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LE PROJET D’EXTENSION DU CONSERVATOIRE DE MUSIQUE

1. DEUX PROJETS ARCHITECTURAUX (2010) POUR UN NOUVEAU CONSERVATOIRE

1.2. LE PROJET D’EXTENSION DU CONSERVATOIRE DE MUSIQUE

Le manque d’espace est un problème récurrent du Conservatoire de musique. Très tôt déjà, cette lacune fut signalée par le Comité.352 Il trouva un remède provisoire dans l’adjonction (1910-1911) et la surélévation (1920) des deux ailes de Peyrot qui quelques décennies plus tard avec l’augmentation de la fréquentation de l’établissement s’avéra insuffisant. Plusieurs projets d’extension furent alors développés mais aucun n’obtint

350 Ces deux rampes ont été ajoutées lors des travaux de 1987-1989, voir dossier de restauration 1987-1989, DCTI

351 Notons toutefois, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, que le projet d’agrandissement prévoit des sorties de secours latérales

352 Les procès verbaux que nous avons consultés mentionnent ce problème.

l’approbation du Comité.353 On préféra à la place délocaliser certains cours et rénover le bâtiment existant. Aujourd’hui, l’enseignement du Conservatoire se répartit sur sept centres354, situation qui néanmoins ne résout pas la pénurie de locaux de l’édifice de la place Neuve.

La seconde série de plans [fig. 221 à 225] présente une extension du bâtiment au niveau du sous-sol sur toute la surface de l’enceinte. Cet agrandissement, contrairement aux projets antérieurs355, n’affecterait d’aucune sorte l’enveloppe du monument qui conserverait sa silhouette du XXe siècle. Au niveau de l’organisation des locaux, cependant, un changement interviendrait dans leur affectation et partant sur l’architecture intérieure : la bibliothèque et les archives occuperaient l’aile ouest sur ses trois niveaux alors que la partie opposée serait affectée aux salles de répétition et de cours. Depuis sa nouvelle disposition de 1920, la bibliothèque ne cesse de s’agrandir occupant ses locaux à saturation. Aujourd’hui, la bibliothèque comprend plus de 70'000 documents stockés dans différents espaces du Conservatoire, entre le sous-sol et le premier étage.356 Transférer la bibliothèque dans un autre bâtiment serait certes une solution qui permettrait momentanément de dégager de l’espace pour les salles de cours. Mais cette faible superficie récupérée ne permettrait pas de répondre entièrement aux exigences actuelles. Par ailleurs, les projets d’extension précédents ont démontré qu’une solution à court terme n’est pas efficace ni suffisante. L’Atelier d’Architectes Ehrat préconise dès lors la réorganisation complète de la bibliothèque comprenant l’aménagement des salles du rez-de-chaussée par l’installation d’une mezzanine dont la conception prendrait en compte l’esthétique et l’architecture intérieures. Cette solution impliquerait de détruire le local de fortune [fig. 187 à 191], construit à l’entresol sous l’actuel bureau du prêt, afin de réhabiliter la salle n°2. Ses plafonds moulurés existent toujours, bien

353 Il s’agit là des projets d’agrandissement de Charles Schopfer de 1957 et de celui de l’architecte François Bouvier plus récent (24 novembre 2000). Ce dernier projet, intitulé « Suggestions pour la mise en valeur de locaux en sous-sol améliorations des circulations et création de dépôts », prévoyait notamment la prolongation de l’escalier principal au sous-sol, une extension du sous-sol côté rues Bartholoni et Alexandre-Calame pour la création de nouvelles salles éclairées par des verrières prises sur les terrasses alentours ainsi que pour la création d’un nouveau dépôt de la bibliothèque, et la valorisation des salles existantes. Enfin, un ascenseur et un escalier de secours auraient été installés. Voir le dossier Yves Peçon, DCTI, qui conserve une copie de ce projet

354 Nous renvoyons le lecteur au site internet du Conservatoire de musique, sur : http://www.cmusge.ch/cmg/, en date du 5 août 2011

355 Le projet de Charles Schopfer prévoyait entre autre la démolition des ailes latérales et celui de François Bouvier d’importantes interventions sur le gros-œuvre. À ce sujet voir la note 353

356 La bibliothèque « conserve environ 50'000 partitions, composées aussi bien d’éditions usuelles d’œuvres pour toutes formations instrumentales et vocales – couvrant toutes les périodes de l’histoire de la musique – que de grandes collections monumentales auxquelles s’ajoutent de très nombreuses méthodes et des ouvrages pédagogiques les plus divers. Elle possède également plus de 20'000 livres, concernant tous les domaines de la recherche musicologique et pédagogique, ainsi qu’un certain nombre de documents sur microformes »,

voir le site du Conservatoire de musique de Genève sur :

http://www.cmusge.ch/cmg/pages/bibliotheque/bibliotheque_catalogue.html, en date du 19 juillet 2011

