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Contextualisation : la protection du patrimoine genevois des années cinquante …

1. LES INTERVENTIONS SUR LE CONSERVATOIRE DE MUSIQUE (1858-1979) : ENTRETIEN,

1.3. UN CLIMAT FRAGILE DE PROTECTION PATRIMONIALE (1918-1940)

1.4.2. Contextualisation : la protection du patrimoine genevois des années cinquante …

Replaçons maintenant le programme de l’architecte Schopfer dans le contexte local de la conservation du patrimoine. Dans la Genève de l’après-Seconde Guerre mondiale, l’heure était à la construction, aux innovations techniques et architecturales. C’est dans ce climat bouillonnant des Trente Glorieuses que le Mouvement Moderne put s’épanouir en prônant la table rase. La Ville qui n’avait pas connu les affres de la guerre jouissait d’une intense activité architecturale, préjudiciable toutefois à certains monuments anciens et ensembles constitutifs de son identité224 : une partie du quartier de Saint-Gervais fit les frais d’une modernisation marquant à jamais son image ; la rive gauche, la basse ville et les bords du Rhône subirent les dommages de la démolition-reconstruction, quant à la Vieille Ville, des opérations de

223 Il est probable que ceux-ci devaient relier le premier étage également, toutefois ne possédant pas les plans nous ne sommes pas en mesure de l’affirmer

224 Brulhart et Deubert-Ziegler, dans El-Wakil, 2007, 57-80. Voir aussi Isabelle Falconnier, Architecture : les glorieuses années 50, sur : http://www.hebdo.ch/architecture_les_glorieuses_anneacutees_24899_.html, en date du 18 octobre 2010

dénoyautage et des mesures de salubrité gommèrent bien des traces de son passé médiéval.225 Face à la montée en puissance de la modernité et ses dommages collatéraux, les défenseurs du patrimoine protestèrent. Toutefois, leurs contestations ne trouvèrent aucun écho dans les mesures de conservations appliquées.226 Et pour cause : « […] une certaine convergence des intérêts dans les partis politiques : la gauche, avec ses syndicats, comme dans les années trente, soutenait le progrès, la démolition des taudis, l’architecture moderne ; la droite, avec ses entrepreneurs et ses promoteurs investissait dans une ville internationale ouverte à un marché de plus en plus attractif pour le bénéfice duquel elle souhaitait le moins d’entraves possibles », ainsi que le rappelèrent Erica Deuber-Ziegler et Armand Brulhart.227 Par ailleurs, l’architecture du XIXe siècle était encore loin de réunir à sa cause tous les suffrages, la conscience patrimoniale combattant contre la disparition d’un patrimoine plus estimé à ce moment.228 Conjuguée à ces premiers éléments : la nécessité d’adapter un haut lieu d’enseignement musical aux exigences de confort et d’apprentissage. Le Conservatoire de musique devait ainsi en pareilles circonstances passer par la révision de ses locaux et des nouvelles possibilités qu’il avait à offrir.

Notons que si les plans de Schopfer témoignent d’une opération de destruction-reconstruction d’une partie de l’enveloppe et de ses locaux, ils ne fournissent aucun détail sur le traitement de l’ensemble. L’architecte aurait-il en effet imité le langage de Lesueur, technique du pastiche qui s’exprimait alors parallèlement pour certains édifices de la Vieille Ville, du Vieux Carouge ou encore du Petit-Saconnex229 ? Ou au contraire, aurait-il marqué de son empreinte le bâtiment, en se démarquant entièrement de l’architecture primitive ? Quant aux décors, mobilier et substances intérieures d’origine, quel sort leur aurait-il réservé ? Les sources ne dispensent malheureusement aucune information à ce sujet, et sur la base des seuls plans que nous possédons, il est difficile d’étayer la moindre hypothèse. Si l’on examine cet ouvrage en regard des travaux effectués par l’architecte à la même période, le Grand Théâtre (1875-1879) pourrait se prêter à une comparaison avec le Conservatoire puisque érigé au XIXe, partageant la place Neuve avec notre édifice et en partie réhabilité par l’intervention de Schopfer et Marcelleo Zavelani-Rossi durant la même décennie. Alors que le Grand Théâtre avait subi les ravages d’un incendie en 1951, les architectes optèrent, sur les conseils de la

