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2.3.4 « Petit-Bazar »

6. Analyse des données

6.6 Et l’enseignant, dans tout ça ?

Après la récolte d‟informations auprès des élèves, et nos constats peu conclusifs sur les résultats des entretiens et observations de leçons, nous avons décidé de faire passer un dernier questionnaire non plus aux élèves mais aux enseignants dans le but de connaître leurs représentations de l‟allemand. Pourquoi cela ? Principalement, parce que nous n‟avions pas remarqué de différences significatives dans l‟apprentissage du vocabulaire allemand entre les élèves bilingues et monolingues. Nous avions également remarqué que les enseignants avaient des pratiques différentes pour enseigner l‟allemand et nous n‟avions pas trouvé anodin le fait que dans la classe B, l‟enseignant titulaire se fasse remplacer par une de ses collègues pour cette discipline. Cet enseignant semblait en outre ne pas apprécier l‟enseignement de l‟allemand. Il nous fallait donc vérifier si les pratiques enseignantes entretenaient des liens avec les représentations de l‟allemand.

Les enseignants de cette recherche étaient au nombre de trois. Nous avons pu établir des profils d‟enseignants différents au vu des résultats obtenus au travers des questionnaires avec des représentations et des influences diverses sur l‟apprentissage de l‟allemand. Pour la classe A (école de milieu socio-économique « favorisé »), il s‟agissait d‟une enseignante expérimentée (Julie : environ 50-60 ans). Pour la seconde classe (classe B, école de quartier populaire de Genève), il y avait deux enseignants : l‟enseignant titulaire (Greg : peu expérimenté, environ 25-30 ans) et une enseignante de sixième primaire (Charlotte : expérimentée, environ 35-40 ans) qui venait enseigner l‟allemand dans sa classe pendant que lui, prenait la classe de sixième primaire en charge.

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Greg est de langue maternelle française. Il a appris l‟allemand, l‟anglais et l‟espagnol.

Charlotte est également de langue maternelle française. Elle pratique aussi l‟anglais avec ses amis. L‟apprentissage de l‟allemand et l‟anglais l‟a toujours intéressée car elle est « attirée par l‟apprentissage des langues. ». Julie est de langue maternelle française (avec un père suisse, du canton du Valais) et de langue seconde allemande (avec une mère autrichienne).

Leurs compétences et la formation suivie en allemand par chacun, ne sont pas semblables. Effectivement, Greg a le niveau B2 en allemand, Charlotte le niveau C1 après avoir passé un certificat d‟allemand et Julie le niveau B1-B2. Cette dernière s‟explique à ce sujet : « j‟ai beaucoup oublié depuis la matu, mais je peux réactiver avec de l‟entraînement.

J‟ai d‟ailleurs regardé chaque jour une émission en allemand sur internet durant l‟été pour me préparer à la 3P » Au niveau de leur formation en allemand, Greg a suivi les cours de LME (Licence Mention Enseignement), Charlotte a appris l‟allemand à l‟école primaire fribourgeoise et a suivi par la suite le recyclage Tamburin. Quant à Julie, elle a obtenu le brevet genevois et a appris l‟allemand au cycle d‟orientation.

Au niveau des expériences vécues en allemand, Greg a eu des contacts avec la langue en participant à un échange linguistique en allemand pendant une semaine lorsqu‟il était collégien. Il trouve que l‟anglais est plus facile et plus utile que l‟allemand. Charlotte s‟est retrouvée confrontée à cette langue au moment de l‟enseignement. Julie, elle, a été immergée dès sa jeunesse par la pratique de l‟allemand, avec ses parents qui sont germanophones et pour enseigner. Elle a vécu des expériences linguistiques avec sa famille.

Charlotte, qui prend en charge la classe durant les leçons d‟allemand est une enseignante expérimentée dans le domaine des langues.

Durant ses 15 ans d‟enseignement, elle a enseigné une année au cycle élémentaire, douze ans au cycle moyen et deux ans en classe bilingue français-anglais. Julie est également une enseignante expérimentée. Elle a enseigné 30 ans au cycle élémentaire et c‟est sa première année d‟enseignement dans le cycle moyen.

