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des Antilles françaises 3

B. Antagonismes européens

La Traite et l’asservissement des Africains n’auraient pu prendre une telle ampleur sans le cadre idéologique et théologique qui les justifiait. En effet, c’est en premier lieu l’Église, qui, en appuyant son discours sur le récit biblique de la malédiction de Cham, légitima l’exploitation des Africains Noirs. Selon la Genèse (IX, 22-27), père de Canaan et fils de Noé, Cham fut condamné

à être pour ses frères, Japhet et Sem, le dernier des esclaves pour avoir vu la nudité de son père. Selon l’interprétation opérée par les esclavagistes européens, Cham représentait les Kamits c’est-à-dire les peuples noirs, Japhet les peuples européens et Sem les peuples d’Asie. Prônant explicitement la supériorité de la « race blanche » sur la « race noire », ce mythe est fondateur de la pensée esclavagiste mais aussi de l’idéologie raciste. En effet, cette malédiction biblique fut interprétée comme la malédiction de tous les Noirs, prétendument descendants de Cham, d’être immuablement des esclaves. Ce fantasme, essentialisé et érigé en vérité par l’Église romaine apostolique d’abord, puis par les Églises Anglicanes et l’ensemble des mouvements protestants par la suite, devint l’un des arguments substructeurs d’un philosophisme racialisant. Les justifications théologiques avançaient que seuls la traite et l'esclavage pouvaient permettre aux Nègres d'être christianisés afin d'être lavés de la malédiction de Noé. Aussi, le Code Noir préconisait dans ses huit premiers articles le maintien de la discipline de l’Église catholique, apostolique et romaine, et obligeait les colons à baptiser et instruire les nègres dans la religion catholique. Il s’agissait en effet de faire sortir les Noirs du paganisme africain diabolique pour les conduire à la « vraie » foi tout en instillant dans leurs esprits qu’ils devaient accepter leur misérable sort sur Terre, de croire en Dieu dans la mesure où leur croyance leur permettrait d’aller au Paradis, là où prendrait fin leur misère.

La science, elle aussi, a participé à la construction de la subalternité et de l’hilotisme fantasmés des peuples Noirs. Si le phénomène est antérieur à l’apparition du concept lui-même, le racisme scientifique a été, selon Michel Wieviorka « inauguré par l’Europe à partir du moment

où s’opère son expansion planétaire, avec les grandes découvertes, la colonisation et ce qui est déjà dès le XVe siècle, un processus de mondialisation économique » (WIEVIORKA, 1998 : 16). Les doctrines racistes européennes glosaient les différences physiques des Indiens d’Amérique puis des Noirs Africains, différences essentielles –au sens littéral du terme-. Les attributs biologiques, naturels et parfois phénotypiques8 étaient au centre de l’argumentation discriminatoire et de la théorisation raciste. Fondée sur un ensemble de discours littéraires, iatriques, historiques et religieux qui concouraient à attester de la supposée supériorité de la « race » blanche sur toutes les autres, la pensée raciste a fait florès dans toute l’Europe dont les trois principaux foyers étaient l’Angleterre, l’Allemagne et la France. La montée des idéologies racistes européennes et de la propension à légitimer scientifiquement la suprématie de la civilisation blanche sur les sociétés d’Asie et d’Afrique notamment, correspondait à l’expansion

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Tels que le type de cheveux ou la forme du crâne qui a donné naissance à la craniométrie, activité scientifique qui consiste en la mensuration des os du crâne.

des empires coloniaux des puissances européennes. C’est dans ce contexte moral que la plupart des pays européens ne tardèrent pas à conquérir des territoires dans la région. Les Allemands, avec les marchands et banquiers Wesler avaient l’autorisation de Charles Quint d’exploiter le Venezuela ; les Français, Anglais et Néerlandais n’hésitèrent pas à piller les comptoirs et établissements luso-hispanophones des Guyanes, du Brésil et de l’archipel oriental ; les Italiens financèrent, eux, des expéditions économiques. La venue de ces migrants dans la Méditerranée des Caraïbes étrenna une nouvelle période de pillages et de spoliations et « c’est dans ce cadre de

destruction que se développa un processus de construction coloniale tout à fait originale et unique au monde »(LARA, 1986 : 46).

