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Le compromis dans l’action et l’atteinte de l’objectif

Dans le document Tchekhov : la parole au féminin (Page 59-62)

CHAPITRE 2 LA CONSTRUCTION DE L’ACTION THÉÂTRALE : RECHERCHE DE

2.2 Certaines notions de base de la méthode

2.2.2 Le compromis dans l’action et l’atteinte de l’objectif

Une fois que les diverses situations du personnage sont identifiées et qu’il sait quelles forces luttent les unes contre les autres (conflits), l’acteur assume de façon précise quels sont les intérêts particuliers du personnage dans la situation donnée. La définition de l’objectif telle que Marie-Christine Autant-Mathieu la présente, renferme l’idée d’un découpage encore plus précis du texte qui fait apparaitre les moments charnières où les objectifs se transforment.

135 Thenon, L., Ethique et esthétique du travail de l’acteur, manuscrit inédit.

Le découpage de la pièce en séquences et le repérage des objectifs qu’elles contiennent permettent une analyse en profondeur de l’œuvre. Les objectifs, tels des feux de signalisation, évitent de se perdre, d’autant qu’ils sont subordonnés au superobjectif. L’acteur trouve les objectifs de son rôle et les fixe. Puis il en réduit le nombre. Les objectifs sont désignés par un verbe, précédé de je veux. Ils peuvent être physiques ou psychologiques. 137

Les objectifs chez Stanislavski sont étroitement liés au surobjectif, ou superobjectif selon les traductions. Il s’agit d’une « sorte d’étoile du berger vers [laquelle] doit tendre l’acteur en réalisant tous les objectifs qu’il a définis et nommés et en activant les moteurs de la vie psychique. Cet élan créateur doit être cohérent, ininterrompu et surtout vivant, organique »138. De cette notion découle aussi l’action transversale, émergeant

lorsque Stanislavski entreprend des corrections majeures dans le processus de formation de l’acteur qu’il a imaginé, dans les années 1930.

La première étape du travail de l’acteur consiste à appréhender le noyau (zerno) de l’œuvre et à suivre la ligne directrice de l’action qui traverse tous les épisodes (d’où son nom : action transversale). Cette orientation guide la vie psychique de l’homme-rôle (čelovek-rol’), enchaîne et rend cohérentes et logiques les différentes étapes de préparation. Cette ligne est comme un fil sur lequel l’acteur enfile des perles en vue de la création d’un collier, le super-objectif. L’action transversale est constituée de petits objectifs qui se fondent ensuite dans les grands. Elle est, avec le superobjectif, le meilleur appât (manka) pour la création subconsciente. On ne la perçoit pas au début du travail mais elle se dégage après un certain nombre de répétitions, et surtout après les premières représentations en public. Dans le Système, tout est centré sur l’action transversale et le superobjectif. Sans eux, le spectacle sera froid, formel. 139

Dans l’approche enseignée par Thenon, la notion d’objectif n’est pas vraiment mise de l’avant. Elle fait certes partie de la composition d’une action scénique mais n’est pas le centre de gravité de la situation dramatique. Elle fait partie d’un tout. A la notion de noyau, qui engendre l’action transversale, termes utilisés par Stanislavski, nous préférerons celle de motifs telle qu’employée par les traducteurs André Markowicz et Françoise Morvan. Rappelons ici la définition qu’ils en font.

Le terme de motif, que nous avons emprunté à la stylistique (pattern), désigne un ensemble de mots récurrents qui se constituent en réseau et parfois entrent dans des réseaux d’oppositions binaires (nous parlons alors de contre-motifs). 140

Comme nous l’avons expliqué précédemment, les actions physiques, par le biais de la recherche d’organicité et de systématicité dans l’exercice de la lecture à géométrie variable, mettent à jour des motifs, autant verbaux que corporels. Ces récurrences induisent une mise en lumière de la forme du texte dramatique (structure des

137 Autant-Mathieu, M.-C., La ligne des actions physiques, Répétitions et exercices de Stanislavski,

Montpellier : Editions l’Entretemps, 2007, p. 346-347.

