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2.3.4 « Petit-Bazar »

3. Représentations de l’allemand

3.2 Le statut de l’allemand

3. Représentations de l’allemand

3.1 Représentations d’une langue

Comment se fait-il qu‟on veuille apprendre ou non une langue étrangère ? Ce sont les représentations que l‟on s‟en fait qui vont déterminer ce choix. De nombreuses recherches se sont penchées sur la question des représentations des langues :

En linguistique et en didactique des langues, également, plusieurs courants ont recours à la notion de représentation. Les sociolinguistes, en particulier, ont mené de nombreux travaux sur les attitudes et représentations des sujets vis-à-vis des langues, de leur nature, de leur statut ou de leurs usages par exemple (voir notamment Lafontaine 1986 et Matthey 1997b.). (Castellotti et Moore, 2002, p.9).

Castellotti et Moore (2002) mettent en avant les représentations sociales que chacun d‟entre nous fabriquons sur les langues que nous apprenons : « Les images partagées, qui existent dans un groupe social ou une société, des autres et de leurs langues peuvent influencer les attitudes envers ces langues et finalement l‟intérêt des apprenants pour ces langues. » (p.6) Mais ces attitudes peuvent-elles influencer l‟apprentissage de ces langues, en plus de l‟intérêt que nous leur portons ? Nous partons de l‟idée que oui. Selon nous, si nous nous représentons une langue de façon positive ou négative, cela aura une influence sur son apprentissage.

Les élèves concernés par cette recherche vont apprendre une nouvelle langue dès la rentrée scolaire 2010 : l‟allemand. Pour les élèves monolingues, ce sera l‟apprentissage d‟une deuxième langue et pour les élèves bilingues, d‟une troisième langue. Il est intéressant d‟interroger ces élèves avant qu‟ils entrent dans l‟apprentissage de l‟allemand, pour en dégager les représentations qu‟ils s‟en font et observer l‟influence produite par celles-ci lors des leçons d‟allemand. Pour ce faire, il nous semble nécessaire de les interroger sur le statut qu‟ils ont de la langue et de sa culture, sur son apprentissage et sur eux-mêmes dans le processus d‟apprentissage de la langue. Pour pouvoir ensuite étudier leurs représentations, il faudra faire des liens avec le vécu personnel de l‟élève, son âge, le contexte socioculturel (ici le contexte suisse romand) sans oublier ses débuts d‟expériences de l‟apprentissage de l‟allemand dans le contexte de sa classe (De Pietro, 1994). Les attitudes apparentes en classe lors des leçons d‟allemand, rattachées aux représentations de la langue sont également à mettre en lien dans notre travail. En effet, les représentations des élèves sur l‟allemand influent-elles sur les attitudes en classe ? Nous chercherons à y répondre.

3.2 Le statut de l’allemand

Lüdi & Py (1986) pointent du doigt le fait que « le statut des langues dépend du milieu où elles entrent en contact. » (p.17) Ces auteurs prennent comme exemple l‟espagnol qui joue un rôle culturel sur le plan international dans le cas du bilinguisme espagnol et guarani au Paraguay alors qu‟il ne présente qu‟un statut communicatif régional peu glorieux dans le cas des mexicains bilingues du Sud des Etats-Unis par exemple.

Les langues en tant que phénomènes sociaux possèdent des statuts divers (prestige, hiérarchie, reconnaissance). Dans une situation donnée, certaines langues sont reconnues, officielles, d’autres délaissées, voire occultées.

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Il est important de saisir que le statut d’une langue varie selon la situation : l’espagnol, par exemple, est langue officielle pour plus de 300 millions d’habitants dans le monde, mais il n’a souvent en Suisse qu’un statut « marginal », considéré comme une langue de migrant, souvent minorisée. (EOLE, 2003, 5-6e, p.293)