Charlotte garde une vision négative de l‟enseignement qu‟elle a suivi en allemand et déplore : « Mon professeur parlait la plupart du temps en français. » Julie se souvient quant à elle avoir été motivée par les cours d‟allemand : « j‟avais une image positive au secondaire I et II. J‟avais envie d‟apprendre cette langue qui ressemblait à mon dialecte. »

Quant à leur appréciation de l‟enseignement de cette langue, Greg avoue ne pas aimer enseigner l‟allemand et explique ses raisons : « C‟est une langue qui ne me parle pas! Ça m‟embête et je sens que j‟ai de la difficulté pour la parler, alors ça ne me facilite pas la tâche ». Charlotte, quant à elle, apprécie enseigner l‟allemand en ajoutant : « J'ai toujours été intéressée par l'enseignement des langues à l'école primaire. Le fait d'entrer dans une culture différente par les langues, je trouve cela intéressant, peu importe la langue. De plus, nous vivons entourés de personnes de langue allemande dans notre pays. Nous communiquons beaucoup en anglais par le net. L'intérêt se trouve aussi dans la comparaison des langues (racines...). » Julie apprécie également enseigner l‟allemand : « C‟est une langue que j‟aime bien. » Nous pensons à ce propos, que les conditions d‟apprentissage des élèves seraient plus favorables si l‟enseignant avait une vision positive de l‟allemand et aimait l‟enseigner. Il ne s‟agirait donc pas simplement d‟influence du milieu social qui affecterait l‟apprentissage des élèves mais aussi de l‟enseignant lui-même et des représentations de la langue enseignée qui l‟accompagne. Le rôle de l‟enseignant prend ici tout son sens sous l‟angle d‟analyse du triangle didactique décrit par Dolz & al. (2009) formé de ses trois pôles

(Enseignant-Elève-123

Savoir) (cf. figure 3) :

La didáctica de las lenguas es una disciplina que estudia los fenómenos de enseñanza y de aprendizaje de las lenguas y las complejas relaciones entre los tres polos del triángulo didáctico: profesor, alumno y la lengua o las lenguas enseñadas. La didáctica de las lenguas aborda las interrelaciones y las interdependencias entre estas instancias que constituyen una totalidad organizada, denominada sistema didáctico. (Dolz & al., p.118)

Figure 3 : le triangle didactique selon Chevallard (1985)

Si l‟on suit ce schéma, les relations établies entre chaque pôle sont dyadiques, par exemple le pôle « élève  savoir (plus précisément la langue allemande) » induirait des stratégies d‟apprentissage développées par l‟élève (avec ses représentations de l‟allemand) face au savoir, pôle que nous avons traité plus haut. Cependant, nous avons vu que ce pôle n‟influe pas énormément sur l‟apprentissage du vocabulaire.

Penchons-nous alors sur le pôle « enseignant  savoir » qui, à notre avis, a énormément influé sur le rapport entretenu par les élèves face au savoir. Les enseignants ayant tous trois des représentations diverses de l‟allemand, chacun a apporté une approche différente de l‟enseignement de l‟allemand au sein de la classe et donc a probablement modifié les rapports sur l‟allemand chez les élèves.

Concernant l‟enseignement du vocabulaire, Julie explique qu‟il faut « (…) beaucoup réactiver, et prendre le temps d‟écouter chaque élève, le plus souvent possible. » et qu‟il faut le travailler « en jouant et en mimant. » Julie explique qu‟il faut enseigner aux élèves débutant l‟allemand « Du vocabulaire de Tamburin, de la classe, de l‟école, des histoires, des poésies et des chants. » Greg pense également qu‟il faut enseigner aux élèves de 3P, du vocabulaire propre aux « choses qui les entoure. » et qu‟il faut le travailler par la « répétition ». Pour Charlotte, la communication orale est un point fondamental pour travailler le vocabulaire avec des élèves de 3P par le biais « des salutations, la présentation, les nombres, les couleurs (…) et la conjugaison des verbes simples. » Selon elle, le vocabulaire doit beaucoup se « pratiquer à l‟oral » en l‟utilisant, en le redisant et en le répétant. Charlotte explique que pour des élèves de 3-4P, il faut « utiliser la langue allemande au maximum durant les leçons et utiliser le voc à l'oral de façon répétitive » au moyen de rituels. Traitons à présent des pratiques de chaque enseignant afin de les comparer.

Pour débuter chaque leçon, Julie annonce les cours en allemand et saluent les élèves (« Guten Tag. Jetzt haben wir Deutsch. Nehmt euer Buch. (…) Nehmt das Buch an Seite acht. » (Leçon 1)) Greg annonce aussi les leçons en allemand. Charlotte salue les élèves en allemand et établit des comparaisons entre les langues comme dans la leçon 2 où elle fait une

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comparaison sur les façons de se saluer en allemand avec le suisse-allemand. Elle tente de faire parler les élèves en allemand au maximum en leur posant des questions (Wie heißt du ? Wo wohnst du ? Wie geht es dir ?...) Si les élèves n‟arrivent pas à s‟exprimer en allemand, Charlotte leur traduit ce qu‟ils veulent dire en allemand.

