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On the track of evaluated programs targeting the social participation of seniors: A typology proposal

Cercle 4 : La représentation et la visualisation

4. Ainés ayant des incapacités : Conceptions et pratiques de participation sociale

4.2 Instantanés participatifs

Dans le cadre de la présente section, consacrée aux expériences de participation sociale des membres du Projet Photoroman, nous esquisserons douze « instantanés participatifs », c’est-à-dire douze portraits de leurs pratiques participatives actuelles. Nous jetterons un regard individualisé à la manière dont chacun agence ses conceptions et ses pratiques de participation. Si des événements ou dimensions du passé peuvent être évoqués, c’est sur le présent que le focus est placé. Deux raisons motivent cette forme de présentation des résultats. D’une part, il nous semble approprié de « donner la parole » aux participants à l’échelle individuelle, de mettre en lumière et en valeur leur rapport au monde. Si les photoromans créés au cours du projet constituent une sorte de biographie collective des enjeux de la participation sociale au croisement du vieillissement et des incapacités (nous en traiterons spécifiquement au point 4.4), il nous importe de conserver le témoignage personnel des membres. D’autre part, un tel exercice est instructif en ce qu’il confirme la

Armand

J’ai deux vies. Je passe la moitié de l’année en Floride, d’octobre ou novembre jusqu’à mars ou avril. L’été, je suis ici à Québec. Depuis la mort de ma femme il y a quelques années, je me sens très seul. Quand je suis en Floride, c’est moins pire, il y a de la famille et des amis. Quand je reviens, j’aimerais ça participer à des activités sociales, à des clubs, mais l’été, il n’y a rien, tout arrête. Ce n’est pas simple non plus d’aller dans des nouvelles places, tout le monde me regarde, on dirait que mon fauteuil est contagieux. Je n’aime pas ça me sentir ridiculisé, je préfère quand les gens n’offrent pas de m’aider. Au moins, j’ai des ressources, je ne suis pas pauvre, je peux faire ce que je veux. Je suis fier de comment je m’organise maintenant sans ma femme, je cuisine, je magasine. Je suis devenu membre d’une coopérative de services à domicile pour quand je ne pourrai plus faire mes choses tout seul. Je suis impliqué dans le mouvement des personnes handicapées depuis trente-quarante ans. Il me semble que de nos jours, on manque de loisirs pour nous, l’association devrait organiser ça. J’aimerais aussi rencontrer une dame, une compagne, mais le fait que je sois handicapé n’aide pas. Plein de femmes ont l’air de ne pas être intéressées par un gars en fauteuil. Je continue de me demander comment je vais faire pour briser ma solitude.

Charles

J’aurais pu être psychiatre, mais un accident d’auto qui m’a laissé quadraplégique m’a aussi fermé les portes de la faculté de médecine. J’ai fait le deuil de ma vie d’avant quand j’ai eu assez d’autonomie pour décider si je voulais vivre ou mourir. Je ne suis pas handicapé; j’ai des limitations. C’est la difficulté de la société à s’adapter à mes différences qui me handicape. J’ai lutté toute ma vie, je suis un bulldozer hypersensible aux inégalités sociales. J’ai créé des services pour les personnes ayant des incapacités, j’ai remué de l’intérieur mon employeur, la fonction publique québécoise, et je continue de militer pour qu’on s’allie dans le mouvement et qu’on arrête de se segmenter en types d’incapacités. Je savoure une victoire en matière de transport : je peux maintenant utiliser les services « ordinaires » de transport en commun dans la ville de Québec. Avec l’âge me vient le goût de laisser des traces, de léguer quelque chose. J’ai publié un livre

le point sur ma vie et d’enrichir ce cheminement au contact des autres. J’aime mieux parler d’inclusion que de participation ou d’intégration. Inclure, ça veut dire de penser aux droits des personnes ayant des incapacités dès le début des programmes, et non essayer de les faire entrer après coup dans un moule qui ne leur convient pas.

Clovis

J’ai eu un accident d’auto à neuf ans qui m’a laissé médicalement paraplégique. Mais face à moi-même et socialement, j’ai toujours refusé d’être un handicapé. Jusqu’à une longue hospitalisation au début de la soixantaine, je me suis déplacé avec une canne, pas en fauteuil. J’ai réussi mon droit tout en travaillant à temps plein et en fondant une famille. J’ai occupé des fonctions de cadre et obtenu des promotions. Il n’est pas courant de voir des handicapés accéder à ce genre de fonctions. J’ai l’impression d’avoir travaillé deux fois plus que tout le monde pour faire ma place. Dernièrement, mes enfants m’ont demandé d’écrire mes mémoires. J’en suis fier, mais ça me fait peur : ils ne connaissent pas mon histoire d’incapacité. J’ai commencé à m’impliquer dans une association de personnes handicapées lorsque j’ai eu des démêlés avec l’appareil gouvernemental. D’habitude, je veux tout faire par moi-même. J’ai voulu me donner des moyens pour mieux défendre mes droits. Ce n’est pas facile, je pense que ça ne donnera rien, on est une trop petite organisation. Maintenant, je suis quand même intéressé à contribuer à l’association. Je veux m’impliquer à ma façon, dans des comités, mais je ne veux plus me démener comme Don Quichotte. Les combats de coq, c’est fini.