225 Brulhart et Pauli, dans El-Wakil (dir), 2007, 59

226 Idem

227 Idem

228 Comme nous l’avons mentionné précédemment, le quartier de Saint-Gervais ainsi que les Rues Basses faisaient l’objet de destructions soulevant une campagne de protestations. Notons par ailleurs que l’ancien hôtel de l’Ecu, érigé sur les plans (1839) de l’architecte Bernard Adolphe Reverdin, fut démoli en 1959, malgré les protestations. Idem

229 El-Wakil (dir), 2007, 29

Ville, pour une solution hybride, à savoir une réhabilitation moderne intra-muros et l’élévation des nouvelles façades dans un style s’apparentant à l’architecture néo-baroque de Goss.230 Comme le fit remarquer Leïla El-Wakil : « Architecture d’accompagnement, le pastiche sert, dans l’esprit de ceux qui l’encouragent, à penser des plaies, à assurer des transitions, à composer avec le voisinage ancien […] ».231 Tel en fut ainsi pour les façades du Grand Théâtre amputé tragiquement d’une importante partie de son architecture.232

Établir une comparaison entre les deux édifices dans le dessein d’expliciter les choix architecturaux et décoratifs de Schopfer au Conservatoire serait dès lors tentant. Toutefois cela nous conduirait à tirer des conclusions hâtives et maladroites. En effet, dans le cas du Grand Théâtre en partie ruiné, la question de l’attitude architecturale à adopter se posait différemment de celle de son voisin : fallait-il entièrement raser ce qui restait de l’édifice primitif ou fallait-il garder au moins les parties ayant échappé à l’incendie ? A contrario, le Conservatoire n’avait pas été victime d’un sinistre et continuait d’arborer son architecture et ses décors néo-palladiens. Aussi, la question concernait-elle le manque de locaux conduisant à une destruction volontaire de l’architecture primitive. À la destruction accidentelle du Grand Théâtre s’opposait une destruction projetée d’un Conservatoire qui ne semblait plus répondre aux exigences d’une certaine exploitation, les solutions adoptées pour ces deux édifices ne pouvant ainsi pas converger.

Les débats économiques et politiques s’enlisèrent durant une dizaine d’années enrayant le projet de Schopfer. Parallèlement, de nouvelles campagnes de transformations furent menées qui n’épargnèrent pas le bâtiment : rénovations, adaptations, destructions furent les mots d’ordre qui guidèrent les travaux d’entretien du Conservatoire pendant vingt ans.

230 Projet exécuté entre 1958 et 1962. Pour l’édification des nouvelles façades latérales et arrière les architectes reprirent la structure du bâtiment primitif : trois niveaux sur arcs en plein cintre et une mezzanine. L’appareil des façades d’origine a par ailleurs été imité, avec des volumes toutefois moins marqués pour le rez-de-chaussée et des refends simplement soulignés. L’ascèse est le mot d’ordre qui a guidé le dessin architectural, l’apparat décoratif de l’ancien bâtiment ayant été supprimés : les arcs du rez-de-chaussée n’ont plus de clef de voûte et certains ont été obstrués ; les socles sur lesquels retombent les arcs ne sont pas soulignés par une moulure comme les originaux ; le bandeau qui sépare le rez-de-chaussée du 1er étage a été simplifié semblablement à l’entablement ; les frontons triangulaires et curvilignes ont été supprimés, ainsi que le bandeau sous les fenêtres de la mezzanine ; enfin les pilastres de la nouvelle façade ont été réduits à des bandes verticales en saillit sans chapiteau ni socle

231 El-Wakil (dir.), 2007, 29

232 Bien que les autorités optèrent pour une reconstruction moderne intra-muros, les façades latérales et arrière du Grand Théâtre furent érigées dans un style proche de l’architecture néo-baroque de Jacques-Elysée Goss. Il était essentiel, selon le Conseil administratif de la Ville : « de respecter l’architecture existante » et de ce fait

« de traiter les façades latérales dans le même esprit […] » que les anciennes. Et, toujours selon le Conseil : « la vue générale du Théâtre, depuis la place Neuve, la plus classique, ne sera pas modifiée », « certains motifs décoratifs malheureusement détruits lors de la restauration de 1942 seront rétablis ». Voir « Proposition du Conseil administratif pour la transformation et la reconstruction du Grand Théâtre », Séance du 23 décembre 1952, Rapport du Conseil administratif. Archives de la Ville de Genève, Mémorial du Grand Théâtre, 501