Au niveau de la langue de communication, Julie demande à ses élèves de parler en allemand. Julie et Charlotte parlent également souvent en allemand pour s‟exprimer avec les élèves. S‟ils ne comprennent pas, elles traduisent alors en français. Greg quant à lui alterne ses propos en français-allemand mais utilise plus fréquemment le français pour s‟exprimer.

Au moment de proposer des exercices par exemple, Julie fait traduire les consignes par les élèves, ce que fait également Greg. Lors du travail d‟écoute, Julie cherche à ce que les élèves en traduisent le contenu. Charlotte quant à elle, effectue un travail sur l‟image (dans le livre) avant de travailler sur le contenu du dialogue. Par ailleurs, Julie et Charlotte essaient de travailler au maximum les jeux en collectif avant de faire jouer les élèves en plus petits groupes. Lors de la leçon 2, notons que Julie n‟a pas hésité à sortir hors des murs de la classe pour jouer collectivement avec les élèves : « Si vous savez bien, on va tous jouer dans le couloir. ».

Pour travailler le vocabulaire, Julie varie les supports et rend cet apprentissage ludique.

Lors des leçons, elle utilise beaucoup le mime pour désigner les choses ou pour compter en montrant ses doigts par exemple. Elle utilise comme support principal de transmission

lexicale, le tableau noir pour y mettre des images, pour y dessiner, écrire des mots.

Greg utilise aussi le tableau noir pour traduire des phrases ou des expressions en allemand par exemple comme « Nein, falsch », « Ja, richtig. ». Lors de la deuxième leçon, Julie explique, au moyen du tableau noir sur lequel elle écrit : « Ich weiss », que le double “s“ en allemand, s‟écrit “ß“. Elle explique que c‟est “spécial en allemand“ et elle traduit ce qu‟elle a écrit au tableau noir par “je sais“. Julie l‟utilise aussi pour faire un travail de traduction : « J‟écris quelque chose au tableau (“Wir malen nicht“). Si vous comprenez ce que j‟écris, levez la main. » ou encore lorsqu‟elle a fait découvrir le verbe sein en écrivant et faisant traduire une à une les trois premières formes du verbe par les élèves. Elle cache ensuite les pronoms pour faire répéter les élèves. Greg a également travaillé le verbe sein en se servant du tableau noir, en y inscrivant quelques formes avec leur traduction. Il a travaillé les formes en collectif tout comme Julie en passant par la communication : « Ich bin Greg. Du bist An-Lu. » En partant du verbe sein, il a également pu travailler le verbe heißen (s‟appeler). Pour apprendre les chiffres, Julie a montré les faces d‟un dé et les élèves répètaient à haute voix le chiffre indiqué : la classe entière dans un premier temps puis par groupe de 4 élèves. Ensuite, Julie a écrit au tableau noir “eins“ et les élèves devaient montrer sur leurs doigts combien cela faisait.

Idem avec “zwei, vier, drei, sechs“. Charlotte a travaillé également les chiffres avec les élèves en leur montrant ses doigts et a dit la comptine à voix haute en la mimant et en la traduisant ensuite en français. Lors de la leçon 5, les élèves ont pu retravaillé avec Julie les chiffres 7 à 12 de différentes façons : lentement, rapidement, en les murmurant, etc. Pour travailler les expressions pour se saluer, Julie a ouvert le tableau noir sur lequel était posé des images avec les expressions à côté. Les élèves répètaient chaque expression. Julie a ensuite repris chaque image qu‟elle a donnée à un élève différent dans le but qu‟il dise la bonne expression.

Lors de la leçon 4 qui comportait l‟apprentissage des différentes manières de se saluer en allemand, Julie a fait un travail métalinguistique avec les élèves en comparant les différentes façons de se saluer en allemand avec l‟anglais : « Avec toutes ces expressions, y a quelque chose de spécial qu‟on fait pas français. Qui peut me dire quoi ? » pour mettre en avant le fait qu‟en allemand et anglais, on distingue les trois moments de la journée par les

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salutations (matin, après-midi, soir). Julie demande alors aux deux élèves anglophones (Zo et Vic) comment on se salue pour le matin, l‟après-midi et le soir en anglais: « Je pense à une langue que Zo et Vic parlez. » Greg quant à lui, a présenté les différentes façons de se saluer aux élèves au tableau mais n‟est pas parti de leurs idées pour marquer le fait qu‟il y a trois manières différentes pour se saluer dans la journée. Charlotte quant à elle travaille davantage sur la comparaison des langues des élèves avec l‟allemand comme durant la leçon 4, animée par Greg, où Charlotte fêtait son anniversaire dans sa classe et est venue un court instant saluer les éléves de Greg lors de la leçon d‟allemand. Charlotte a demandé aux éléves comment on souhaitait bon anniversaire en portugais et espagnol avant de leur expliquer comment on le disait en allemand.

