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INSULARITÉ ET RADIOPHONIE INFRANATIONALE

A. Le contexte métropolitain

Si dès 1945, neuf directions régionales voient le jour au sein de la RTF, il faut attendre 1963 pour qu’une véritable politique de décentralisation avec la création d’une délégation à la RTF (puis de l’ORTF) aux stations régionales. Cette délégation « a pour mission de promouvoir

la production régionale tant en radio qu’en télévision, et de définir la politique générale de programmation définie centralement » (CAYROL in MABILEAU, TUDESQ, 1980 : 294). La régionalisation audiovisuelle opérée par le pouvoir central doit favoriser la réalisation de programmes d’information et d’actualités culturelles télévisées et radiophoniques régionales. Présentée comme un atout décisif pour la politique de décentralisation, l’infranationalisation culturelle et informationnelle peut aussi, selon le rapport de Lucien Paye, « jouer un rôle

important de révélation d’une conscience régionale » (Ibid. : 297). Puis ce sont des centres d’actualité régionale (CAT) qui sont mis en place dans chacune des 22 régions administratives pour promouvoir les spécificités régionales. La priorité étant donnée à l’information et non à la

production de programmes proprement régionaux, les émissions d’intérêt régional sont, dans ce contexte, destinées à être diffusées dans un cadre microterritorial mais uniquement par décrochage des programmes nationaux.

En ce qui concerne plus spécifiquement le secteur radiophonique, interdites sur le territoire national, les premières radios privées sont des radios périphériques qui en installant leurs émetteurs dans des pays frontaliers pour émettre vers la France contournent ainsi la législation qui consacrait le monopole de l’État en matière audiovisuelle. Le début des années 1930 est marqué, en France, par l’arrivée des radios commerciales dites « périphériques » tolérées le pouvoir étatique telles que Radio Luxembourg en 1933, Radio Monte Carlo en 1943 et Radio Andorre en 1939 puis Europe 1 en 1955. Captées partout en France, ces radios émettent naturellement depuis des pays limitrophes de l’hexagone : Radio Luxembourg depuis le Grand Duché de Luxembourg, les émetteurs de Radio Monte Carlo sont situés dans la Principauté de Monaco, ceux de Radio

Andorre dans celle d’Andorre (entre la France et l’Espagne), et enfin Europe 1 qui émet ses

programmes depuis la Sarre (territoire situé à l’est du Luxembourg). Pourtant, et paradoxalement, les studios de ces stations sont parfois situés dans l’hexagone et l’État participe financièrement au capital de ces stations. En effet, « chacune d’entre elles, plus ou moins étroitement, dépendait de

l’autorité française qui n’entendait pas laisser contourner ses prérogatives audiovisuelles au travers d’un artifice géographique »(LESUEUR, 2002 : 56). Ce mouvement n’est pas sans susciter de nombreuses réactions de la part des élites intellectuelles, politiques et surtout des professionnels de la presse qui y voient une menace à l’essor de leur secteur d’activité.

Phénomène européen, les prémices du mouvement des radios libres se situent dans l’Italie des années 1970, et plus précisément en Sicile avec la station Radio Sicilia Libera qui « durant

une journée […] émit depuis la vallée de Belice pour exprimer la colère des victimes d’un tremblement de terre » (CHEVAL, 1997 : 67). L’Italie est le pays où la Démocratie Chrétienne exerçait le contrôle total de la Radio Audizioni Italiana (la RAI) qui jouit en effet depuis plus de trente ans d’un monopole absolu sur la radiodiffusion italienne. Se succèdent les expériences pirates de Radio Bologna, Radio Parma et Radio Milano International. En proposant une offre de programmes innovants Radio Milano International est la première à fonctionner véritablement comme une entreprise commerciale. Les projets de radios libres se multiplient partout en Europe. Médias de la localité, les micro-médias que sont ces radios libres revêtent des valeurs positives synonymes de pluralisme et de liberté d’expression. Alternatives au service public ces nouvelles radios, pourtant interdites et fortement réprimées (saisies de matériel, interdictions, recours en

justice), se développent et parviennent même à détourner « […] 20% des auditeurs de la radio

d’État, soit, environ, quatre millions de personnes « actives », situées dans une fourchette d’âge de 15 à 35 ans. Le gouvernement italien, habitué à la contestation, réalise très rapidement qu’il ne pourra jamais juguler un tel courant » (LESUEUR, 2002 : 31). Les autorités publiques entreprennent alors un grand mouvement de légalisation de ces radios sur lesquelles elles conservent et exercent tout de même un certain pouvoir.

Il apparaît que les mutations technologiques ont eu pour effet de mettre au jour l’existence de besoins de communication entraînant l’apprentissage d’un mode différent de relation à l’audiovisuel. Tous ces éléments jouent favorablement, en France notamment, à l’abolition du monopole d’État. L’explosion des radios dites « libres » illustre parfaitement ce changement d’ordre socio-culturel. Et l’arrivée de la Gauche au pouvoir a eu pour conséquence, dans le secteur audiovisuel, la prise en compte de cette nouvelle situation. Dans ce processus, en face des quatre chaînes de radio de l’ORTF, existent trois stations périphériques dont deux sont totalement privées (il s’agit de Radio Luxembourg initiée par la SFR, et d’Europe n°1 détenue par Charles Michelson), et une contrôlée par l’État, Radio Monte Carlo, émanation de la Sofira2 et créée à l’origine par Pierre Laval. L’époque est dorénavant à la concurrence entre les radios commerciales périphériques aux profits considérables et les radios publiques de l’ORTF. Généralistes, les radios périphériques connaissent très vite un certain succès qui incite des investisseurs métropolitains à partir à la conquête de l’espace des Antilles francophones jusqu’alors soumis au monopole des seules stations officielles de la Radiodiffusion de France. Avant de nous pencher sur les conséquences du phénomène et de la politique de libéralisation des ondes dans les Départements français d’Amérique, nous pensons qu’il est essentiel, pour contextualiser notre propos, de retracer l’histoire radiophonique de ces territoires. Non seulement parce qu’il s’agit d’une histoire ignorée et sur laquelle très peu d’écrits existent, mais aussi parce que sa connaissance est fondamentale pour comprendre les particularités de la radiophonie contemporaine qui constituent le cœur de notre questionnement.

2 La Sofira, Société Financière de Radiodiffusion créée le 7 novembre 1942 par Pierre Laval, deviendra la Sofirad à la Libération

B. Le contexte insulaire : une histoire de la radiodiffusion