• Aucun résultat trouvé

LA GENÈSE DU CONSERVATOIRE DE MUSIQUE DE LA PLACE NEUVE (1835-1856)

1. LES SOURCES

1.2. LA GENÈSE DU CONSERVATOIRE DE MUSIQUE DE LA PLACE NEUVE (1835-1856)

Créé en 1835 par le financier Jean-François Bartholoni16 (1796-1881) [fig. 12], le Conservatoire de musique de Genève, premier de Suisse, dispensa son enseignement jusqu’en

12 Archives privées de la famille Dériaz. Ce Journal nous a généreusement été prêté par Guy Dériaz

13 Se référer aux sources en annexe du rapport

14 Voir les sources en annexe du travail

15 Voir les sources sous le chapitre intitulé « Personnes/Institutions contactées »

16 Jean-François Bartholoni (1796-1881, parfois orthographié Bartholony) descend d’une famille originaire de Florence qui s’établit à Genève au XVIe siècle. Banquier et économiste, il se lança dans le développement des

1858 au Casino de Saint-Pierre [fig. 13 et 14].17 Désireux toutefois d’offrir aux Genevois un monument singulier dans lequel s’épanouirait cet art, le 12 novembre 1852, le généreux mécène demanda au Conseil d’État, en vertu de la Loi générale sur les Fondations du 22 août 1849, la concession gratuite d’un terrain, aux fins d’y élever à ses frais le nouveau Conservatoire. 18 Divers emplacements furent envisagés pour l’édification de cet établissement, tels que le lieu dit Polygone à l’entrée du Bastion Bourgeois, le Cavalier Micheli et le Bastion du Pin [fig. 15].19 Bartholoni envoya les plans de la Ville à son architecte français, Jean-Baptiste-Cicéron Lesueur (écrit aussi Le Sueur, 1794-1883), et dans une lettre adressée au Conseil d’État, rapporta que celui-ci préconisait l’emplacement de la place Neuve pour la construction du Conservatoire de musique.20 C’est ainsi qu’après d’interminables tergiversations, l’État concéda : « […] une parcelle d’un terrain situé en cette ville, au centre et au bas de la nouvelle place Neuve, figurées sur le plan d’agrandissement de la ville, rive gauche, approuvé par le Conseil d’État le 26 7bre 1854. Cette parcelle ayant la forme d’un rectangle avec évidemment sur les grandes faces est d’une superficie de 132 ½ toises environ. […] ».21 [fig. 16]

La loi prévoyait en outre une clause sur la construction des bâtiments alentours qui stipulait qu’ :

chemins de fer et fut l’instigateur de la voie Lyon-Genève. Si ce financier établit sa fortune en France, et notamment à Paris, où il élut domicile, son rayonnement atteint Genève. En mécène, passionné des arts, il fit ériger deux monuments majeurs, une résidence au bord du Lac (la Villa de la Perle du Lac, dite Villa Bartholoni, 1828-1832) et un lieu d’enseignement musical (le Conservatoire de musique, 1856-1858). Pour tout complément au sujet de sa biographie nous renvoyons le lecteur à Bartholoni, 1979 et Cattaneo, 2006

17 Campos, 2003, 38. Le Casino Saint-Pierre n’existe plus aujourd’hui

18 Jean-François Bartholoni s’adjoignit son frère Aimé-Bernard-Constant Bartholoni pour cette entreprise.

Toutefois, ainsi que le souligne Rémy Campos, ce dernier ne prit en aucune façon part à la gestion du Conservatoire. Campos, 2003, 38. Voir aussi le Registre du Conseil d’État, 1852, page 557, AEG ; et Tappolet, 1972, 49

