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Intersection des politiques sociales et des conceptions et pratiques d’aînés ayant des incapacités en matière de participation sociale

On the track of evaluated programs targeting the social participation of seniors: A typology proposal

Cercle 4 : La représentation et la visualisation

5. Intersection des politiques sociales et des conceptions et pratiques d’aînés ayant des incapacités en matière de participation sociale

Les résultats présentés dans ce deuxième chapitre de résultats nous permettent de répondre à la question de recherche concernant le niveau de correspondance entre, d’un côté, les conceptions et pratiques de participation sociale d’aînés ayant des incapacités, et, de l’autre côté, les orientations de politiques sociales quant à la participation sociale des aînés. La section est divisée en trois parties.

Premièrement, nous présentons l’article C, intitulé « Vieillissement actif et aînés handicapés au Québec : Duo du possible ou mirage? ». Nous y introduisons le cadre du vieillissement actif utilisé par le Gouvernement du Québec depuis le début des années 2000 et nous l’interrogeons à la lumière des résultats d’un groupe de discussion réalisé au début du Projet Photoroman. Ce groupe de discussion, que nous avons brièvement présenté au moment de faire le portrait du terrain de recherche (point 1.2), a réuni onze personnes vieillissant avec des incapacités autour du thème de la participation sociale. La comparaison entre le cadre du vieillissement actif et les expériences des aînés mène à trois constats principaux: le cadre du vieillissement actif possède un caractère normatif; tous n’ont pas accès aux moyens permettant de vivre un vieillissement actif selon les normes définies; le modèle de participation proposé par le vieillissement actif évacue la question du changement social au profit d’une orientation fonctionnaliste contributive. Il est à noter que cet article a été rédigé à la mi-parcours de notre thèse de doctorat. Il n’intègre donc pas l’ensemble des résultats et doit donc être lu en tenant compte de cette précision.

Deuxièmement, nous présentons l’article D. Intitulé « Participation in policy discourse : New form of exclusion for seniors with disabilities », il analyse, tel que décrit au chapitre de la méthodologie, trois politiques sociales du vieillissement produites par le Gouvernement du Québec. Par le biais d’une analyse critique de discours, nous nous demandons si les orientations contenues dans les politiques étudiées sont favorables à la

Troisièmement, nous mettons en relation les résultats de l’article B et de l’article D. Présenté au point 5.1, ce segment expose trois zones de tension entre les discours des politiques sociales et ceux des acteurs sociaux par rapport au thème abordé. Nous examinons ces tensions en cherchant à voir si elles sont susceptibles de freiner ou d’inhiber la participation sociale des aînés ayant des incapacités, ou bien si, au contraire, elles peuvent susciter la mobilisation et l’action de ces derniers en vue d’adapter ou de réinventer les modes de participation sociale et de vieillissement dit actif.

Vieillissement actif et aînés handicapés au Québec : Duo du possible ou mirage? Emilie Raymonda, Amanda Grenierb30

Résumé

Le modèle du vieillissement actif exerce une influence dominante sur les politiques sociales dirigées vers les aînés. Cette autorité n’est habituellement pas contestée, semblant correspondre aux changements de mentalité entourant le rôle social des aînés. Mais s’agit-il pour autant d’une perspective respectueuse de la diversité de leurs besoins, parcours de vie, aspirations et conditions socioéconomiques? L’article propose une réflexion critique sur la rhétorique du vieillissement actif dans sa capacité à rencontrer (ou non) l’expérience du vieillir de l’ensemble des aînés. Le cadre du vieillissement actif, tel que conceptualisé et mis en œuvre par le Ministère de la Famille et des Aînés du Québec, est comparé aux représentations et pratiques d’aînés handicapés interrogés quant à leurs visions du vieillissement. Les résultats de l’analyse mènent à interroger trois aspects du vieillissement actif : d’abord, la question du choix et/ou de la possibilité d’y adhérer; ensuite, la question de l’accès aux espaces d’activité dessinés; enfin, la question de la nature du lien individu/société promu par ce modèle.

Si la notion de « vieillissement actif » aiguillonne les politiques de plusieurs organisations internationales en matière de vieillissement, notamment de l’Organisation mondiale de la santé (2002, 2007) et de l’Organisation des Nations Unies (2002, 2008), son influence traverse également les institutions nationales. Au Québec, le Ministère de la Famille et des Aînés en a fait son modèle-cadre depuis 2008. « Vieillir en restant actif », tel est le mot d’ordre lancé non seulement aux aînés, mais aussi aux municipalités, aux organisations communautaires et aux associations désirant obtenir reconnaissance et financement de la part du Ministère (Gouvernement du Québec, 2009a).