Florence

quelque chose à la société, tout le monde peut redonner. Il faut encourager l’éclosion des talents. On peut faire du bénévolat même si on est en fauteuil roulant. Il faut apprendre à se connaître pour faire tomber les préjugés entre les différentes sortes d’incapacités. Je ne me sens pas aînée. Je peux dire que quand je le serai, j’accepterai de vieillir et ce qui va avec : les deuils, le déclin. Je m’adapterai en cherchant les ressources pertinentes. George

Je suis citoyen de deux mondes : celui des entendants et celui des malentendants. Je suis le demi-sourd, capable de communiquer autant par signes que verbalement. J’ai une belle retraite, confortable. Je suis chanceux d’avoir été embauché au gouvernement dans les années 1970 avec les programmes d’intégration pour personnes handicapées. Maintenant, c’est plus difficile de se trouver un emploi dans la fonction publique pour les personnes handicapées, il y a moins de programmes spécifiques pour eux. Ma conjointe et moi, on s’aide beaucoup. Elle m’accompagne souvent dans mes activités, ça compense quand je ne comprends pas tout. De mon côté, je l’ai soutenue lors d’une maladie grave. J’ai même pris ma retraite assez jeune pour prendre soin d’elle. J’aime voyager. J’aime l’activité, être occupé, me sentir utile. Je ne me sens pas vieux, même si parfois, je constate que j’ai moins d’énergie qu’avant. Je serai vieux quand je n’aurai plus rien à faire. Comme ma grand-mère qui organisait des soupers canadiens pour financer des bonnes œuvres, j’ai toujours été impliqué : dans les scouts, le club optimiste, dans mon association. Je suis engagé depuis longtemps dans la défense des droits des personnes malentendantes. Je trouve qu’on s’en occupe moins que de d’autres groupes de personnes handicapées. Même si les gens disent qu’ils vont « faire attention » à leur débit de parole quand on leur dit qu’on est malentendant, ils oublient vite. Ça me frustre souvent, mais il faut se dire que ça fait partie de notre vie d’handicapé.

Line

Pendant 50 ans, j’ai caché le fait que j’étais malentendante. Je me suis toujours organisée pour que ça ne paraisse pas. Je déteste qu’on me prenne en pitié. J’ai brisé mon silence

moment de ce grand virage, quand j’ai parlé, j’ai commencé à fréquenter une association de personnes malentendantes. Pour m’aider à accepter, j’avais besoin de côtoyer des personnes qui pouvaient me comprendre. Graduellement, j’ai commencé à m’impliquer davantage dans l’association. Maintenant, je fais même des conférences pour sensibiliser de futurs intervenants du réseau de la santé aux réalités et aux besoins des malentendants. J’aime le bénévolat parce qu’on peut choisir. Parfois, je dois prendre soin de mon conjoint ou de mes petits-enfants et j’ai moins de temps pour mes implications. Même si la technologie peut aider les personnes malentendantes, ce n’est pas magique. Moi, j’ai souvent préféré me retirer dans le silence que d’être soumise au stress du bruit. Un de mes petits-fils est handicapé. Peut-être que mon expérience de vie va l’aider.

Manon

J’ai une incapacité depuis le début de l’âge adulte. Après mon accident, j’ai dû rompre avec un emploi et un « monde » que j’adorais. J’ai passé une grande partie de ma vie « dans le placard », et je veux en sortir. Mon placard, c’est de faire des activités pour handicapés. Je veux montrer que même si je suis handicapée, j’ai quelque chose à offrir. J’ai commencé à m’encourager en me regardant dans le miroir et en me disant : Vas-y Manon. J’ai commencé à parler. Je fais face à beaucoup de préjugés des « debout » (les personnes qui peuvent marcher), qui traitent les « assis » (les personnes en fauteuil roulant) comme des malades. Par rapport à la participation sociale, je veux être avec la société, vivre « avec tout le monde ». Je n’aime pas le mot participation, ça me fait penser à des activités ponctuelles. J’ai de l’énergie pour me battre, pour changer ma réalité. Je ne veux pas me « laisser aller », « baisser les bras ». Je me bats en allant

dans la déprime. On a un rôle social, on n’est pas là juste pour se regarder. J’essaie d’expliquer ça aux gens qui restent chez eux en attendant que le temps passe. Je m’implique dans l’association pour soutenir d’autres handicapés visuels qui ont de la difficulté à vivre avec leur incapacité. Ce n’est pas nouveau en tout cas, je me suis toujours impliqué, dans un groupe d’horticulture, dans des activités sociales au travail. Les soupers homards, j’en ai organisés! Mon handicap, je l’oublie souvent. C’est plus les autres qui s’en aperçoivent. La canne, ça me ralentit, mais elle pourrait m’éviter des genoux écorchés. Je suis un mélomane, la musique remplit ma vie. Je suis aussi un bricoleur, un jardinier. Même si je ne vois pas clair, j’aime à faire des choses pour les autres, réparer leurs objets ou leurs peines. Quand on donne, on ne perd pas de temps avec ses propres problèmes. Par rapport à la société, j’aimerais que les jeunes communiquent plus avec les aînés. Je trouve dommage qu’il y ait une coupure entre les générations.

