• Aucun résultat trouvé

On the track of evaluated programs targeting the social participation of seniors: A typology proposal

Cercle 4 : La représentation et la visualisation

4. Ainés ayant des incapacités : Conceptions et pratiques de participation sociale

4.4 Le photoroman, de la prise de parole au changement social

Abordant les conceptions et les pratiques d’aînés handicapés en matière de participation sociale, cette première grande section des résultats de la thèse nous a jusqu’ici permis d’explorer trois aspects du thème à l’étude : d’abord, la manière dont les participants de la recherche voient et vivent le rapport vieillissement / incapacités; ensuite, la posture ou le témoignage participatif de chacun des membres du groupe Photoroman; enfin, les conditions à réaliser pour permettre la considération des réalités, des besoins et des désirs des aînés ayant des incapacités en matière de participation sociale. Il nous reste maintenant à explorer la mise en action, le passage du « dire » au « faire », la matérialisation des formes de participation auxquels aspirent les participants de l’étude. Pour ce faire, nous utiliserons les histoires racontées dans le photoroman « Entre vous et nous »28. En effet, les scénarios exposés dans ce document peuvent être considérés comme une déclaration d’intention, ou encore une plateforme de revendications quant à l’inclusion des aînés handicapés dans les lieux de participation à la vie collective. Les participants souhaitent ainsi : fréquenter les milieux « ordinaires » de participation; transformer leurs rapports avec les « non handicapés » dans une perspective interculturelle29; être traité comme des citoyens; voir leur dignité respectée; et vivre des liens tissés de plaisir et de camaraderie dans leurs pratiques de participation sociale.

L’accès aux milieux « ordinaires »

retirer d’un milieu auquel elle voulait participer et dans lequel elle souhaitait se rendre utile. Au moment de son départ, une responsable la retient et s’excuse de son manque d’attention à l’égard de ses besoins. Elle invite la dame à revenir en l’assurant que ce sera différent la prochaine fois. Il est intéressant de noter que dans la « vraie vie », car le scénario est tiré des expériences de l’une des participantes, la dame n’avait pas mentionné qu’elle était malentendante et elle n’est jamais retournée dans l’organisme en question. Dans le scénario « Mon bac et moi », on suit les péripéties d’un homme en fauteuil roulant qui souhaite prendre part à la collecte sélective des ordures, en d’autres mots « sortir sa récupération ». Toutefois, les opérations demandées pour y arriver requièrent des efforts titanesques (transporter la boîte domestique, la hisser dans la grande boîte de l’immeuble, pousser cette dernière jusqu’à la rue). L’histoire finit en queue de poisson : le camion d’ordures est déjà passé, l’homme est arrivé trop tard.

Dans le scénario « Cacophonie », deux histoires s’entrecroisent. L’une raconte l’activité amicale réunissant des aînés ayant différents types d’incapacités dans un restaurant dont la configuration et la sonorisation facilitent tant la circulation des personnes que la communication entre elles. L’autre histoire, pour sa part, expose la déconfiture d’un homme qui rencontre pour la première fois une femme avec laquelle il a été en contact par le biais des « petites annonces ». Lorsqu’elle constate qu’il est en fauteuil roulant, la dame lui adresse une fin de non-recevoir : fréquenter une personne handicapée ne l’intéresse pas.

Qu’ont en commun ces trois récits? Le fait qu’ils se déroulent dans des milieux « ordinaires » de participation sociale. Les douze membres du groupe Photoroman sont aussi des militants d’une association de personnes ayant des incapacités. Dans la plupart des cas, ils sont actifs dans ce réseau depuis de nombreuses années, un réseau par définition adapté à leurs réalités et familier. Pourtant, plusieurs participants de l’étude aspirent à fréquenter des espaces participatifs mixtes, et non uniquement des milieux occupés par des personnes ayant des incapacités.

J’aimerais ça pouvoir trouver des groupes de gens qui ne sont pas nécessairement handicapés et des gens handicapés aussi. Puis que ce soit plus ouvert (Groupe de discussion).

Les scénarios auxquels nous avons fait référence explicitent cette situation : aller entre amis au restaurant, faire du bénévolat dans un organisme non dédié aux personnes ayant des incapacités, chercher une nouvelle partenaire de vie, participer au mouvement écologiste, voilà autant de vecteurs d’une participation sociale « généraliste », non « réservée » aux seules personnes handicapées.

