L’analyse critique de discours

Afin de répondre à notre troisième question de recherche, nous avons réalisé une analyse critique de discours. L’analyse critique de discours intègre dans l’analyse des éléments relatifs à l’idéologie, aux relations sociales et aux dynamiques changeantes du contexte politique (Fairclough, 2001; Marston, 2004). Cette méthode considère le langage comme une forme de pratique sociale capable de montrer comment le pouvoir social est mis en forme par le texte et la parole dans un contexte social et politique spécifique (van Dijk, 2001). Elle consiste à explorer les sphères micro (comme les relations sociales quotidiennes) et macro (comme les politiques sociales), ainsi que les interfaces les liant, afin de mieux comprendre comment les relations de pouvoir sont produites et reproduites, sanctionnées ou contestées (Ibid). On cherchera à étudier comment les discours font la médiation des interactions mutuelles entre les membres et les groupes, entre les actions et les processus, entre le contexte et les structures sociales, ou encore entre les connaissances personnelles et sociales. L’analyse critique de discours met aussi l’emphase sur les moyens employés par les groupes dominants pour contrôler les discours des politiques sociales et sur comment ces pressions arrivent à influencer les actions et les croyances des groupes détenant moins de pouvoir. En somme, cette approche d’analyse ouvre à l’analyse du pouvoir et de la domination allant au-delà des frontières habituelles séparant les sphères micro et macro, tout en mettant en lumière l’existence de possibles inégalités sociales.

surcroît, le Québec offre un exemple illustratif du rythme rapide auquel la participation a été introduite dans les politiques et les programmes sociaux.

Plus précisément, nous avons exploré comment les structures et les pratiques entourant la participation sont susceptibles de créer des possibilités ou des enjeux pour les personnes vieillissant avec des incapacités. Pour ce faire, nous avons envisagé les politiques sociales étudiées sous l’angle de mécanismes générant des priorités et des agendas capables de modeler des normes et des attentes à l’égard de la participation sociale des aînés. Trois questions de départ ont guidé notre analyse : Comment le concept de participation a-t-il évolué dans les politiques du vieillissement au Québec depuis le milieu des années 2000? Quels sont les formes de participation suggérées aux aînés? Est-ce que les normes et les attentes associées au concept de participation peuvent être ajustées en fonction de situations d’incapacité et de handicap?

Cette période (2005-2011) a été choisie pour deux raisons principales. D’une part, il s’avère que quelques années ont été nécessaires aux gouvernements nationaux pour qu’ils insèrent dans leurs politiques les orientations suggérées par la Conférence de Madrid au tournant du 21ème siècle (Organisation des Nations Unies, 2002). D’autre part, l’année 2005 a représenté au Québec un tournant majeur en termes de politiques publiques. Élu en 2004, le gouvernement libéral, dirigé par Jean Charest, a entrepris un important projet de réingénierie de l’État dont les éléments centraux étaient la participation citoyenne et le partenariat entre les secteurs public, privé et communautaire (Côté & Lévesque, 2009). Le vieillissement a été identifié comme l’une des priorités de ce chantier, ce qui a mené à la création en 2005 du Ministère de la Famille et des Aînés (antérieurement le Ministère de la Famille). Rapidement, le nouveau ministère publie le rapport « Une pleine participation des aînés au développement du Québec » (Gouvernement du Québec, 2005b). À partir de ce moment, la participation est à l’avant-scène des actions de la province en matière de vieillissement; elle infuse tant les discours généraux que les programmes sociaux17. En quelques années, plus précisément entre 2005 et 2008, le gouvernement provincial du

Québec a créé un cadre politique global du vieillissement utilisant la participation à la fois comme principe d’action et objectif, une approche maintenue depuis (Gouvernement du Québec, 2008, 2012)

Les politiques sur le vieillissement et les aînés publiées au Québec entre 2005 et 2011 ont été considérées aux fins d’analyse. Durant la période visée, le gouvernement québécois a publié dix documents de politiques sociales abordant le thème de la participation sociale des aînés. Ces documents ont pris des formes diverses : rapports de consultation, dépliants d’information générale, exercice de planification stratégique, etc. Afin de sélectionner les documents appropriés pour notre analyse critique de discours, nous avons utilisé deux critères d’inclusion. Premièrement, les documents devaient être pertinents sur le plan thématique; nous jugions adéquate une politique sociale présentant une définition de la participation, une description des activités configurées et une mention de la population-cible. Les publications explicitant une vision plus large de la participation dans la perspective du vieillissement étaient exclues. Deuxièmement, les documents devaient être utiles à l’évaluation de l’évolution à travers le temps des discours sur la participation. Ils devaient dont contenir les objectifs clairs et des indicateurs de la participation pouvant être comparés pour juger de la continuité ou du changement des discours.

L’application de ces deux critères a mené à la sélection de trois politiques sociales pour la réalisation d’une analyse critique de discours. Voici un tableau présentant le nom de ces politiques et une courte description de leur contenu (Tableau 1).

Tableau 1 Politiques sociales du vieillissement publiées au Québec entre 2005 et 2011, retenues pour analyse

Titre de la politique

sociale Survol du contenu

Une pleine participation des aînés au développement du Québec (2005)

 Présente les résultats de la première consultation sur le vieillissement réalisée au Québec.

 S’intéresse aux moyens de reconnaître les diverses implications et habiletés des aînés, ainsi que de transformer les perceptions quant au vieillissement et aux aînés.

Stratégie d’action en faveur des aînés: Un milieu de vie amélioré, une participation encouragée (2007)

 S’insère dans le Discours sur le budget 2007-2008.  Traite des ressources économiques et des

infrastructures requises pour soutenir l’autonomie et la qualité de vie des aînés, deux éléments considérés comme les piliers de leur participation sociale. Plan stratégique 2008-2012

du Ministère de la Famille et des aînés (2009)

 Contient le deuxième plan stratégique du Ministère de la Famille et des Aînés.

 Cherche à encourager un vieillissement actif et présente la participation sociale des aînés comme essentielle pour le développement du Québec.

3.3.2.2 Analyse et interprétation des résultats

Suivant les pistes analytiques suggérées par l’analyse critique de contenu (Fairclough, 1995, 2001; Marston, 2004), nous avons développé un cadre d’analyse des politiques sociales articulée en fonction de trois dimensions. Le premier point s’intéressait à la description de la participation sociale, le deuxième aux autorités responsables d’encourager la participation sociale des aînés, et le troisième aux liens entre les discours sur la participation et les caractéristiques individuelles des aînés. Les questions d’analyse employées pour chacun de ces items sont présentées dans le Tableau 2.

Tableau 2 Dimensions et questions d’analyse critique de contenu

Dimension analysée Questions d’analyse

Description de la participation

sociale  Comment la participation individuelle est-elle définie dans les politiques sociales?  Quelles sont les formes et les lieux de participation

reconnus? Responsabilité quant à la

participation sociale des aînés  Qui est responsable de faire la promotion de la participation sociale des aînés ou encore de la soutenir?  Quels sont les acteurs sociaux présents dans le champ de

la participation sociale? Liens entre les discours

participatifs et des trajectoires spécifiques de vieillissement

 Quels sont les modèles d’expérience esquissés et suggérés dans les politiques?

 Ces modèles sont-ils susceptibles de nourrir des attentes quant au niveau d’activité et à l’état des aînés?

Ces questions ont été posées à chacune des politiques. Par la suite, les résultats de ces trois exercices individuels ont été mis en relation et comparés.