérive cependant de deux hypothèses centrales qui ne sont pas formulées dans les modèles classiques à agent vivant indéfiniment, à savoir d’une part une espérance de vie des agents qui s’allonge au fur et à mesure qu’ils deviennent plus riches, et d’autre part la mise en place d’un fonds intergénérationnel pour l’environnement. La présence de ces deux hypothèses fortes nous empêche de tirer des conclusions définitives quant à l’existence d’une différence de fond entre les résultats que donneraient un modèle à générations imbriquées et ceux donnés par les modèles classiques.

Les résultats de Stephan et Müller-Fürstenberger (1997) sont plus ambigus. La comparaison entre deux modèles, l’un à agent vivant indéfiniment avec un « taux de préférence pure pour le présent » nul, et l’autre à générations imbriquées, montre pour un même objectif climatique des trajectoires d’abattement plus douces dans le second cas que dans le premier. Le choix d’un « taux de préférence pure pour le présent » nul nous place néanmoins dans un cas très particulier. Les travaux d’Alan Manne (1999a) et de Stephan et al. (1997) tendent quant à eux à montrer que sous des hypothèses comparables, une représentation en termes de générations imbriquées ou d’agent vivant indéfiniment ne donnent pas des trajectoires sensiblement différentes. Il n’est donc pas possible, à notre connaissance, d’affirmer que les modèles à générations imbriquées donneraient des résultats fortement différents des modèles à agent vivant indéfiniment. A ce stade, leur avantage semble être simplement de permettre une représentation plus fine de certains mécanismes, comme l’allongement de la durée de la vie ou l’impact de la fiscalité sur l’héritage ou des politiques d’allocation vieillesse, toutes choses qui dépassent le cadre du présent travail.

b) Actualiser dans un système économique complexe

Dans la réalité, nous observons des taux de productivité marginales très différents selon les secteurs de l’économie. En outre, les taux d’intérêts observés sur les marchés financiers, et qui devraient être dans un monde de premier rang égaux au taux de productivité marginaux du capital8, se révèlent fortement différents. Le tableau 1.1 ci-dessous donne un aperçu de la diversité des taux de rendements moyens de différents types d’investissements publics et privés.

Type de placement Période Rendement réel (%) Pays industrialisés

Actions 1960-1984 5,4

Obligations 1960-1984 1,6

Capitaux non résidents 1975-1990 15,1

Bons du Trésor à court terme 1960-1990 0,3

USA

Actions 1925-1992 6,5

Capital privé avant impôts 1963-1985 5,7

Capital industriel après impôts 1963-1985 5,7

Immobilier 1960-1984 5,5

Terre Agricole 1947-1984 5,5

Bons du Trésor 1926-1986 0,3

Pays en voie de développement

Education primaire diverses 26

Education supérieure diverses 13

Table 1.1 : Taux de rendements estimés de différents placements financiers et investissements directs. Source : Arrow et al. (1996a).

Dans ce contexte, le débat porte essentiellement sur la nature publique des investissements considérés. Certains auteurs défendent l’idée selon laquelle les institutions publiques devraient adopter un taux d’actualisation correspondant au rendement moyen des investissements privés (Birdsall et Steer, 1993, Weitzman, 1999) au motif que dans le cas contraire, l’État détournerait l’épargne des investissements les plus efficaces. Cette question constitue une pierre d’achoppement centrale de la discussion sur l’actualisation (Lind, 1982). Sans rentrer ici en détail dans une controverse particulièrement complexe9, nous ferons ici simplement deux remarques :

- En premier lieu, comme le fait remarquer Rabl (1995), il n’est pas cohérent de retenir un taux de croissance de long terme compris entre 1% et 3% et de choisir dans le même temps un taux d’actualisation très élevé pour des investissements publics dès lors que ceux-ci impliquent des volumes d’épargne importants. Soit le taux de croissance de long terme est sous-évalué, soit, plus sûrement, le volume d’investissements dont les rendements à long terme sont très élevés reste faible.

- En second lieu, le raisonnement qui précède suppose implicitement qu’investissements privés et investissements publics soient parfaitement substituables. Or la réalité est nettement plus complexe, et dépend en particulier de la nature des systèmes fiscaux en vigueur dans les différents pays (Stiglitz, 1982).

Par contre, le fait de retenir un taux d’actualisation ad hoc pour un type d’investissement public particulier, le changement climatique par exemple, apparaît comme une fausse solution. Elle crée pour

8 Notons que le modèle de Solow est une représentation exclusivement physique de l’économie dans laquelle la

monnaie n’est pas nécessaire.