L’optimisme d’une telle approche reprend l’air du temps. Les aînés d’aujourd’hui ne sont-ils pas en meilleure santé, plus scolarisés, mieux nantis que leurs prédécesseurs (Statistique Canada, 2007)? N’a-t-on pas laissé derrière cette vue du désengagement social des aînés, ces portraits de seniors vulnérables, grabataires (Gouvernement du Québec 2005, 2008)? La vision d’aînés engagés dans différentes activités, intégrés dans la vie de leur communauté, désireux et capables d’avoir un mode de vie actif, est certainement séduisante. Mais s’agit-il pour autant d’une perspective réaliste et équitable? Peut-on penser qu’il s’agit d’un point de vue respectueux de la diversité de besoins, de trajectoires de vie, d’aspirations, de conditions socioéconomiques et de santé, présente au sein de ceux et celles qu’on désigne comme des aînés? Afin de répondre à ces questions fondamentales, il apparaît essentiel de mettre en relation politiques sociales et expériences des acteurs sociaux (Grenier, sous presse), ici par le biais d’une attention plus soutenue aux discours du vieillissement actif.

Le présent article propose donc une réflexion critique face à l’autorité politique et culturelle de ce modèle. Il est enraciné dans une collaboration de recherche entreprise en 2009 avec des personnes qui vieillissent avec un handicap physique, un groupe négligé autant en gérontologie sociale que dans les études sur les handicaps (Gasior et Zaidi, 2010; Jönson et Taghizadeh, 2009; Minkler et Fadem, 2002; Priestley et Rabiee, 2002). La désignation « vieillir avec un handicap physique» vise à distinguer les aînés qui développent une limitation physique émanant du processus de vieillissement (arthrite, démence, perte d’audition, etc.) des personnes qui participent au présent projet de recherche, eux qui ont passé la majeure partie de leur vie avec un ou plusieurs handicaps physiques qui peuvent être attribués à une blessure médullaire, au syndrome post-polio, à

vieillissement actif avec des aînés représentant ces groupes dans des phases ultérieures de recherche.

Nous comparerons le cadre du vieillissement actif tel que présenté par le Ministère de la Famille et des Aînés aux représentations et pratiques d’aînés handicapés interrogés quant à leurs expériences de vieillissement. L’objectif d’un tel exercice est de percevoir les points de rencontre et/ou de discordance entre ces deux discours pour interpeller la rhétorique des politiques sociales contemporaines du vieillissement actif dans leur capacité à rencontrer (ou non) l’expérience du vieillir et à englober (ou non) l’ensemble des aînés.

Contexte : Le vieillissement actif tel que promu par le Ministère de la Famille et des Aînés du Québec

L’adoption du cadre du vieillissement actif est somme toute récente dans l’histoire du Ministère de la Famille et des Aînés, lui-même tout jeune (il a été créé en 200531). C’est en 2008 que cette notion est apparue pour la première fois dans les productions ministérielles. Mentionné au passage dans le rapport d’une consultation publique menée en 2007 au sujet des conditions de vie des aînés québécois (Gouvernement du Québec, 2008), le modèle du vieillissement actif est bien en selle à partir du plan stratégique 2008- 2012 du Ministère (Gouvernement du Québec 2009a).

En dépit de sa relative nouveauté, la faculté de pénétration de cette approche est remarquable. Elle délimite la principale orientation du Ministère de la Famille et des Aînés pour les prochaines années : « Favoriser le vieillissement actif et la pleine contribution des aînés au développement du Québec » (Ibid.). Elle est en tête de liste du site Internet du Ministère (« Être actif, ça n’a pas d’âge ») et s’accompagne de nombreux dépliants d’information sur les moyens de vieillir en restant actif32. Elle constitue la

colonne vertébrale du programme Municipalité Amies Des Aînés offert à toutes les municipalités québécoises, un budget de mise en place à la clé (Gouvernement du Québec, 2009b). Elle fonde un événement annuel majeur dans la Province, les « Journées sur le vieillissement actif »33, qui en sont en 2011 à leur deuxième édition.

