• Aucun résultat trouvé

Où la modélisation économique rejoint la réflexion institutionnelle

Chapitre 7 Le protocole de Kyoto au défi du long terme

1.1. Les enjeux de l’élargissement

La plupart des Etats ne figurant pas au sein de l’Annexe B sont réunis pour la négociation au sein du groupe « G-77 plus Chine » qui, comme son nom ne l’indique pas, regroupe la quasi-totalité des 150 pays non-membres de l’annexe B3. Ce groupe est pourtant loin de former un ensemble homogène. La perception des risques climatiques comme des enjeux économiques est en effet très variée selon les pays. En outre, le degré d’information et les moyens mobilisés par les différentes délégations sont très différents, et souvent faibles pour des petits pays. Trois sous-ensembles principaux peuvent être distingués :

- Les pays AOSIS (Alliance Of Small Island States) présentent la particularité d’être menacés dans leur existence même par une possible montée du niveau des océans. Ils se font ainsi les avocats de mesures de réduction des émissions drastiques.

- A l’autre extrême, les pays producteurs de pétrole et en particulier ceux de l’OPEP4 voient dans le changement climatique une menace de capture de leur rente pétrolière. Ils se sont ainsi farouchement opposés à toute mesure visant à réduire les émissions de CO2, au point d’apparaître souvent comme pratiquant une obstruction systématique au processus de négociation.

- Les pays les plus importants, en particulier la Chine, l’Inde et le Brésil, se ménagent une marge de manœuvre propre que leur autorise leur poids économique, démographique et politique.

Malgré ces fortes dissensions, et un poids politique global relativement faible, les pays du G77 se retrouvent sur l’idée selon laquelle seuls les pays développés doivent prendre des mesures de réduction des émissions. Ils invoquent la responsabilité historique dans les émissions passées pour affirmer que les actions de réduction des émissions doivent être entreprises en priorité au Nord (Shukla, 1996, 1998). La Convention Cadre sur le Changement Climatique, ainsi que les décisions des différentes

1 Nous remercions Daniel Théry de nous avoir donné l’idée de ce chapitre, et pour ses commentaires perspicaces.

Nous remercions aussi Thierry Le Pesant pour ses relectures attentives.

2 Le lecteur en trouvera un résumé succinct dans l’introduction, et pourra se reporter au texte de Jean-Charles

Hourcade (1999) ou à l’ouvrage de synthèse de Michael Grubb (1999) pour une description plus détaillée.

3 Le groupe des 77 (G-77) a été créé le 15 juin 1964 par les soixante-dix-sept pays en voie de développement

signataires de la « Déclaration Commune des 77 pays » à la fin de la première conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (UNCTAD) à Genève (G-77, 1999). Ce groupe, dont le nom original est resté, compte aujourd’hui 133 membres. 18 Etats membres de l’ONU n’appartiennent ainsi ni à l’annexe B, ni au groupe de 77 : 9 républiques de l’ex-URSS (Arménie, Azerbaïdjan, Bélarus, Géorgie, Kazakhstan, Kyrgyzstan, Moldavie, Tadjikistan, Uzbekistan), l’Albanie, quatre micro Etats ainsi qu’Israël, le Mexique, la Corée du Sud et la Turquie.

4 L’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole réunit 13 Etats (Algérie, Arabie Saoudite, Emirats Arabes

Unis, Indonésie, Iran, Irak, Koweït, Libye, Nigeria, Qatar, Venezuela) qui représentaient 40% de la production mondiale de pétrole et 75% des réserves connues de brut en 1996.

COP et en particulier le Protocole de Kyoto leur auront donné raison sur ce point : en vertu du principe de « responsabilité commune mais différenciée », la CCUNCC établit ainsi que les pays développés doivent agir afin de « [démontrer] que les pays développés prennent l’initiative de modifier les tendances à long terme des émissions anthropiques conformément à l’objectif de la présente Convention […]. » (Article 4.2, alinéa a).

1.1.1.

La réalité des émissions

Si les émissions de CO2 des pays en développement représentaient en 1996 33,6% du total des émissions anthropiques de ce gaz depuis 1800, l’écart en termes de flux annuels est moins important (Marland et al., 1999). En 1996 en effet, les pays non annexe B représentaient 42% des émissions de CO2 fossiles (Marland et Boden, 1999).

0 1000 2000 3000 4000 5000 6000 7000 1751 1759 1767 1775 1783 1791 1799 1807 1815 1823 1831 1839 1847 1855 1863 1871 1879 1887 1895 1903 1911 1919 1927 1935 1943 1951 1959 1967 1975 1983 1991

Emissions annuelles de CO2 (MtC par an)

N O N A N N EX E B A N N EX E B

Figure 7.1 Emissions annuelles de gaz à CO2 des pays de l’annexe B (en noir) et non annexe B (en

gris) entre 1750 et 1996 (Source : Marland et al., 1999).

Les scénarios d’émissions futures prévoient dans leur très grande majorité une poursuite du « rattrapage » des émissions des pays de l’annexe B par celles des pays hors de l’annexe B. Les six scénarios de l’IIASA indiquent par exemple tous que les émissions annuelles des pays non annexe B pourraient dépasser celles de l'annexe B entre 2015 et 2030. La part des émissions des pays en voie de développement dans les émissions cumulées depuis 1800 progresse bien entendu plus lentement, mais elle dépasse 40% entre 2030 et 2040 et atteint 50% à la fin du siècle prochain, entre 2090 et 2100 (Nakicenovic et al., 1998, Morita et Lee, 1997).

