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Impacts différentiels de l’incertitude dans un monde avec des stocks de capital hétérogènes

l’évaluation des politiques climatiques

2.4. Simulations numériques

2.4.2. Impacts différentiels de l’incertitude dans un monde avec des stocks de capital hétérogènes

Ce qui importe du point de vue des politiques publiques est de comprendre comment l’incertitude peut affecter la distribution des coûts entre secteurs. C’est pourquoi nous analysons dans un premier temps la trajectoire de réduction des émissions stochastique optimale, puis les conséquences d’un retard de 20 ans dans le démarrage de l’action et enfin les conséquences d’une sous-estimation du taux de croissance des besoins en transport.

a) Trajectoire d’émissions optimale lorsque la contrainte est

incertaine

Nous représentons maintenant le problème de décision sous risque. Comme nous l’avons développé au chapitre 3, nous supposons que le plafond de concentration qui évite des dommages trop importants n’est connu qu’à partir d’une date future donnée, ici 2025. Avant cette date, nous disposons simplement d’un jeu de probabilités subjectives que le bon plafond de concentration soit de 450, 550 ou 650 ppm. Nous utilisons ici la distribution de probabilité a priori (1/3, 1/3, 1/3).

Les courbes d’émissions obtenues sont représentées sur la figure 6.4. La trajectoire de réduction optimale d’ici à 2025 nécessaire pour viser une cible 550 incertaine est plus basse que la trajectoire

certaine correspondante à la même cible. La raison est en que les coûts d’une action trop rapide si la cible s’avère finalement être 650 ppm sont plus que compensés par les coûts d’une accélération dans le cas où la cible finale serait 450 ppm. Le pourcentage de réduction des émissions globale passe ainsi de 4% à 14% en 2020. Nous retrouvons ici les mêmes ordres de grandeur numériques que ceux obtenus par Ha-Duong et al. (1997). Si, du fait de l’effet volume, la majeure partie de ces réductions d’émissions proviennent du secteur flexible, l’effort relatif des deux secteurs exprimé en pourcentage de réduction des émissions est du même ordre de grandeur à 10% dans le secteur rigide contre 16% dans le secteur flexible.

4000 5000 6000 7000 8000 9000 10000 11000 12000 13000 14000 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040 2045 2050

Emissions de carbone (MtC/an)

C650 C550 C450 ST450 ST650 ST550

Figure 6.4 : Trajectoires d’émissions optimales (MtC/an) soit en optimisant une fois pour toute dès 2000 (trajectoires C650, C550 et C450 en trait pointillé) ou en décision séquentielle (ST650, ST550, ST450).

b) Coûts d’un retard de 20 ans

Dans le scénario retardé (D), les politiques de réduction des émissions sont supposées ne prendre effet qu’à partir de 2020. La figure 6.5 montre que les niveaux de réduction des émissions dans chacun des secteurs dans les cas C550 et D550 ne diffèrent que très peu. Les coûts d’abattement ne diffèrent pas non plus beaucoup, ce qui confirme les résultats de HGH (le coût total actualisé passe de 1% à 1,03% de la consommation totale actualisée). Si nous nous intéressons maintenant aux profils de réduction des émissions, la trajectoire (D) reste sous la trajectoire (C) jusqu’en 2040 (secteur flexible) et 2075 (secteur rigide) avant de passer au dessus (avec un écart maximal de 9% observé dans le secteur flexible en 2055).

Lorsque le plafond est de 450 ppm par contre (figure 6.6), des différences importantes apparaissent entre les scénarios C et D : le secteur flexible doit en effet assumer un abattement très important, qui atteint 85% en 2045. L’explication de cette trajectoire abrupte se trouve dans le fait que nous avons atteint une limite physique : atteindre une concentration de 450 ppm en ne commençant qu’en 2020 requiert d’augmenter les économies de carbone de 380 MtC supplémentaires par an entre 2020 et 2040, ce qui représente un effort deux fois plus rapide que dans le profil d’abattements C450.

