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Conclusion : vers une réinterprétation de la « préférence pure pour le présent »

Ce chapitre nous aura donc permis de montrer qu’il existe des arguments très forts pour utiliser le critère actualisé avec un taux δ strictement positif comme critère de choix intertemporel. En amont, ce critère vérifie en effet des axiomes particulièrement importants, en particulier la complétude et la stationnarité. En aval, il génère des trajectoires de croissance raisonnables dans des modèles de croissance simples dès lors que la valeur du taux d’actualisation de l’utilité n’est pas trop faible. Si ce taux est trop bas, les taux d’épargne optimaux se révèlent élevés et imposent aux générations présentes et futures des sacrifices que nous pouvons pour le moins qualifier de discutables. L’utilisation de ce critère rencontre néanmoins deux critiques :

- La critique « psychologiste » du critère actualisé présente un contenu empirique très fort, mais se heurte au problème de la cohérence dynamique des choix, qui nous semble une propriété indispensable pour un critère public de décision intertemporel. Reste par contre ouverte la question de la cohérence entre des préférences « hyperboliques » privées et un critère de décision public actualisé.

27 La forêt citée en exemple précédemment d’ailleurs d’un domaine privilégié dans lequel il serait possible de

tester le réalisme des modèles de décision actualisé et hyperbolique pour rendre compte des décisions effectivement effectuées par les forestiers.

28 Robert Solow se montre sceptique sur ce point : « Leaving aside all technical points, I have to say this does

not feel anything like the way policy is talked about or could be talked about in a democracy, especially since any current generation is notoriously bad at guessing what future generations will want or do. » (Solow, 1999).

- Les différentes critiques « éthiques » selon lesquelles il ne serait pas équitable d’affecter des poids différents aux utilités des différentes générations conduisent quant à elles à des solutions (« maxi-min » ou Chichilnisky) qui, si elles vérifient aussi des jeux d’axiomes raisonnables, ont des conséquences pour le moins discutables lorsqu’elles sont employées dans des modèles de croissance.

Plus globalement, nous pouvons nous interroger sur les raisons pour lesquelles les générations futures devraient être gratifiées d’un poids au moins aussi élevé que les générations présentes dans la fonction de bien-être intertemporelle. Notons bien qu’il ne s’agit pas ici de principes que nous tenons comme des impératifs catégoriques non discutables (respect de la dignité ou de la vie humaine par exemple) : il n’existe pas de droit imprescriptible des générations futures à disposer d’un poids plus ou moins élevé dans une quelconque fonction d’utilité sociale intertemporelle (Godard, 1999). De fait, nous sommes fondès à examiner à la fois les principes logiques sur lesquels s’appuient en amont ces critères et quels sont les conséquences pratiques de leur utilisation en aval dans des problèmes de décision concrets29. Comme le dit Tjalling Koopmans (1965) « The underlying idea […] is that the problem of optimal growth is too complicated, or at least too unfamiliar, for one to feel comfortably making an entirely a priori choice of optimal criterion before one knows the implications of alternative choices. » (p.226).

Si l’on accepte ce point de départ, il nous devient possible de revenir sur la signification du taux d’actualisation de l’utilité δ. Dans la théorie de Koopmans, introduire un tel paramètre strictement positif traduit mathématiquement l’hypothèse sous jacente de complétude des choix. En tant que paramètre, δ pas d’autre signification. Par contre, le fait de donner à δ une valeur de l’ordre de 3% véhicule un choix normatif fort : nous considérons ce faisant qu’il est nécessaire de préserver des taux d’épargnes voisins de leurs valeurs actuelles. De fait, la dénomination de « préférence pure pour le présent » nous semble inappropriée. Elle suggère en effet l’idée que le paramètre δ est introduit pour privilégier la génération présente au détriment des autres. Or tel n’est pas le cas, et δ se présente plutôt comme une « préférence pour la complétude du critère ». Par contre, lui donner une valeur voisine de x% ou y% introduit un jugement de valeur sur les taux d’épargne acceptables à court terme par la génération présente. En ce sens, il est possible de dire que la valeur de δ mesure la « préférence pour le non sacrifice du présent ».

En définitive, la valeur du « taux de préférence pure pour le présent » traduit effectivement un choix qui relève de l’arbitrage entre court terme et long terme : il s’agit du choix d’un taux d’épargne plus ou moins élevé pour la première génération. Par conséquent, ce choix ne saurait résumer l’ensemble de la discussion sur l’arbitrage entre court terme et long terme. Ainsi, le fait que des générations futures puissent ou non subir des « pics » de coûts ne peut être contrôlé par le biais du « taux de préférence pure pour le présent ». Il nous faut donc maintenant poser de manière plus large la question de l’arbitrage court terme / long terme. C’est ce à quoi nous nous employons dans le prochain chapitre.

29

L’analyse économique joue ici le rôle d’un outil de mise en cohérence entre les critères mathématiques, les postulats sous-jacents et les conséquences des critères de décision. L’usage du langage mathématique devient ici naturel dans la mesure où il est précisément construit comme un outil capable de dire les cohérences entre diverses propositions. Son usage n’est cependant justifiée que s’il permet d’aboutir à la mise en relation de propositions simples et sur lesquels il est facile de porter un jugement.

Chapitre 6

De l’équité

intergénérationnelle à la nature de

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