René

Ma mission dans la vie est d’éduquer à la différence. Je veux le faire en respectant ce principe : ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul, ce qui veut dire qu’on doit être solidaires les uns des autres dans le mouvement des personnes handicapées. Je ne pense pas qu’on puisse accepter son handicap; on peut seulement apprendre à vivre avec. Les personnes handicapées qui ont un travail et une famille ne sont pas des héros, il n’y a rien de plus normal que ça. Pour l’instant, je ne pense pas à la retraite et je dis toujours oui lorsqu’on a besoin de moi. Dans mon organisme, j’anime un groupe d’aînés qui ont des incapacités visuelles. Beaucoup deviennent handicapés à cause de problèmes reliés au vieillissement. Ils ont besoin d’aide, ils sont désemparés après une vie sans incapacité. C’est important de les aider à sauvegarder leur réseau social. Mais eux, ils ont la chance d’avoir pu travailler et se ramasser une belle retraite, contrairement à la plupart des handicapés visuels depuis la naissance ou l’enfance. J’aimerais sortir davantage, mais j’ai besoin d’accompagnateurs. Je me promène moins, je ne vais plus chez mon disquaire préféré, ni voir de spectacles en plein air. Des fois, j’imagine le futur et je le vois dans le silence et l’obscurité. Avec mes deux incapacités, je ne sais pas ce

Rita

Je suis une femme active. Je suis impliquée dans des activités, dans mon association, dans ma famille. J’aimerais ça faire bouger la société pour améliorer la situation des personnes malentendantes. En ce moment, je m’implique pour que les églises et les salles de spectacle se dotent de technologies d’aide auditive. Il faut enseigner les différences, sensibiliser les gens, demander des systèmes qui permettent à tout le monde d’entendre, de comprendre ce qui se passe. J’ai eu de la misère à accepter mon incapacité auditive. Maintenant, je ne cache pas le fait que je suis malentendante et je ne refuse jamais de parler de cette réalité. Ma vie a beaucoup changé quand j’ai eu mon implant cochléaire. Par exemple, j’ai pu commencer à faire partie de comités. Quand je pense à la participation sociale, l’important pour moi, c’est l’harmonie et l’humour. Dans le photoroman, il est important de travailler ensemble, et non « chaque handicap de son côté ». Je veux bien vieillir. Pour ça, je me nourris bien, je fais de l’exercice, je ne m’apitoie pas sur mon sort.

Tania

J’ai longtemps refusé de me voir comme une personne avec une incapacité. Maintenant, le miroir est moins dur, j’ai fait du chemin, je vis avec. J’ai participé à quelques milieux de personnes handicapées. Je préfère quand même les milieux mixtes, où il y a des piétons et toutes sortes de monde. Je me trouve chanceuse, j’ai les moyens d’avoir une vie à mon goût. J’ai aussi de bonne amies et je peux communiquer facilement avec elles, ma grande passion. Je veux gérer mon énergie pour qu’elle dure longtemps, alors je choisis mes activités avec soin. En même temps, je ne veux pas vieillir pendant 100 ans.

Théodore

Moi, c’est simple, je veux vivre jusqu’à 107 ans. Tant que je suis heureux intellectuellement, je veux apprendre, me nourrir, utiliser ma créativité, même si ça me demande des ajustements ou un déménagement dans une résidence. J’essaie de vivre heureux comme handicapé. On peut toujours s’arranger, s’accommoder, pour être admis dans un groupe, un milieu de travail. Ça dépend beaucoup des attitudes, il faut se mettre en situation d’avoir des contacts. Ça dépend aussi de la santé. J’ai été très actif dans le mouvement des personnes handicapées, j’ai participé aux changements législatifs pour l’accessibilité des bâtiments. Maintenant, je veux continuer de m’impliquer parce que ça me garde à vif intellectuellement. J’ai essayé de devenir membre de l’Âge d’or, mais ils ne veulent pas changer pour devenir accessibles. J’aime entreprendre de nouveaux projets. Ma plus grosse participation sociale, c’est de jaser avec les autres. Quand je croise des gens sur la piste cyclable et qu’on se met à parler, il y a un échange, tout d’un coup mon handicap devient invisible.