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040 2045 2050 2055 2060 2065 2070 2075 2080 2085 2090 2095 2100

Pourcentage de réduction des émissions par rapport à la référence

Secteur Rigide Secteur Flexible

Secteur Rigide (avec retard) Secteur Flexible (avec retard)

Figure 6.5 : Niveaux de réduction des émissions dans chacun des secteurs pour une cible à 550 ppm avec et sans retard de 20 ans de l’action. Les trajectoires marquées avec des carrés noirs représentent le secteur flexible. Les courbes en pointillés représentent le cas avec retard.

Ces résultats soulignent la non-linéarité de la réponse à la valeur de la concentration. Dans les cas C450 et C550 subsistait encore une marge de manœuvre pour éviter ou tout au moins limiter l’impact de l’accélération. Dans le cas D par contre, cette marge est réduite et l’inertie devient critique. D’où le fait que, dans les scénarios D450 et D550, le secteur flexible porte la majeure partie du fardeau additionnel.

L’évolution des profils d’abattement entre C et D est transposée mécaniquement en termes de coûts. Les coûts totaux actualisés augmentent très significativement de 3,6% de la consommation actualisée totale (cas C450) à 4,5% (cas D450). Le déplacement du pic de coûts est encore plus impressionnant : il passe de 6% en 2040 dans le scénario C450 à 15% en 2035 dans le scénario D450. De tels chiffres posent évidemment la question du réalisme d’un telle cible en concentration dès lors que l’on est seulement raisonnablement optimiste sur le progrès technique comme nous le sommes ici. Il est important de noter qu’en 2035, 84% des coûts dans le secteur flexible sont liés au renouvellement accéléré du capital.

Notons que la distribution temporelle des investissements nous montre aussi une propagation des investissements supplémentaires : le déplacement d’un investissement de la période t+1 à la période t entraîne en effet un nouvel investissement anticipé à la fin de la durée de vie des équipements, c’est-à- dire à la date t+ns.

En outre, cet exercice nous permet de souligner combien il peut être trompeur de ne s’intéresser qu’à des valeurs agrégées. Passer de C450 à D450 entraîne en effet une augmentation des coûts globaux de 25%, ce qui est déjà considérable, mais ce chiffre agrégé dissimule des coûts sectoriels beaucoup plus importants, qui sont porteurs des conséquences très lourdes sur le fonctionnement de l’économie.

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040 2045 2050 2055 2060 2065 2070 2075 2080 2085 2090 2095 2100

Pourcentage de réduction des émissions par rapport à la référence

Secteur Rigide Secteur Flexible

Secteur Rigide (avec retard) Secteur Flexible (avec retard)

Figure 6.6 : Niveaux de réduction des émissions dans chacun des secteurs pour une cible à 450 ppm avec et sans retard de 20 ans de l’action. Les trajectoires marquées avec des carrés noirs représentent le secteur flexible. Les courbes en pointillés représentent le cas avec retard.

2.4.3.

Discussion

Les expériences numériques présentées dans cette section débouchent sur deux résultats assez intuitifs. En premier lieu, il est optimal de commencer l’action rapidement dans les secteurs les plus inertes. En second lieu, en cas d’action retardée ou de sous-estimation de la croissance de ces secteurs, les coûts additionnels sont principalement supportés par le secteur flexible. En outre, et de manière peut être moins immédiate, le modèle STARTS 2 montre que le choc sur le secteur flexible s’avère rapidement très important, suggérant que l’effet de l’inertie du capital sur les coûts l’emporte, au moins à court et moyen termes, sur l’effet du progrès technique. En découlent trois implications majeures en termes de politiques publiques.

En premier lieu, ce résultat souligne le fait, déjà apparent dans la controverse entre Wigley et al. (1996) et Ha-Duong et al. (1997), que le niveau d’abattement agrégé n’est pas une mesure correcte de la pertinence ou de la non de l’action. En effet, un pays qui répondrait à ses engagements internationaux en réduisant ses émissions industrielles ou en installant des appareils électriques moins consommateurs sans toucher aux trajectoires de croissance dans les secteurs les plus rigides, et en particulier dans le domaine des transports pourrait ainsi être entraîné dans une stratégie très sous- optimale.