Tu as les associations de personnes handicapées, mais tu as plein d’autres formes. Il y a les comités de bénéficiaires dans les CLSC, les comités d’usagers. Quand tu es membre d’un C.A. [conseil d’administration] (…), tu représentes des gens. C’est toutes des formes associatives. Tu établis des liens, tu es impliqué à prendre des décisions, tu as à soutenir des décisions et à cautionner des décisions. (…) Tu sais, tu vis dans la société, ça fait qu’il faut être actif là-dedans (Charles).

L’accès (physique, symbolique, socioéconomique, etc.) aux milieux « ordinaires » de participation sociale est loin d’être un acquis pour les aînés ayant des incapacités, comme nous l’avons vu en parlant des conditions d’une « réelle » participation. L’un des objectifs du Projet Photoroman était justement de faire connaître largement ces conditions.

À un moment donné, il faut que ça aille en dehors de la communauté [des personnes ayant des incapacités], c’est de la visibilité. C’est bien beau entre nous, on comprend mais ça ne met pas la visibilité. Si ça va plus loin qu’entre nous effectivement [on pourra] sensibiliser les gens (George).

Comment convaincre les personnes et organisations responsables des milieux de participation de l’importance d’inclure les personnes « différentes », de transformer leurs

avec la réalité, les besoins que nos gens peuvent avoir dans les organismes comme le leur. Et on a senti que les organismes qui sont là pour les personnes âgées, les ainés, ils n’ont pas l’ouverture pour accueillir des gens qui ont des différences (Réunion 2).

Pourtant, comme nous le verrons au point suivant, les expériences d’interculturalité (inter-handicaps, inter-générations, intergroupes socioéconomiques, etc.) peuvent être fertiles.

Vivre l’inter-cultures c’est possible… avec des accommodements

Comme on l’a vu, le scénario « Cacophonie » met en scène des personnes ayant des incapacités de différentes natures (auditives, visuelles, de mobilité) qui partagent une activité sociale commune. Le scénario de « Une canne est une canne », qui permet d’expliquer les fonctions des aides techniques utilisées par les personnes handicapées visuelles, se termine par une manifestation de solidarité entre une personne en fauteuil roulant et une personne handicapée visuelle. Cette coopération « inter-handicap » n’était pas du tout un acquis au début du Projet Photoroman, puisque la logique des besoins spécifiques à chaque type d’incapacité était très forte.

Les autres handicapés, ils ont des besoins eux autres aussi, et je vous dirais même que des fois, même, on se confronte entre handicapés. On habille Pierre et on déshabille Paul. Un exemple de ça, c’est les autobus. Ils ont enlevé le banc en avant à gauche. Ils l’ont enlevé dans les nouveaux autobus, c’était le banc des handicapés visuels, c’est plate de le dire de même mais c’était ça. Ils ont fait ça pour éventuellement répondre aux besoins des fauteuils roulants (René).

Je pense que ça ressort avec évidence, chaque représentant d’un handicap quelconque fait part de ses problèmes, de ses limitations, on voit très bien que c'est pas du même acabit dans le fond, pour les uns comme pour les autres (Clovis).

Toutefois, au gré de l’évolution du projet, l’accentuation des différences entre incapacités a fait place à une complicité et à une acceptation mutuelle qui ont mené à écrire des histoires où l’aspect « inter-handicap » va de soi, moyennant des ajustements ou des

concernaient la location ou le prêt de locaux adaptés à des fauteuils roulants parfois imposants, l’embauche d’interprètes oralistes et gestuels, l’utilisation constante d’un micro lors des prises de parole, l’accompagnement de certains participants dans l’immeuble, etc. Pourtant, une fois les besoins des uns et des autres connus et reconnus, une sorte de « routine d’accommodement » s’est installée et a permis la pleine participation de l’ensemble des participants tout au long de la dizaine de rencontres d’équipes.

En fait, ce qui ressort au terme du processus et qui est mis en lumière dans le photoroman, c’est que le processus d’inter-reconnaissance est fondamental pour construire une dynamique inter-handicap viable. Ce constat peut être utilisé comme un cas de figure utile à la question de l’interculturel en tant que trame de l’inclusion sociale des personnes handicapées. L’inter-cultures dans le sens d’une co-connaissance et d’une co- reconnaissance des situations de vie, possibilités et contraintes des uns et des autres.