Toute langue revêt donc une importance, comme nous l‟avons vu, selon le statut qu‟on lui accorde. Si nous prenons le cas de l‟allemand standard, celui-ci ne sera pas perçu de la même manière en Suisse alémanique qu‟en Suisse romande. Effectivement, la perception se fait en fonction de nombreux facteurs comme le contexte socioculturel : un suisse allemand portera un regard différent sur la langue allemande puisqu‟il doit la connaître en tant que langue seconde et de part sa proximité avec l‟Allemagne à ses frontières, ce qui n‟est pas le cas d‟un suisse romand qui se sentira éloigné géographiquement de l‟Allemagne et percevra moins l‟importance de l‟apprendre. Toutefois, malgré cette proximité, les suisses allemands ne montrent pas forcément une appréhension « positive » de la langue puisque l‟allemand est la langue dans laquelle ils sont « obligés » de lire et écrire le plus souvent puisque le suisse allemand n‟est pas utilisé officiellement et est peu employé dans la littérature. Il faut donc également prendre en compte le statut sociolinguistique donné à la langue maternelle par rapport au statut porté à la langue à apprendre et à sa proximité. En effet, si nous n‟avons aucun intérêt à apprendre l‟allemand, cela s‟en ressentira dans l‟apprentissage.

La distance linguistique interlangue joue également un rôle. Par exemple, la distance entre le français (langue romane) et l‟allemand (langue germanique) peut ne pas faciliter l‟acquisition de la langue car elles n‟appartiennent pas au même groupe. A ce propos, Dolz &

Gagnon (2008) vont plus loin en expliquant que :

Pour l’apprenant, la proximité et la distance entre les langues, le statut sociolinguistique ainsi que le statut implicite intériorisé jouent un rôle essentiel. Si l’assimilation d’une langue étrangère peut prendre appui sur la langue première de l’apprenant et en retour exercer sur elle une influence au cours du développement, c’est parce qu’elle ne suit pas la même voie de développement que la langue maternelle et donc, que sa force et sa faiblesse diffèrent. Du point de vue communicatif, certaines langues montrent une transparence entre elles, ce qui facilite l’intercompréhension. Il est généralement reconnu pour les langues romanes que l’apprentissage d’une de ces langues par un locuteur de ce même groupe est facilité. (p.143)

Un danois (langue germanique) devrait donc avoir plus de facilité pour apprendre l‟allemand, qu‟un chinois (langue sinitique) par exemple. Rappelons que dans notre recherche, nous nous trouvons en présence uniquement de langues romanes dans la classe de milieu populaire (portugais et espagnol) et dans la seconde classe, face à des langues romanes (italien), germaniques (anglais) et slaves (russe). Ce sont donc logiquement les élèves anglophones qui devraient montrer le plus d‟aisance dans l‟apprentissage de l‟allemand.

3.2.1 Le contexte social de l’allemand et l’influence de l’âge sur les représentations

L‟allemand est une des trois langues nationales suisses. On apprend que « dans le contexte européen, l‟allemand est parlé par 100 millions de personnes et joue de ce fait un rôle important dans l‟Union Européenne. » (Cycle d‟orientation de l‟enseignement du secondaire, 2003, p.12) C‟est une langue qui est valorisée par la politique mais pas socialement. C‟est un fait, la langue allemande est souvent perçue négativement par la population suisse.

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Même dans une de ses recherches, De Pietro (1994) a tenté de comparer les connotations attribuées à l‟Allemagne en les comparant à celles allouées à la Grande-Bretagne et voici sans nul étonnement ce qui en ressort :

Lorsque l’on compare les résultats pour l’Allemagne et pour la Grande-Bretagne, et sans entrer trop dans les détails, il ressort immédiatement – comme on pouvait d’ailleurs s’y attendre d’après l’évaluation de la beauté des langues – que les connotations affectives attribuées aux mots fournis pour la Grande-Bretagne sont assez nettement plus positives.

(p.97)

Prenons le cas de la Suisse romande qui est probablement l‟une des régions non germanophone où la langue allemande est la plus utile, de part l'importance économique de la Suisse alémanique :

Pourtant, les résistances à l’allemand sont particulièrement fortes en Suisse romande, qu’elles soient d’origines politique, historique ou économique. C’est pourquoi le dépassement de certains préjugés fondés sur des clichés qui ont la vie dure devrait faire partie de l’éducation de tout citoyen romand. Une étude du Département de l’économie publique de l’Université de Genève (Grin et Sfredo, 1997) révèle par ailleurs qu’à formation, âge et expérience comparables, la pratique de l’allemand ouvre davantage de débouchés et généralement mieux rémunérés que la seule connaissance de l’anglais. (Cycle d‟orientation de l‟enseignement du secondaire, 2003, p.12)