En second lieu, les règles d’allocation des quotas d’émissions entre pays au-delà de la première période budgétaire de 2008-2012 prévue par le Protocole de Kyoto, et les règles d’attribution des quotas d’émissions aux pays en voie de développement qui rejoindraient l’Annexe I après cette date, ne devraient pas être uniquement fondées sur des chiffres agrégés, mais prendre en compte la part relative des secteurs des transports et du BTP dans les émissions.

En troisième lieu, ces simulations conduisent à nous interroger sur la capacité d’un marché de permis d’émissions négociables de déclencher à temps les réductions d’émissions dans les secteurs les plus rigides. En effet, en l’absence de mesures structurelles d’accompagnement dans le domaine de la planification urbaine ou dans les transports, il est probable qu’un prix des permis faible sur les

premières périodes ne sera pas en mesure de générer un infléchissement significatif des courbes d’émissions dans ces domaine. Or, si dans un second temps le prix des permis augmente de manière drastique, l’industrie sera alors forcée de supporter l’ensemble du choc. Ce point est d’autant plus important que nous n’avons considéré dans notre modèle que l’inertie liée à la durée de vie des équipements, et que nous avons passé sous silence les dynamiques auto-renforçantes qui pourraient limiter encore plus la réaction du secteur rigide à un signal prix faible.

Ces analyses restent cependant préliminaires, en particulier du fait de l’agrégation en deux secteurs qu’elles proposent. Des travaux plus désagrégés sont nécessaires pour comprendre comment un système de permis d’émissions négociables est susceptible de fonctionner dans un monde au stock de capital très hétérogène, et quelles sont les mesures d’accompagnement nécessaires pour réduire l’écart entre le signal prix de court terme et les adaptations techniques dans les secteurs dans lesquels les prix de l’énergie ne sont pas le moteur dominant des comportements et des choix publics.

Conclusion

A la rhétorique de l’actualisation, nous avons maintenant substitué une vision enrichie du rapport court terme / long terme qui met au cœur du débat la tension entre incertitudes sur le changement climatique et nature de l’héritage que nous laissons à nos enfants :

- Du fait de l’incertitude sur les comportements de nos descendants, il est illusoire de vouloir imposer un niveau de concentration atmosphérique en GES à long terme. Le seul point de repère tangible dont nous disposions est de conduire des politiques climatiques telles que nos enfants soient placées au mieux pour répondre au risque climatique, au moins tel que nous l’envisageons aujourd’hui.

- Du fait de l’incertitude sur les coûts et les dommages du changement climatique, ce qui compte dans l’héritage que nous leur transmettons n’est pas seulement le niveau de richesse ou le niveau d’émissions que nous leur laissons, mais aussi le degré de flexibilité que nous leur transmettons. Pour employer une métaphore mathématique : non seulement l’état de l’économie x et l’état de l’environnement e comptent, mais les dynamiques x•, e• et ∂x/∂e, soient respectivement les dynamiques de croissance, d’émissions et les coûts marginaux d’abattement importent elles-aussi.

Ce changement de point de vue nous oblige à dépasser les grandeurs agrégées pour entrer dans la description plus fine des systèmes techniques. Nous avons ainsi rencontré deux éléments qui concourent à la plus ou moins grande flexibilité que nous transmettons à nos descendants. La durée de vie du capital des équipements constitue une première source de rigidité, dans la mesure où toute réduction rapide des émissions peut demander de procéder à une mise au rebut anticipée des équipements et donc à des investissements très importants à une période donnée. Le modèle STARTS 2 que nous avons développé dans la seconde partie nous a montré que les coûts d’un retard de l’action pouvaient alors se révéler très élevés. En second lieu, les dynamiques auto-renforçantes telles que les rendements d’échelle croissants ou les mécanismes d’apprentissage conduisent les marchés à renforcer spontanément le premier choix au-delà d’une certaine limite. L’arbitrage entre dictature du présent et dictature du futur se révèle ainsi irréductible à un seul coefficient, et nécessite au contraire un examen détaillé du contenu de ce que nous transmettons.

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