Souvent, les professionnels de la santé, des organismes, ils sont bien intentionnés, mais ils n’ont pas le vécu que nous autres on a. Même nous autres individuellement, moi je ne connais pas toutes les problématiques qu’une personne ayant une déficience visuelle a à vivre. Par rapport aux sourds, j’ai toujours eu énormément de difficultés à composer (…) J’ai plus de difficultés à communiquer avec eux parce que je n’ai pas mes mains, je ne peux pas apprendre le langage visuel (Réunion 2).

C’est pour cela que des actions de prises de parole comme le Photoroman apparaissent essentielles.

information pour le public, mais ensemble. C’est là qu’on serait fort. C’est là qu’on aurait du « pushing ». C’est là qu’on aurait du pouvoir (Groupe de discussion).

En substance, les participants du groupe souhaitent à la fois fréquenter des milieux ordinaires et être considérés comme des personnes normales, et non pas comme des êtres spéciaux :

La société en général, elle peut avoir de la difficulté à côtoyer nos gens [les personnes ayant des incapacités], je ne parle pas juste du handicap visuel, toutes les formes de handicaps ou à peu près. Souvent, quand on en voit un [une personne handicapée] qui réussit ou qui fait quelque chose, c’est un surhomme ou un superman ou une superwoman. Des fois, c’est bien normal. Supposons que la personne a réussi à travailler et à vivre une vie de couple, une vie de famille et à fonctionner dans la vie un peu comme tout le monde. Elle n’est pas pour autant superman ou superwoman pour ça. C’est normal (René).

La citoyenneté, pas la protection

Dans le scénario « C’est moi qui s’occupe de toi », on assiste à la rencontre fortuite, à la sortie d’un centre commercial, d’une dame en fauteuil roulant qui attend le transport adapté et d’une dame handicapée visuelle qui attend le retour de sa fille, partie chercher la voiture. La première parle à la seconde du service de transport adapté, lui suggérant de l’utiliser pour éviter à sa fille d’avoir à l’accompagner partout et, aussi, pour gagner de l’indépendance. Lorsque la dame handicapée visuelle en parle à sa fille, celle-ci réagit négativement, disant qu’elle préfère s’occuper elle-même de sa mère.

Dans le scénario « Un monde sans freins », on illustre les nombreuses démarches bureaucratiques que doivent faire deux hommes en fauteuil roulant pour l’obtention de services et de ressources assurant leur autonomie, c’est-à-dire leur capacité à décider par eux-mêmes de leur vie. Les difficultés de ces procédés sont nommées : la patience face aux temps d’attente, les coupures qui menacent l’obtention de services, notamment de soutien à domicile, les incompréhensions entre usagers et professionnels du réseau. Au

Toutes les deux « vécues », ces histoires sont explicites quant à leur intention : refuser les pratiques de protection, qu’elles soient d’ordre interpersonnel ou institutionnel. Tel que le traduisait la dernière citation de René, les participants se présentent comme des êtres « normaux » désireux d’avoir une participation sociale « normale », en autant que les conditions de leur inclusion soient réunies.

Mais c’est juste pour souligner que dans la participation sociale des personnes handicapées, il faudrait avoir beaucoup plus d’informations. Qu’il y ait des campagnes d’information pour dire que la personne, c’est une personne à part entière. Puis que ce n’est pas la chaise roulante. C’est X qui est assise dans la chaise. (…). Qu’on arrête de voir leur handicap à partir de la béquille et de la chaise. Puis qu’on considère que la personne, c’est un être humain égal à ceux qui ne sont pas handicapés. Il y a un gros travail à faire là-dedans, pour améliorer la participation sociale des personnes handicapées (Groupe de discussion).

Plusieurs participants témoignent du fait qu’ils se sentent confondus avec des « malades mentaux » par des gens rencontrés au hasard ou les intervenants qui travaillent avec eux.

Ils n’acceptent pas la personne qui est handicapée. Je ne suis pas malade mentale là, est c’est pour ça que je te dis, oui, le monde nous voit encore comme des personnes malades, incapables d’agir par nous-mêmes. Et ce n’est pas vrai. (…) On est capable de penser, de parler et d’agir par nous-même et de demander ce dont on a besoin (Manon).