Malgré cela, en Suisse romande, « les représentations que les élèves romands se font de l‟Allemagne et de la langue allemande sont connotées de manière plus négatives que celles de leurs camarades bulgares et français. » (De Pietro, 1994, p.89). Pourquoi cela ? Tout d‟abord parce que les apprenants rattachent la langue allemande « avec leurs représentations sur l‟Allemagne, elles-mêmes en relation avec celles élaborées à propos de la Suisse alémanique et de ses habitants. » (Castellotti et Moore, 2002, p.11). La représentation négative attribuée à la langue allemande serait donc liée à la vision de l‟Allemagne mais également de la Suisse alémanique. Cela est confirmé par De Pietro (1994) qui rapporte que « les jugements portés sur les langues renvoient en fait dans une large mesure à des jugements sur les locuteurs de ces langues et sur les pays dans lesquels elles sont parlées. » (p.94) Il va jusqu‟à préciser en quoi les suisses allemands sont l‟objet de représentations conflictuelles chez les romands :

Les représentations de la Suisse allemande renvoient au moins à deux sources différentes :

- des éléments fortement stéréotypés qui expriment une vision « carte postale » traditionnelle (lacs, montagnes, fromage, chocolat, Appenzell, payan, etc.) ou une évaluation négative (bornés, lourds, totos, etc.) ;

- des éléments qui témoignent d’une connaissance de la Suisse alémanique actuelle, à travers une expérience personnelle (mon papa, ma tante, copine, etc.) ou non (drogue, Platzspitz, écologie, etc.) (p.101)

Il est donc intéressant d'approfondir le sujet dans notre étude, en voyant comment les élèves du primaire genevois, à leur âge (9-10 ans) perçoivent et considèrent l‟allemand avant même de l‟apprendre. A ce propos, l‟influence de l‟âge sur les représentations nous semble aussi être un facteur essentiel à prendre en compte. Pietro (1994) a pu observer « que l‟âge des élèves influençait leurs représentations et attitudes. » (p.102)

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En effet, il paraîtrait qu‟avec l‟âge, les jugements neutres ou indécis diminueraient et deviendraient plus clairs et que les connotations attachées aux représentations coïncideraient avec l‟âge de l‟élève : « Europapark pour les élèves de 11-12 ans, mais aussi du thème de la guerre pour ceux de 14-15 ans, de la bière, et de l‟alimentation, pour les plus âgés, etc. » (p.102)

3.2.2 Le contexte scolaire de l’allemand

L‟allemand est la deuxième langue étrangère apprise à l‟école primaire dès la troisième primaire. Les élèves choisis pour l‟expérimentation de notre recherche seront soumis à un entretien en début d‟année dans le but de connaître les représentations qu‟ils ont de l‟allemand avant d‟entrer concrètement dans son apprentissage. Ont-ils une représentation plutôt négative de cette langue comme le présentent les recherches sur la question, dans le contexte suisse romand ? (De Pietro, 1994). Ces représentations initiales que l‟on pourrait qualifier d‟a-prioris puisqu‟elles n‟ont pas été mises à l‟épreuve de l‟apprentissage, proviennent-ils du discours tenu par les parents ou encore par celui tenu par l‟école ? Ces représentations ont-elles un impact sur les attitudes en classe ? C‟est ce à quoi nous tenons à répondre au travers des entretiens et par l‟observation de leçons. Nous nous attarderons par la suite aux représentations et attitudes face à l‟allemand chez les élèves primaires et enseignants genevois, puisque c‟est ce contexte socio-culturel qui nous intéresse. Toutefois, il faudrait que cette émergence des représentations et attitudes des élèves face à l‟allemand soient verbalisées et discutées pour pouvoir les dépasser au sein de la classe dans un but également de décentration de la langue première (ici le français) sur l‟allemand. Ce travail pourrait être entrepris dès le plus jeune âge des élèves car « la tolérance linguistique, comme la tolérance raciale, ne vient pas naturellement. Il faut l‟éduquer. Il n‟est pas du tout facile de sortir de sa langue maternelle et de la voir en perspective. » (Hawkins, 1985, p.97, cité par De Pietro, 1994, p.107)