19 L’emplacement du Cavalier Micheli fut finalement « abandonné vu que suivant les plans du nouveau Conseil d’État il doit être abattu pour faire place à un passage sur le prolongement de la rue St Léger : les travaux de fondations auraient d’ailleurs entraîné à des dépenses trop fortes […] »,voir Travaux Aa 11, « lettre du Chancelier Marc Viridet à François Bartholoni , en date du 1er décembre 1854 » ; voir les procès verbaux du Conservatoire de 1853 à 1855, ainsi que les registres du Conseil d’État de 1849 à 1856

20 AEG, Travaux Aa 11, Lettre de Jean-François Bartholoni adressée à Jean-Baptiste Cicéron Lesueur, Paris le 10 décembre 1854. Pour tout complément d’information sur la réception de l’architecture française à Genève au XIXe siècle, nous renvoyons le lecteur aux articles de David Ripoll, « Genève francophile. L’architecture et la ville dans la deuxième moitié du XIXe siècle », dans El-Wakil et Vaisse (dir.), Genève-Lyon-Paris, relations artistiques, réseaux, influences, voyages, Genève, Georg, 2004 ; et Leïla El-Wakil, « ‘Cet homme qui nous fut envoyé par le ciel pour rénover l’architecture égarée depuis des siècles’. Relecture de quelques cas genevois », dans Lüthi et Cassina (dir.), La profession d’architecte en Suisse romande (XVIe – XXe siècle), 2009, 35-56

21 Les tergiversations concernaient notamment l’emplacement définitif du nouvel édifice. Nous renvoyons le lecteur aux procès verbaux de 1847 à 1855 ainsi qu’au dossier du bâtiment classé, DCTI. Voir par ailleurs le Livre des Comptes de la construction de Jean-Abraham Maunoir, non paginé, non daté, archives du Conservatoire de musique

« […] Il ne pourra être élevé sur ce terrain d’autres constructions que celles servant au dit Conservatoire de musique […] et à ce que les corniches supérieures des deux groupes de maisons situés au Nord-Ouest et au Sud-Est du bâtiment du Conservatoire ne dépasse pas la hauteur de 15 mètres, comptés à partir du sol contigu du côté de la place Neuve ; les toits des dits groupes ne pouvant avoir au maximum plus de 4 m. en hauteur sous réserve de la pente de 1 pour 2 et à ce que la distance entre les faces saillantes du Conservatoire et les murs des faces opposées des dits groupes soit au moins de 21 mètres 50 […] ».22

Le financier genevois s’assura les services d’un architecte établi à Paris dont la réputation n’était plus à faire : Jean-Baptiste-Cicéron Lesueur [fig. 17], élève des architectes Auguste Famin (1776-1859) et Charles Percier (1764-1838), co-lauréat du Grand Prix de Rome d’architecture de 1819 avec Félix-Emmanuel Callet23 (1791-1854) était l’auteur de l’église de Vincennes et avait participé à l’agrandissement de l’Hôtel de Ville de Paris avec Etienne-Hippolyte Godde (1781-1869) et Victor Baltard (1805-1874).24 Il obtint le poste de professeur de théorie de l’architecture à l’École des Beaux-Arts de Paris en 1853 et fut élu membre de l’Institut de France. 25 Lesueur réalisa les premiers plans du nouveau Conservatoire de musique parallèlement à la réfection de l’hôtel particulier parisien des Bartholoni.26 Il envoya ses calques en janvier 1855 à l’architecte local Samuel Darier (1808-1884), chargé de leur exécution et de la surveillance du chantier. Les autorités genevoises demandèrent toutefois à l’architecte français de revoir son projet car trop audacieux. Le Registre du Conseil d’État fait mention de cette demande de modification :

« […] Passons maintenant au bâtiment et à la terrasse qui l’entoure, nous devons vous faire observer que la surface totale qui serait occupée est de 435 toises carrées, tandis que le bâtiment n’en occupe que 142. Or le Conseil d’État n’est autorisé par la loi de donation qu’à accorder une surface de 140 toises environ ; il pourrait certainement prendre sous sa responsabilité quelques toises de plus si elles étaient nécessaires, mais non aller au-delà sans recourir au Gd Conseil qui verrait peut-être de mauvais œil disposer d’un aussi grand espace sans nécessité absolue, surtout dans un quartier où le