9 Le lecteur trouvera dans l’ouvrage collectif dirigé par Robert Lind (1982) un résumé à notre connaissance

encore non dépassé de la discussion du choix du taux d’actualisation dans une économie de second rang. L’introduction de Lind lui-même, ainsi que les papiers de Kenneth Arrow et de Joseph Stiglitz constituent en particulier des textes de références.

le coup une asymétrie de traitement entre les différentes dépenses publiques. De plus, elle revient à traiter de manière non explicite des hypothèses formulées en réalité sur les rendements de ces investissements. Comme le dit Boiteux, « le fait que tel investissement public soit réalisé implique que l’estimation faite, explicitement ou non, de la valeur des services attendus conduisait, ou aurait conduit, à une [valeur actualisée nette] positive. » (p.120). Enoncé d’un point de vue positif, l’argument de Boiteux revient à dire qu’en situation d’incertitudes sur les bénéfices des politiques climatiques, il vaut mieux ajouter un terme ad hoc dans l’évaluation des dommages plutôt que de modifier arbitrairement le taux d’actualisation10.

En pratique, il n’est pas du tout évident de trancher ces questions, qui relèvent pour une bonne part de croyances sur le fonctionnement actuel du système économique11. Même en restant dans le cadre restrictif d’un seul agent représentatif par génération que nous avons adopté pour ce chapitre, nous pourrions obtenir, si l’utilité est fonction de plusieurs biens, un taux d’actualisation propre à chacun de ces biens (Dasgupta et Goran-Mäler, 1999, Henry, 1997). Néanmoins, nous nous trouverions tout de même en présence de deux catégories de termes dans la formule permettant de calculer le taux d’actualisation : des termes qui dépendent directement d’une représentation de l’économie et des préférences, correspondant à l’effet richesse de la formule (1.2), et un terme de « préférence pure pour le présent » lié à la fonction de bien-être intertemporelle. Nous obtiendrions ainsi à nouveau des termes directement issus d’hypothèses sur le futur de l’économie et de jugements sur les préférences, et d’un terme dont la valeur est moins directement contrôlée par les hypothèses générales formulées sur les comportements, les technologies et les institutions. De ce point de vue, l’analyse de sensibilité à la « préférence pure pour le présent » que nous nous proposons de mener dans la suite dans le cadre n’est pas conceptuellement remise en cause.

3.

STARTS : modèle d’optimisation intertemporelle des politiques de

réduction des émissions de CO

2

fossiles

Nous consacrons cette seconde section à la présentation de STARTS12, modèle d’optimisation intertemporelle des politiques de réduction des émissions de CO2 fossiles en univers coûts avantages ou coûts efficacité. A chaque périodes, deux variables sont considérées : le taux de croissance d’une part et le niveau d’abattement par rapport à une trajectoire de référence de l’autre. Leur optimisation permet de maximiser la fonction de bien-être intertemporelle.

Les sections qui suivent s’attachent à décrire les différents modules constitutifs du modèle : module économique (section 3.1), module climatique (section 3.2) et objectif de maximisation (section 3.3). La section 3.4 présente enfin les procédures de calibration du modèle. Le lecteur trouvera à la page 51 un tableau récapitulatif des équations, variables et paramètres du modèle, ainsi que le code informatique complet en annexe 1.

10 Il existe une vaste littérature qui recommande l’utilisation d’un taux d’actualisation plus faible au nom de la

défense de l’environnement pour les générations futures. La synthèse de Goodin (1982) nous semble toujours d’actualité. Le livre de Broome (1992) propose une analyse plus fouillée appliquée au cas du changement climatique. Pour ce qui est de la défense d’un taux d’actualisation unique, le lecteur trouvera plusieurs contributions en ce sens dans l’ouvrage collectif sur l’actualisation dirigé par Paul Portney et John Weyant (1999), par exemple les articles de Michael Weitzman ou de William Nordhaus.

11 Cette opposition des visions de l’économie transparaît clairement dans la controverse entre Cline d’une part,

Birdsall et Steer d’autre part que nous avons citée au début de cette section.

12 Pour « Sectoral Trajectories with Adaptation and Response Turnover of Stocks » - Trajectoires Sectorielles

avec Adaptation et Réponse de la Rotation du Capital. Ce patronyme, pour lequel nous remercions Michael Grubb, pourra surprendre car ce modèle représente une économie à un seul secteur agrégé. En réalité, le modèle STARTS a initialement été développé avec deux secteurs (Hourcade et al., 1996b, Lecocq et al., 1998, voir aussi le chapitre 6 du présent travail), puis réduit pour examiner les questions d’actualisation. C’est cette seconde version que nous présentons ici en premier.

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