138 Ibid., p. 351. 139 Ibid., p. 334.

140 Campion, P., Traduire Oncle Vania, Entretien avec André Markowicz et Françoise Morvan, [en ligne].

variations dans les pièces de Tchekhov, par exemple) mais aussi du fond, ce qui est mis en tension. Les motifs récurrents fixent ainsi le noyau de l’œuvre et les réseaux constitués autour de ces motifs engendrent des ramifications de l’action transversale. De ce fait, l’emploi du terme motif, ou récurrence, induit une écriture de la transformation qui permet de penser ce concept en termes d’action, au lieu de le penser en termes analytiques. D’autre part, la définition musicale de ce mot, « dessin mélodique ou rythmique, plus ou moins long et pouvant, dans le développement de l’œuvre, subir des modifications ou des transformations »141

marque une idée d’évolution dans un processus qui laisse derrière lui des traces de ce qui composait le motif avant sa transformation. Ce terme nous semble donc intéressant puisqu’il laisse sa marque dans chaque action et ne crée pas de rupture dans le processus de création, entre les premières étapes de la méthode, c’est-à-dire le travail sur l’émergence de la relation organique qui s’installe entre le corps et les mots, et l’étape de structuration de la pièce.

A ce niveau, le but fixé est la précision de la partition de l’acteur. Pour ce faire, il répète sa ligne d’actions

physiques. Il n’a que la ligne de pensée pour appui, qu’il affine en tenant compte des objectifs qui motivent ses

actions. Il est fort probable que l’acteur soit obligé d’accorder plus d’attention à une séquence particulière, dont son corps est moins imprégné et qui demande de la précision ou de la subtilité. C’est à cet instant que la ligne

d’écoute entre en compte. La définition que nous donne Thenon de cette ligne est la suivante.

Toute action verbale, toute action physique, toute écriture gestuelle émise par un personnage trouve son point de solution dans la détermination concrète que l’opposant détermine dans sa réception. Le conflit nait souvent d’un déphasage entre la ligne d’action physiques ou verbales et la ligne d’écoute. Chaque personnage agit à l’intérieur d’une stratégie le menant selon lui à l’obtention d’un objectif. Pour ce faire, il présume que l’opposant saisit entièrement les accents déterminants de son action. Mais cela ne peut être qu’une supposition, car l’opposant, en construisant sa ligne d’écoute, transforme l’émission à travers un processus de réception qui est redevable à ses propres objectifs et non pas nécessairement à ceux de son opposant. Cette mouvance oblige les forces en opposition à évaluer constamment le résultat de l’interaction. Ce n’est pas parce qu’un personnage dit quelque chose que celui à qui l’action verbale est destinée reçoit l’entièreté de l’action émise. Parfois un personnage décide consciemment d’ignorer la

ligne verbale reçue pour la trafiquer à son avantage, des fois il la comprend mal et agissant en

sa faveur, même dans une réponse qui se veut sincère entre la ligne d’actions verbales et

physiques, il y a toujours ce fossé possible cette instance déstabilisante qui nourrit l’instabilité

du système, l’enrichissant par le fait même. 142

Pour comprendre précisément de quoi il retourne, voici un exercice :

Exercice de préparation au studio II : es-tu là ?

143

141 Le Petit Larousse illustré, Paris : Larousse, 2007, p. 709.

142 Thenon, L., Ethique et esthétique du travail de l’acteur, manuscrit inédit. 143 Thenon, L., Travail théâtral III, extrait des notes de cours, automne 2009.

Disposer quelques chaises dans une chambre vide.

Un aveugle (A) cherche quelqu’un.

Il touche chacune des chaises.

A : Es-tu là… ?

Il s’assoit. Longue pause.

A : Il y a quelqu’un… ?

Il se lève, touche encore une ou deux chaises et part.

Avant de sortir de la chambre, il s’arrête et écoute attentivement, pour essayer de repérer

le moindre bruit, la plus petite respiration.

Retourne sur ses pas et se rassoit.

Cet exercice permet de faire comprendre à l’acteur que, bien que son objectif de personnage reste le même, la situation dramatique n’est pas du même niveau. Elle modifie donc les actions physiques. Le rythme, le temps et l’appropriation de l’espace se modifient dans le mouvement, ce que Stanislavski appelle le tempo-

rythme.

L’émergence de l’objectif et sa mise en mots précise la structure fondamentale de la pièce et les différents intérêts des personnages. Pour ne pas créer de rupture avec le reste du processus de création, il semble important de questionner les motifs dégagés dans les étapes précédentes. La ligne d’actions physiques, mise en parallèle avec la ligne d’actions verbales prend en compte les récurrences des gestes et paroles et leur transformation. Cette variation du motif, construit en un réseau de sens, ajoute de l’évolution à la structure organisationnelle de la pièce. Ainsi, la forme évolutive de la situation dramatique est organiquement liée à ses composantes, à savoir les actions physiques et verbales.

Dans le document Tchekhov : la parole au féminin (Page 59-62)