qu’en piteux état. Une réparation importante serait alors nécessaire. Le projet d’extension prévoit également l’éclairage naturel des couloirs côté Alexandre-Calame : afin de retrouver le puits de lumière conçu en 1920 par Adrien Peyrot, l’Atelier Ehrat supprimerait une partie de l’entresol 357 (1975) et réhabiliterait les lanterneaux. Cette première intervention s’accompagnerait de la remise en état de l’escalier sud-ouest dans lequel une petite salle (n°16 bis) avait été construite en 1973 au premier étage.358 Grâce à la présence d’un jour dans le mur de long-pan – ouverture qui déjà avant la construction de la salle n°16 permettait d’éclairer la cage d’escalier – la partie arrière de l’édifice, plongée dans la pénombre, bénéficierait d’un éclairage naturel. De surcroit, cette ouverture servirait d’exutoire de fumée, en cas d’incendie. Si au contraire, la salle n°16 bis était conservée, cette décision impliquerait de percer entre autre la toiture pour permettre l’évacuation de la fumée et partant engendrerait, selon l’Atelier Ehrat, des complications supplémentaires.359

Une réorganisation du sous-sol viendrait compléter ces premières interventions : la salle de ballet [fig. 226 et 227] deviendrait à nouveau accessible par ses six accès latéraux. Ce local comprend aujourd’hui une unique entrée sur le côté rue Alexandre-Calame, en face du dépôt d’archives, les autres issues ayant été condamnées au fil des ans. Quant au dépôt, il serait en partie détruit pour son réaménagement. Enfin, des voies de fuites latérales débouchant sur l’enceinte côté rues Bartholoni et Alexandre-Calame seraient créées.

L’étude a démontré jusqu’ici la difficulté de concilier la fonction de l’édifice avec ses valeurs historique et artistique qui toutes trois participent de la définition du Conservatoire.

Comme l’ont souligné les participants à la conférence de Nara : « […] protection et usage sont l’un et l’autre partie intégrante de la conservation, car la sauvegarde est un préalable à l’usage, mais l’usage en soi est un préalable à la sauvegarde. Il apparaît extrêmement difficile de trouver l’équilibre entre ces deux éléments, qui présentent entre eux un conflit manifeste d’objectifs : une sauvegarde forte et rigide peut entraver l’usage, de même qu’un usage trop étendu met en péril la protection. Mais l’étude approfondie de ce conflit d’objectifs peut permettre de trouver un juste équilibre et d’obtenir que la protection et la valorisation se conditionnent réciproquement ».360 Aussi, le conflit entre les valeurs historique et d’usage, qui s’est manifesté tout au long de l’histoire du Conservatoire, n’exclue pas aujourd’hui une intervention sur le monument. Certaines interventions projetées par l’Atelier d’Architecte Ehrat méritent que l’on s’interroge sur leur nécessité et leurs conséquences alors que d’autres,

357 Nous renvoyons le lecteur aux pages 56 et 57 de ce travail

358 Concernant la création de la salle n°16 bis, nous renvoyons le lecteur à la page 56 de ce travail

359 Entretien avec Reto Ehrat, le vendredi 8 avril 2011

360 Roberto di Stefano, dans Einar Larsen (dir.), 1995, 141

telles que les mesures de sécurité, sont au contraire fondamentales. L’objectif du projet d’agrandissement est de maximiser l’espace du Conservatoire tout en tenant compte de la valeur patrimoniale du bâtiment. Il n’implique de faite pas une intervention visible au niveau du rez-de-chaussée et des étages supérieurs mais prévoit une extension latérale du sous-sol afin d’utiliser l’espace existant – espace perdu - entre les salles de répétition et les fondations du muret [fig. 224]. Une intervention qui, bien que touchant au gros-œuvre, ne semble pas, au vue de l’état actuel de l’édifice, le dénaturer. Il en est de même des différentes réhabilitations prévues qui n’altèrent d’aucune façon le monument quoique impliquant la disparition de certaines strates historiques récentes. Ces dernières sont dépourvues de valeurs artistiques et historiques et certaines d’entre elles, tels que l’abri de fortune (1975) ou encore la salle n°16 bis (1973), dévalorisent l’édifice. Enfin, les éléments décoratifs et architecturaux les plus importants d’un point de vue patrimonial, comme la grande salle et ses décors, les « faux-marbres » et la statuaire d’accompagnement ou encore d’une manière plus générale l’architecture néo-palladienne du Conservatoire, ne font pas les frais d’une intervention préjudiciables.

Bien que l’Atelier ait pris conscience de la valeur du bâtiment de la Place Neuve dans l’élaboration de son projet, une intervention quelle qu’elle soit n’est jamais dépourvue de neutralité et son résultat n’est pas pérenne. Elle peut anticiper certaines exigences mais ne peut en aucun cas y répondre dans l’ensemble au risque, faute de jugement, de commettre des déprédations. S’il est donc de notre devoir de transmettre le Conservatoire aux futures générations de manière à ce qu’elles puissent continuer d’exploiter l’établissement d’enseignement musical, il nous incombe alors de prendre en considération l’ensemble de l’histoire de l’édifice et des mentalités qui se sont exercées sur lui, d’intégrer le monument dans notre culture sans pour autant en altérer le sens ni la mémoire, tout en laissant le libre choix aux héritiers d’interpréter à leur tour ce patrimoine.