Lors de la première leçon, Julie a pris le temps de regarder avec chaque élève, en collectif, quelles avaient été les stratégies utilisées par chaque élève pour apprendre le vocabulaire. Lors de la deuxième leçon, Julie n‟a pas demandé aux élèves quelles étaient les stratégies utilisées mais a mis les élèves sur la piste : « Regardez bien le tableau. Faîtes-vous une photo du tableau. Vous mettez dans votre tête. Vous récitez. Essayez de fermer les yeux pour voir si vous voyez et entendez tout.» ou encore pour faire un exercice : « Vous allez mettre les bandelettes devant vous et quand vous utilisez un mot, vous le biffez » Julie guide les élèves dans ce qui pourrait leur servir de support pour faciliter la mise en oeuvre des exercice : « Also, Seite 11, da Unten. Zahlen, ça veut dire “chiffres“. Vous devez écrire “f nf“

etc. Vous avez le droit de vous aider de l‟ex. 10 ou du tableau noir. Je ne veux pas d‟erreur de copie. Si on se souvient vraiment plus où regarder, où peut-on regarder ? », ce qu‟elle refait lors de la quatrième leçon. Greg et Charlotte n‟ont pas eu le temps de verbaliser les stratégies d‟apprentissage des élèves lors des leçons.

On remarque donc que les pratiques de Julie et Charlotte sont celles qui se ressemblent le plus l‟une de l‟autre au travers du travail communicatif mené avec les élèves et la façon de travailler le vocabulaire. Julie varie toutefois davantage les supports proposés aux élèves et se focalise plus sur le travail métalinguistique. Charlotte travaille plus quant à elle, sur les comparaisons entre langues, ce que Greg ne travaille pratiquement pas avec ses élèves.

Par les différences de pratiques d‟enseignement, nous pouvons voir que les deux enseignantes sont plus expérimentées que l‟enseignant, novice dans l‟enseignement de l‟allemand et qui suit de façon plus rigoureuse la méthodologie proposée sans trop s‟en écarter, ce qui est compréhensible en début de carrière. Elles accordent également davantage de place aux langues de la classe en faisant des liens dans leur enseignement comme c‟est le cas de Julie lorsqu‟elle tente de faire des comparaisons avec l‟anglais ou Charlotte avec le portugais et l‟espagnol. Il y a donc une question d‟expérience du métier qui peut entrer en compte dans la pratique. Toutefois, au travers des pratiques de chacun, nous ressentons également l‟influence que jouent leurs représentations de l‟allemand sur leur enseignement.

Pour clôre ce chapitre, en ce qui concerne le rôle des enseignants, il nous paraît important de rappeler qu‟ils ont donc une grande responsabilité dans la transmission non seulement des savoirs, mais de l‟attitude à adopter face à l‟allemand car l‟enseignant a un impact face au savoir et donc sur son enseignement. La perception et les représentations qu‟il entretient face à l‟allemand jouent un rôle primordial. Si l‟enseignant fait preuve d‟une attitude positive ou négative face à l‟allemand, cela s‟en ressentira dans son enseignement de la langue. Toutefois, n‟oublions pas le facteur « parents » qui a, selon nous, dû également influé sur les représentations de leurs enfants. Malheureusement, nous n‟avons pas pu proposer un questionnaire ou un entretien aux parents des élèves de notre échantillon.

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En observant ces trois pratiques enseignantes, nous avons également pu prendre conscience de l‟importance qu‟a l‟enseignant dans le développement des stratégies d‟apprentissage lors des leçons que ce soit pour effectuer les exercices demandés mais également pour apprendre le vocabulaire allemand. Si l‟enseignant ne cherche pas à verbaliser les stratégies des élèves, celles-ci ne seront pas exprimées spontanément par les élèves.

Cyr (1998) expose les étapes que les enseignants devraient suivre pour développer au mieux les stratégies d‟apprentissage de leurs élèves :

L’entraînement à l’utilisation de stratégies d’apprentissage comporte par la suite un certain nombre d’étapes qui relèvent principalement de l’enseignant. Les auteurs s’entendent généralement pour énumérer les étapes suivantes : observer d’abord les stratégies des apprenants, intégrer ensuite la question des stratégies dans son enseignement quotidien et, enfin, évaluer avec les élèves la rentabilité des stratégies qu’ils utilisent en leur fournissant des rétroactions appropriées. (pp.135-136)

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7. Conclusion