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Le multiculturalisme et la question de la différence

Chapitre I. Contexte global des débats sur la diversité culturelle

I. Contexte global entourant les débats sur la diversité culturelle

I.2. Le débat politique et philosophique sur la différence

I.2.1. Le multiculturalisme et la question de la différence

Définissant le multiculturalisme, qui se présente dans la société américaine, Hartmann et Gerteis (2005) soulignent:

Multiculturalism is best understood as a critical-theoretical project, an exercise in cultivating new conceptions of solidarity in the context of dealing with the realities of pervasive and increasing diversity in contemporary societies. Multiculturalism is a response-or a set of response- to diversity that seeks to articulate the social conditions under which differences can be incorporated and order achieved from diversity (p. 221-222).

La problématique du multiculturalisme considère l’existence d’un traitement inéquitable entre différents groupes culturels et sa transcription dans les lois politiques et sociales (Semprini, 1997 ; Constant, 2000). Partant des sociétés à forte densité migratoire, les multiculturalistes voient qu’il y a un discours libéral qui tend à fonctionner sur un binôme « nous et les autres ». Les premiers s’inscrivent dans une majorité « normale» car moderne, blanche et masculine alors que les deuxièmes se désignent « anormaux» car traditionnels, noirs et féministes (Semprini, 1997 ; Constant, 2000 ; Doytcheva, 2011). Ainsi, la revendication multiculturaliste vise la quête de la reconnaissance des droits de la minorité culturelle en mettant en exergue les défaillances du système politique (américain) en égard aux groupes culturels présents dans la société (Dietz, 2007). Cette distinction dichotomique entre « libéraux » et « communautariens » comme le désigne Rawls (1971 dans Wieviorka, 2004 : 292), est aussi soulevée par Stuart Hall (2008). Ce dernier considère qu’il y a une assignation à la différence imposée par le premier groupe, dans un processus issu des concurrences dans l’histoire. La persistance du maintien de catégories fondées sur le « nous » et le « eux » semble

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être la procédure privilégiée par les modernistes. Pour les multiculturalistes, il existerait un décalage idéologique entre les tenants de la modernité et ceux considérés traditionnels par les premiers (Hall, 2008). En effet, la quête de la reconnaissance par l’entremise de la culture et du culte de l’histoire est perçue chez les modernistes comme un discours encore « gravé dans la pierre » (Hall, 2008 : 395). Voilà que le retour vers l’authentique, l’affection et la protection de la culture sont considérés comme une manière régressée de penser la modernité. Dans cette perspective, Constant (2000) décrit les politiques administratives qui, dans leur persistance à utiliser les catégories, échouent à créer une représentation fidèle de l’identité de l’individu car elles insistent à l’enfermer dans des balises préétablies malgré la présence d’autres liens avec d’autres cultures. Les multiculturalistes dénoncent cet enfermement auquel certains groupes ne s’identifient pas. Ils considèrent que cette manière de distinguer les différents groupes a, plutôt, instauré des stéréotypes qui excluent le rôle de l’histoire et du pouvoir dans la création de la différence.

En même temps, dans leur lutte pour la reconnaissance des droits des groupes culturels, les multiculturalistes ont « re-essentialisé »11 les groupes culturels

(Dietz, 2007 : 11). En effet, au même temps qu’ils défendent les particularités culturelles des groupes qu’ils protègent, ils mettent en exergue leurs traits pour aboutir à leur fin :

For the multiculturalist movements struggling for recognition of diversity, the normative reinforcement of these new identities has gone through a phase in which the differences that were originally constructed are “re-essentialized”. Parallel to the beginning of the

11Deborah Litvin (1997) a retracé l’émergence du discours sur la diversité en remontant à la philosophie platonienne à l’origine de l’«essentialisme ». Platon a observé que dans la diversité des espèces il existe des attributs constants qui facilitent leurs comparaisons et par la suite leurs catégorisations. Le terme « essentialisme » implique ainsi une identité statique et figée car établie sur des caractéristiques invariables. Pour Mayr (1982: 38, dans Litvin, 1997: 191), cette procédure est celle privilégiée par les penseurs occidentaux. Elle affirme: « Essentialism dominated the thinking of Western World». Pour leur part, en appelant à la reconnaissance de leur identité culturelle, les multiculturalistes se sont appuyés sur leurs différences, les mettant ainsi en exergue et en les utilisant comme argument pour exprimer leurs demandes, d’où le « re-essentialisme » de leurs identité.

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educational, academic and later political institutionalization of diversity recognition schemes, “racial”, “ethnic”, and/or “cultural differences” are used as arguments in the struggle for access to the de facto powers (Dietz, 2007: 11).

Comme le mentionne Dietz (2007), dans leur quête à la reconnaissance, les multiculturalistes ont instauré la séparation entre les groupes culturels et ont confirmé, indirectement, la position dominante d’une élite culturelle. D’où l’emploi du « Isme » dans le multiculturalisme, comme l’affirme Stuart Hall (2008: 374). Cet auteur voit qu’il est dénonciateur d’une procédure rigide de renfermement en opposant deux groupes culturels au nom de la reconnaissance de la différence.

Dans cette perspective, le multiculturel, par opposition au multiculturalisme, renvoie à une hétérogénéité sociale. Par exemple, les sociétés latino-américaines caractérisées par une grande dynamique identitaire sont évoquées en termes d’« hétérogénéité culturelle » (Garcià Canclini, 1995) et ne font pas usage du « multiculturalisme » comme ont tendance à le faire les auteurs qui évoquent le contexte américain. Le discours de ces derniers s’établit sur le clivage et accuse d’entrée de jeu un discours dominant basé sur l’histoire12.

Pour sa part, Leila Rizk (2005) estime que, de son côté, le monde arabe est riche d’une tradition culturelle instaurée par les conquêtes et par le colonialisme13. Cette

richesse a, malheureusement sombré dans un discours « choc des civilisations », comme celui porté par Samuel Hungtington (1996). Ce dernier instaure un clivage qui oppose un discours occidental et un autre, « islamique ». Ce discours, actuellement bien ancré dans les médias, est celui qui prend le dessus. Même si

12Semprini (1997) et Constant (2000) partent de la société américaine en évoquant le développement de sa culture de domination à travers le génocide indien, la mise en place de l’esclavage et l’échec de ses politiques sociales (Action Affirmative) de gestion de la diversité (Semprini, 1997: 9).

13La Tunisie en est un exemple. Ce pays est un mélange de racines ; berbères, phéniciennes, romaines, byzantines, turques, arabes et françaises. Un mélange culturel qui a contribué au construit de notre identité culturelle.

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des auteurs comme Wieviorka (2004) considèrent que l’enjeu ne peut être réduit à une démarcation politique claire entre « eux » et « nous ». Pour lui, le débat concerne l’expression des spécificités culturelles qui visent à être reconnues, mais qui, malheureusement, ont pris une tournure violente. Toutefois, malgré cette contestation qui émane du point de vue de cet auteur, les médias persistent à favoriser le discours politique sur celui culturel.

Ainsi, des auteurs comme Ernesto Laclau (2000) ont critiqué la manière dont les multiculturalistes se sont appropriés la différence dans un discours vu comme un communautarisme de repli. Lui, a contrario prône l’ouverture.

I.2.2. Le vain débat sur l’ « universalisme » et le « particularisme » selon