• Aucun résultat trouvé

1. (Re)penser le national

A. La radio, un dispositif médiatique singulier

« Média du direct » et du « temps présent » (Ibid. : 120), c’est une relation de type fusionnel que suppose le média radiophonique. Il instaure en effet une co-temporalité puisqu’il s’agit de permettre la réception dans l’instant d’une d’information transmise dans un autre lieu, parfois très lointain, et de mettre dans un même espace temporel l’émetteur et le récepteur. Cet idéal discursif et journalistique qui vise à réduire l’écart entre l’instance d’émission et l’instance de réception, entre le temps de l’événement et celui de la délivrance de la nouvelle, singularise la communication radiophonique tout en marquant la différence entre le média radio et la presse écrite ou la télévision tributaires d’un support matériel, et d’une transmission médiatique nécessairement différée. Selon Pierre Schaeffer la télévision peut dire « j’y étais » alors que la radio, elle, dit « j’y suis […] L’indicatif présent est un mode qui lui appartient en propre »

La radio dépend également et surtout du travail interprétatif du récepteur car elle consiste à construire un discours avec des sons. Mais ce qui semble être un handicap, en comparaison à la télévision, est ce qui fonde son pouvoir de captation. Ne pouvant rendre les choses directement visibles, elle utilise les sons pour construire des images sonores que l’auditeur, par un travail interprétatif, doit reconstruire, reconstituer. Il doit reconstruire à la fois des ambiances et des lieux, des événements, mais aussi la personnalité des locuteurs via des images corporelles et linguistiques, la radio nous envahit, envahit notre espace et conjugue à la fois l’ici et l’ailleurs. L’auditeur est donc actif, c’est un acteur de sens car « la radio est pour l’essentiel une relation »

(Ibid. : 93). La radio a cette particularité d’instituer une relation triadique, triangulaire entre une instance émettrice, une instance réceptrice « visée » et une instance réceptrice « interprétante » qui s’ancre et fait sens dans le contexte de cette interrelation. Ce contexte c’est le dispositif médiatique, mais c’est également le contexte social plus large et par lequel les discours sont nécessairement déterminés. Média de l’instantanéité et de l’ubiquité, de l’immédiateté situationnelle, s’instaure entre la radio et son auditoire une relation de contemporanéité et de co-temporalité. Il y a une relation voire une interdépendance entre le temps de l’événement et le temps de l’écoute. La radio doit par ailleurs son succès et son caractère interpersonnel au développement et à la banalisation des processus interactifs (téléphone, mail, sms, etc.) qui instaurent de la proximité, de l’intimité voire de la confidentialité et notamment dans les émissions du soir, le média devient une interface technologique. L’individualisation de l’écoute et son caractère subjectif structurent la communication radiophonique et ses modes de production et d’organisation.

Mais cette dimension interrelationnelle qui lui est consubstantielle est aussi déterminée par les représentations qui lui sont inhérentes et qui la particularisent. Si le média radiophonique déploie des représentations sociales et identitaires, il est aussi le lieu de circulation de représentations liées au média lui-même. La radio peut en effet être définie à travers un ensemble d’images mentales qui lui sont intrinsèquement liées telles que la familiarité, l’écoute individuelle, la proximité, la mobilité, l’évanescence. En ce qui concerne plus spécifiquement notre objet de recherche, Radio Caraïbes International est perçue et représentée comme la radio du « peuple », des Caribéens, des créolophones, de l’identité, de l’authenticité, de l’endémisme, de la quotidienneté, image spéculaire de « la vie » des sociétés martiniquaise et guadeloupéenne, etc. Toutes ces représentations circulantes imprègnent les discours et leur confèrent une dimension singulière. Dans le cadre de cette étude, il s’agit donc de corréler les représentations médiatiques

propres à Radio Caraïbes International et celles que le média contribue à construire et à diffuser ; les deux registres représentationnels étant dans un rapport interactionnel permanent.

De plus, précisons avec Guy Lochard et Jean-Claude Soulages que les médias sont caractérisés par trois niveaux de déterminations (LOCHARD, SOULAGES, 1998 : 55) qui influent nécessairement sur les modes de production langagiers :

- Le premier est technologique : il fait évidemment référence à la matérialité et à la technicité du dispositif et à ses contraintes situationnelles.

- Le second niveau est sociologique : en tant qu’un média est toujours intégré à un système plus large de relations et de pratiques sociales d’usage.

- Enfin, le dernier est sémio-discursif et renvoie aux intentions de sens qui résultent des pratiques des acteurs médiatiques (aussi bien l’instance médiatique que les acteurs sociaux intervenant en direct à l’antenne), et les propriétés techniques du média lui-même.

Et ce dernier type de détermination est celui qui nous intéresse plus particulièrement dans la mesure où il « permet l’apparition d’un produit spécifique »(Ibid.) : le genre médiatique. Défini par François Jost comme ce par quoi un média agit sur les récepteurs (JOST, 1999 : 19), le genre est l’élément qui relie l’instance médiatique à son auditorat et qui est par conséquent, investi à la fois des représentations propres au média et des représentations sociales et culturelles inhérentes au territoire et à l’environnement (dans un sens large) dans lequel il est produit, interprété et reçu et dans lequel il fait sens. En effet, un énoncé, quel qu’il soit, est toujours produit – entre autres cadres- dans un cadre social singulier qui détermine l’élaboration langagière et les manières de dire le monde dans la mesure où l’usage et la pratique de la radio sont des actes résultant de rapports et relations socio-symboliques. Aussi, c’est par le genre que s’actualisent la co-intentionnalité et le contrat symbolique de communication liant les deux instances émettrice et réceptrice, et qui président à la discursivité médiatique.

Cherchant à mettre en évidence la manière dont s’exprime une conscience d’appartenance à une communauté (géographique, linguistique, historique, culturelle, etc.) à travers les discours radiophoniques, notre étude se polarise plus particulièrement sur les émissions de talk-show auxquelles les auditeurs participent en direct. En effet, reposant sur un dispositif énonciatif singulier, les programmes de talk-show selon nous constituent des cadres d’interactions sociales et conversationnelles dont l’analyse permet la mise au jour des modalités de co-construction des discours.

B. L’émission de talk-show, un cadre symbolique d’interactions