Pour certains historiens, la dépression économique et sociale que connurent la plupart des pays européens est à l’origine des mouvements migratoires et des expéditions de conquête dans les Amériques. Si l’accroissement de la pauvreté corrélé à la diffusion du mythe d’un Eldorado américain semblèrent expliquer cette volonté européenne de quitter le continent, ce sont bien des motivations politiques et stratégiques qui furent à l’origine de l’exploration puis de l’appropriation des terres caribéennes. C’est alors que la Caraïbe devint, au XVIIe siècle, le principal théâtre où se jouèrent les dissensions européennes et notamment avec l’établissement de la West Indische

Compagnie, dont l’ambition était d’ébranler l’hégémonie dont jouissait l’empire ibérique dans le

Nouveau Monde depuis la promulgation du Traité de Tordesillas.

La West Indische Compagnie (La Compagnie des Indes Occidentales) fût créée en 1621 par des entrepreneurs européens Hollandais, Danois, Français, Britanniques pour l’essentiel. Compagnie commerciale, elle permit le développement de circuits et de flux marchands entre l’Europe, l’Afrique (la Guinée) et les Amériques (le Brésil, les Guyanes, la Caraïbe insulaire et l’Amérique du Nord) et d’allier capitalisme et esclavage. Progressivement, les commerçants européens imposèrent leurs produits et s’implantèrent dans les îles de la Caraïbe. Ils entreprirent alors la culture du tabac et/ou de l’indigo et de la canne. Les îles antillaises ont été l’espace de fortes rivalités entre les Empires Britannique et Français qui se disputèrent souvent les mêmes territoires entre 1620 et 1650. Les statuts de cette Compagnie prévoyaient la fondation d'établissements dans toutes les îles d'Amérique qui n’étaient pas encore occupées par les rois chrétiens et la conversion des "Sauvages" à la religion catholique apostolique et romaine. Il était prévu d'y envoyer en 20 ans, 4 000 colons français, hommes, femmes et enfants, ainsi que de nombreux missionnaires. Les différentes actions menées par la Compagnie des Isles d’Amérique

connurent un grand succès dans diverses îles des Petites Antilles et c’est par son biais que la culture de la canne à sucre fut introduite dans les années 1640.

Le besoin de main-d'œuvre dans les plantations sucrières antillaises se fit donc de plus en plus pressant si bien que les colons, qui n’étaient pas parvenus à réduire en esclavage les natifs caraïbes, se tournèrent vers le continent africain, nouveau vivier d’une force humaine de travail abondante mais surtout résistante. C’est dans ces circonstances que les îles des Antilles françaises devinrent, avec d’autres îles caribéennes avant elles, centrales au système triangulaire négrier et esclavagiste. C’est la West Indische Compagnie qui fournit jusqu’en 1665 aux colons français et anglais la majorité de leurs esclaves en échange de denrées et de produits commerciaux tels que le sucre et le tabac. Elle fut supprimée en 1674 en France au profit de la Compagnie du Sénégal et en Grande-Bretagne c’est la Royal African Company qui la remplaça en 1672, toutes deux ayant obtenu de leurs gouvernements respectifs l’autorisation de pourvoir les colonies Caribéennes d’esclaves africains. Décidée en 1735, la liberté de la Traite eut pour corollaire son «industrialisation » au cours du XVIIIe siècle et le déclin des puissances coloniales Ibériques. Le monopole de la Compagnie des Indes Occidentales périclitant dans l’approvisionnement et l’acheminement d’esclaves, de marchandises et de biens manufacturés, le nombre d’armateurs privés s’est multiplié. La traite est devenue alors une véritable organisation entrepreneuriale modifiant profondément la structure ethnosociale des îles caribéennes.

C. La Traite négrière : une entreprise de globalisation