Au-delà d’une sémantique à interroger par rapport à la solidarité inter-incapacités, il reste que cette différenciation d’avec les personnes ayant une déficience intellectuelle renvoie à une impression très forte : celle de ne pas avoir les moyens symboliques de jouer

perspective d’autonomie, de liberté. Dans les scénarios « Mourir dans la dignité », on lit les réflexions de deux hommes en fauteuil roulant sur les thèmes du vieillissement et de la mort, des pensées qui montrent l’acceptation de la finitude humaine tout en exposant le désir d’une indépendance de choix « jusqu’au bout ». Dans le scénario « Dur dur d’être hommagées », on assiste à l’humiliation d’une femme en fauteuil roulant qui pensait être l’invitée d’honneur d’une cérémonie organisée pour lui rendre hommage, mais qui doit vaincre plusieurs conditions adverses pour accéder au lieu de l’événement.

L’usage du terme « dignité sans pitié » permet de situer le cadre éthique des revendications des participants de l’étude par rapport à leur participation à la société. La question de la dignité concerne la considération des rythmes et des choix des personnes en matière de participation sociale, ainsi que des ressources, financières notamment, auxquelles elles ont accès pour concrétiser leurs options participatives. La dignité est aussi liée à une aspiration généralisée quant à une acceptation et à une inclusion de facto, sans négociation à la pièce.

C’est la possibilité de pouvoir participer, de pouvoir vivre, côtoyer un peu tout le monde et de pouvoir vivre des activités, des choses, encore une fois sous la forme qu’on voudra. Même si tu as un handicap visuel, de pouvoir te permettre de participer. Dans la mesure du possible naturellement, parce qu’on n’atteindra jamais la perfection, il faut être réaliste. Mais que dans certains cas, du moins, on tienne un peu compte de la réalité de nos gens [les personnes ayant une incapacité]. Ça permettra que ça ne fasse pas une montagne chaque fois que les gens arrivent avec un besoin ou une [demande] adaptation (René).

L’analyse transversale des histoires du photoroman montre que toutes contiennent un appel à un plus grand respect des personnes ayant des incapacités dans le cadre non pas d’une campagne de sensibilisation à leur différence, mais plutôt de solidarisation entre aînés rencontrant des réalités diverses. Les créateurs du projet se mettent en scène comme des gens « ordinaires », « autonomes », « organisés », « fiers », qui doivent cependant se battre au quotidien contre des conditions désavantageuses sur le plan environnemental et social, conditions qui limitent leurs possibilités de participation sociale.

souci des participants de projet une « belle » image d’eux-mêmes. Par le biais du photoroman, ils ont été mis en scène, dessinés, photographiés. Pour plusieurs, il importait d’avoir un traitement réaliste des incapacités plus visibles (usage d’un fauteuil roulant ou d’autres aides techniques, corps « différents », etc.). Ils ne voulaient pas être vus comme des êtres anormaux, déformés. Les participants handicapés visuels ont été particulièrement clairs sur ce point : tout en étant incapables de voir, de déchiffrer les images du photoroman, ils ont insisté sur leur caractère « juste ». Le désir d’éviter une approche trop caricaturale dans les histoires présentées sous la forme d’une bande dessinée, la recherche d’un angle favorable pour photographier les fauteuils roulants, le soin accordé aux vêtements portés lors des séances de photographies, sont autant de stratégies qui ont été utilisées par des participants pour construire et projeter une image digne d’eux-mêmes. D’une certaine manière, cette forme d’iconographie peut être vue comme une « répétition » de ce qui est à venir, une représentation des changements souhaités par les aînés handicapés quant à leur reconnaissance collective.

Le plaisir d’être ensemble

La page intitulée « Dire, faire et être… ensemble » clôt le photoroman. Elle montre le groupe des participants qui trinquent à la santé du projet, à la santé de leur travail commun. La joie qui transcende ce scénario vient en quelque sorte équilibrer la gravité ou le sérieux des thèmes explorés dans les histoires le précédant. Le message est simple : l’humour, l’entraide et la solidarité ont accompagné le processus du photoroman et permis son aboutissement. L’humour, l’entraide et la solidarité représentent aussi des clés dans la vie quotidienne des participants, tel que le montrent les anecdotes racontées dans

5. Intersection des politiques sociales et des conceptions et pratiques d’aînés ayant