Dans ce contexte, les modèles climatiques montrent qu’il n’est pas possible de mettre en œuvre une politique de réduction des émissions efficace sans impliquer les pays non annexe B. Supposons pour fixer les idées que les pays de l’annexe B décident et parviennent à appliquer dès 2020 un niveau d’émissions de 50% de celui de 1990. Même sous cette hypothèse extrême, si les émissions de CO2 des pays non annexe B suivent une trajectoire d’émissions moyenne comme par exemple celle du scénario IIASA & WEC A2, alors la concentration atmosphérique en CO2 atteindra tout de même 590 ppm en 2100 et ne pourra être stabilisée en dessous de 650 ppm. Si les pays de l’annexe B stabilisent leurs émissions au niveau de 1990, alors la concentration dépassera 630 ppm en 2100 pour une stabilisation au niveau minimal de 700 ppm. De tels niveaux de stabilisation des concentrations ne

sont acceptables que dans la mesure où les dommages du changement climatique sont supposés être relativement faibles, ce qui constitue, en l’état actuel des connaissances scientifiques, un jugement pour le moins risqué.

1.1.2.

Les enjeux à court et moyen terme

Au-delà du risque climatique à long terme, les pays de l’annexe B comme hors de l’annexe B ont des intérêts plus immédiats à un élargissement de l’annexe B. Pour les pays développés tout d’abord, nous pouvons résumer leurs motivations par trois considérations principales :

- Les risques de pertes de compétitivité : plusieurs analystes mettent en avant les risques de voir la compétitivité des industries grosses consommatrices d’énergie au Nord, mises en péril par l’imposition d’une contrainte sur les émissions de CO2 (Becker, 1999, Manne, 1999b). C’est cet argument qui sert de justification principale au Sénat Américain pour rejeter toute ratification du Protocole de Kyoto tant que les pays en voie de développement n’auront pas pris des engagements importants (résolution Byrd, 1997), même si les conséquences macroéconomiques de la mise en place d’une contrainte climatique dans les pays du Nord restent controversées.

- L’espoir de coûts plus faibles au Sud. La plupart des modèles économiques considèrent qu’il existe dans les pays en voie de développement des gisements importants d’opportunités de réduction des émissions à coût très faible. L’ouverture de l’annexe B aux pays du Sud couplée avec la mise en place de mécanismes de flexibilité pourraient ainsi diminuer la facture climatique dans des proportions importantes. Dans les principaux modèles rassemblés par l’OCDE en 1998, le prix des permis consécutif à la mise en place des objectifs de Kyoto passe ainsi en moyenne de 80$ à 35$ lorsque les pays du Sud entrent dans le marché (Van der Mensbrugghe, 1998).

- L’espoir de leadership technologique sur les technologies propres. Les pays en voie de développement, actuellement en phase de constitution de leurs équipements énergétiques, représentent un marché très important pour la vente de technologies propres.

Des considérations économiques à court et moyen terme incitent aussi les pays en voie de développement à entrer dans l’annexe B. Ces motivations sont cependant différentes de celles du Nord :

- En premier lieu, une partie des pays en voie de développement craint qu’une « conditionnalité environnementale » vienne s’ajouter à la liste des contraintes qui pèse sur l’aide au développement. Dans la même logique mais sous une forme différente, des risques de rétorsion de la part des pays du Nord à l’encontre des pays du Sud hors de l’annexe B ne sont pas à exclure (mise en place de normes environnementales sur le contenu carbone par exemple, double étiquetage des produits « propres » et des produits « sales », etc.).

- En second lieu, la position des pays en voie de développement hors de l’annexe B affaiblit leur pouvoir de négociation sur les termes mêmes de la Convention Climat. Dans ce contexte, les pays du Sud perçoivent un risque de « nouveau partage colonial » des droits à émettre, sur lequel ils n’auraient pas pesé, et qui leur serait un jour imposé de manière unilatérale.

- En troisième lieu, une partie des pays du Sud, et en particulier les plus riches, ne souhaitent pas se couper d’un marché international de permis d’émissions négociables et des technologies propres qui y seront associées.

Derrière ces éléments de motivation se cachent deux conceptions de l’équité différentes. Pour les pays du Nord, face à un problème global, tout le monde doit participer et personne ne doit y gagner indûment. Pour les pays du Sud au contraire, la responsabilité historique des pays développés les oblige à agir de manière plus importante et plus rapide que les pays en voie de développement. Les

pays du Sud estiment ne pas avoir à être freinés dans leur développement par un problème qui est d’abord de la responsabilité du Nord.

Les pays du Sud ne sont pas a priori opposés à un élargissement de l’annexe B. Mais, comme le stipule la communication du groupe des 77 du 5 juin 1998, « The rules governing the mechanisms, namely, activities implemented jointly, joint implementation, clean development mechanism and emission trading should be determined on the basis of equity, sustainable development and the other principles of the Convention » (G-77 & China, 1998). Nous retrouvons ici sous une forme moderne un débat ancien entre environnement et développement. Dans ce contexte, la négociation sur le Mécanisme de Développement Propre se révèle particulièrement importante. L’article 12 du Protocole de Kyoto qui crée ce mécanisme est en effet particulièrement ambigu, ce qui laisse une marge de manœuvre considérable pour construire un mécanisme de développement propre qui permette à la fois des réductions d’émissions et la mise en place de véritables programmes de développement (Mathy et De Gouvello, 1999)5.

1.2.

Coordination par les prix ou coordination par les quantités, le legs du

Outline

Documents relatifs