Au-delà de l’utilisation intensive de la notion de vieillissement actif, il est intéressant de voir comment elle est implantée par le Ministère de la Famille et des Aînés. On peut penser que cette appropriation n’est pas nécessairement équivalente au modèle de l’Organisation mondiale de la Santé (2002), qui insiste sur les trois piliers de la santé, de la sécurité et de la participation, ni non plus au sens que lui accordent différents penseurs (notamment Moody, 2001 et Walker, 2002), pour qui le vieillissement actif a le potentiel de transformer en profondeur l’idée même du vieillissement et de l’éthique l’entourant. Lorsque le Ministère élabore une interprétation du vieillissement actif sur son site Internet34, on constate effectivement qu’il prend des couleurs inédites. L’institution

définit le vieillissement actif comme « une existence active menée par les personnes aînées sur les plans personnel, familial, social et professionnel »35. Le terme « actif » désigne « un engagement constant dans différentes sphères d’activités », notamment le travail salarié, les activités bénévoles, les soins apportés aux proches et la pratiques de loisirs dit actifs (centres d’intérêts, sports, voyages et activités créatives). S’engager sur le chemin d’un vieillissement actif permet à l’ensemble des aînés, « retraités, malades, handicapés », de « s’épanouir et de demeurer en bonne santé » tout en étant assurés que « leurs besoins et leurs droits sont respectés ». En effet, le vieillissement actif est présenté comme un outil pour lutter « contre les abus et la maltraitance ; la pauvreté et l’exclusion

d’utilité, développer de nouvelles aptitudes, conserver un réseau social, briser leur isolement et acquérir une image forte d’[eux]-mêmes ». Tel qu’il est raconté, le vieillissement actif est en somme une démarche individuelle de choix d’activités orientée vers le maintien et l’optimisation de la bonne santé et de la qualité de vie, démarche devant, in fine, profiter à la collectivité.

Méthode : Émergence d’un alter-discours sur le vieillissement actif

Face à la manière dont le Ministère de la Famille et des Aînés traduit et fixe le cadre du vieillissement actif, il y a lieu de se questionner sur la synergie ou la discordance existant entre ce projet politique et les expériences aînés des handicapés. Ces derniers se reconnaissent-ils ou non dans cette approche du vieillissement? Afin de baliser notre réponse, nous utiliserons des données issues de deux moments de collecte d’informations. Le premier moment consiste en un groupe de discussion réalisé avec onze aînés ayant une incapacité motrice, visuelle ou auditive. Cette activité s’inscrivait dans une recherche menée par l’Institut national de santé publique du Québec au sujet de la participation sociale des aînés (Raymond, Sévigny et al., sous presse36). Pour les aînés vieillissant avec un handicap physique, la rencontre du groupe de discussion est allée beaucoup plus loin qu’un échange ponctuel. Elle s’est transformée en une rare occasion de partager des difficultés, des stratégies, des craintes et des réussites par rapport au fait de vieillir avec un handicap (Raymond, Sévigny et al., 2011). À la fin du groupe, les participants ont convenu de se revoir pour poursuivre la conversation. Quelques mois plus tard, une association de la ville de Québec, le Carrefour familial des personnes handicapées37, a pris l’initiative d’organiser un forum populaire pour présenter les résultats de la recherche de l’Institut national de santé publique du Québec et donner l’occasion à davantage d’aînés handicapés de faire valoir leurs opinions et leurs besoins au sujet du

36 Ce document a été publié depuis :

37 Le Carrefour familial des personnes handicapées est un organisme d’action communautaire autonome

vieillissement et de la participation sociale (Raymond et Pomerleau, 2011). Ce forum, qui a réuni une quarantaine de personnes vieillissant avec un handicap, constitue notre deuxième moment de collecte de données. Au total, plus de cinquante aînés handicapés ont occupé ces espaces de prise de parole ; ce sont leurs voix que nous rapportons dans le présent article.

Les échanges du groupe de discussion et du forum ont été enregistrés et retranscrits. Une analyse qualitative de contenu du matériel a été réalisée. De cette opération, nous dégageons trois grands questionnements face aux archétypes du vieillissement actif :

1) Se rallier à cette vision du vieillissement est-il une obligation ou un devoir pour les aînés ?

2) Les aînés handicapés ont-ils accès aux moyens de vieillir en demeurant actif ? 3) Le vieillissement actif peut-il déboucher sur une inclusion sociale accrue pour les

aînés handicapés ?

Nous mettrons ces motifs face au cadre québécois du « vieillir en restant actif » afin de voir en quoi ils se rejoignent et sur quoi ils achoppent. Cet examen critique est rendu nécessaire par l’unanimité entourant, au Québec, les discours sur le vieillissement actif. Est-il avéré que, comme ils le revendiquent, ces discours institutionnels concernent, intéressent et intègrent les personnes vieillissant avec un handicap ? Se donner les moyens d’explorer ce qu’en pensent et disent ces mêmes personnes amène à réévaluer l’aptitude à rassembler du vieillissement actif. Avant d’aller plus loin, précisons qu’il s’agit d’un survol bref et initial d’un thème qui fera par la suite l’objet de travaux plus