22 Livre de Maunoir, non paginé, non daté, et AEG, Travaux Aa11 « extrait de l’acte de donation par l’État à la Fondation du Conservatoire de musique, 24 mai et 8 juin 1855 »

23 Il remporta le prix ex-aequo pour un « Cimetière »

24 El-Wakil, 1988, 101-102

25 Vallet, Zevi, Musy, Leymarie (dir.), 1981, 290

26Hôtel rue de la Rochefoucauld, voir El-Wakil, 1988, 102 et Vallet, Zevi, Musy, Leymarie, (dir.), 1981, 290

terrain aura une grande valeur par sa position, et pour lequel l’État a déjà des demandes. […] »27

De même, le Journal de Genève du 28 décembre 1883 rapporte que : « les plans [de Lesueur]

comportaient une décoration d’ensemble de la Place voisine de ce monument ; malheureusement cette partie du programme dut être sacrifiée à des raisons de convenance utilitaire […] ».28 C’est ainsi que dans un courrier du 24 août 1855, Samuel Darier soumis au Conseiller d’État, Président des travaux publics, une copie du plan définitif revu par Lesueur, afin d’obtenir l’approbation des nouveaux alignements et la poursuite de l’entreprise.29

Le 14 juillet 1856 à trois heures de l’après midi, la cérémonie de la pose de la première pierre fut célébrée. Jean-François Bartholoni était accompagné de son frère, de ses fils et d’autres membres de sa famille. Furent conviés également le pasteur Munier qui présida les festivités, M. Breittmayer, délégué du Conseil d’État et du comité d’administration du Conservatoire, Lesueur et quelques amis proches. On plaça dans une boîte le procès-verbal de cette cérémonie, les actes relatifs à la concession du terrain [fig. 18], une première médaille frappée en 1839 en l’honneur de la Fondation du Conservatoire et une seconde frappée par M. Bovet pour la fête helvétique de musique, ainsi que diverses pièces de monnaie suisses [fig. 19 et 20]. La boîte fut ensuite scellée, placée dans une cavité et recouverte par une pierre.30

Les travaux de construction31 s’étendirent sur deux ans, de 1856 à 1858, non sans peine : suite à la hausse des prix des matériaux de construction, un différent financier sépara l’entrepreneur Vaucher-Tournier de l’architecte entrepreneur général Jean Franel (1824-1885) qui les conduisit devant le Tribunal de Commerce. L’affaire trouva toutefois une issu

27 AEG, Travaux Aa 11, lettre du chancelier Marc Viridet, Genève le 24 février 1855 ; Journal de Genève, 28 décembre 1883 et El-Wakil, 1984, 69-70

28 Journal de Genève, 28 décembre 1883

29 AEG, TP 363, Travaux A 72

30 Journal de Genève, 15 juillet 1856

31 Occupé à Paris, l’architecte distingué se rendit sporadiquement sur le chantier du Conservatoire pour veiller au bon déroulement des travaux et apporter certaines modifications au projet de départ. Dans son Journal Dériaz rapporte les visites de Lesueur : « […] je reçois la visite de M. Lesueur, accompagné de Darier, ils regardent bien nos peintures et nous convenons de mettre quelques unes en place […] » et « […] Lesueur change d’idée et il revient à désirer ses ornements imitation bois blanc sculpté sur fond couleur or […] », Journal de 1858, 17 et 19 mars. Leïla El-Wakil précise en outre qu’au moment de l’édification du Conservatoire de musique de Genève, Lesueur était « au faîte de sa carrière parisienne au service de Napoléon III » et n’accordait de fait qu’une

« importance toute relative au chantier pris essentiellement en charge par un architecte local […] S. Darier […] », El-Wakil, 1988, 293

favorable aux deux parties, comme l’indiquent les jugements arbitraux et le Livre de Maunoir.32