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Étape 1 : Lecture à géométrie variable

Dans le document Tchekhov : la parole au féminin (Page 44-46)

CHAPITRE 2 LA CONSTRUCTION DE L’ACTION THÉÂTRALE : RECHERCHE DE

2.1 La méthode de Luis Thenon : à la recherche de la réalité-fiction dans le jeu de l’acteur

2.1.1 Étape 1 : Lecture à géométrie variable

Il s’agit de partir à la recherche du sens, dans une lecture à géométrie variable individuelle, faisant surgir – dans un processus non analytique – les différentes figures qui composent le poème103, permettant ainsi l’émergence intuitive d’un sens ou des sens présents dans ce

poème qui constitueront la matrice de production.

Ce n’est pas vraiment une lecture au hasard, car l’œil trie les mots en fonction d’une perception intuitive de laquelle émergent les lignes de pensées immanentes du poème.

C’est cette quête de liberté expressive; l’approche libre est un chemin; non pas un objectif, mais un parcours. La création doit être ce parcours de liberté, mais pas seulement avec tout ce qui nous passe par la tête. Cette démarche suppose des remises en question, des interrogations : « Qu’est-ce qui s’est passé? » « Qu’ai-je ressenti? » dans cette première approche du texte. La lecture à géométrie variable peut être horizontale, oblique, verticale, en croix, en zigzag, en spirale, etc. En répétant une heure durant, sans arrêt, cet exercice de lecture, les sensations du poème vont inévitablement jaillir. Il faut se laisser happer par les mots qui se recomposent dans une architecture nouvelle, mais cette nouvelle structure doit toujours avoir un rapport avec le poème. Les mots viennent nous chercher dans nos impressions sensorielles, qui stimulent et doivent donner l’envie de les exprimer, de les bouger, de les interpréter avec l’intégralité de notre corps poétique. Ce n’est donc pas une lecture littéraire rationnelle et mentale qu’il faut entreprendre, mais associative et intuitive. Ce travail d’association, de décomposition- reconstruction permet l’émergence de sous-poèmes puisés dans le poème principal, nous affranchissant de la petite histoire, de l’anecdote du poème. Mais attention, la déconstruction n’est pas réécriture. De cette lecture, se dégagent donc quelques mots, quelques images sensorielles qui nous impressionnent corporellement. Ce sont ces mots, ces images, ainsi

103 Notez que dans un but pédagogique, les élèves (acteurs) expérimentent la méthode de création en dix

étapes avec un poème, forme plus courte et généralement organique. Pour les besoins de notre recherche,

identifiés, que nous allons retenir et qui constitueront la première phase de la matrice de

production. 104

Voici le détail de la première étape de la méthode de création que nous allons, par la suite, décortiquer en nous aidant des caractéristiques de l’écriture tchekhovienne. Comme nous aurons l’occasion de le remarquer dans ce chapitre, la dramaturgie de Tchekhov convient parfaitement à ce genre d’expérimentation. D’autre part, nous nous servirons du travail de Stanislavski sur les actions physiques, dans une démarche de sensibilisation du comédien à travers des outils visant le physique et le sensoriel, dans le but de travailler sur la reconstitution des impulsions vitales.

La méthode de création en dix étapes trouve son origine dans le texte lui-même pris comme matériau

d’expérimentation. La première étape s’intitule Lecture à géométrie variable, et permet à l’acteur d’entrer dans le texte de façon non analytique, c’est-à-dire instinctive. Il s’agit de lire le texte proposé dans un ordre non chronologique. Par une structuration formelle de la lecture (c’est-à-dire en diagonale, en cercle, en triangle, etc.), l’acteur laisse ses yeux parcourir le texte. Ce mode d’approche s’apparente à notre apprentissage cognitif, c’est-à-dire par association.

Ce travail d’association, de décomposition-reconstruction permet l’émergence de sous-poèmes puisés dans le poème principal, nous affranchissant de la petite histoire, de l’anecdote du poème. 105

Cette première approche crée un découpage intuitif du texte, qui peut être modifié à tout moment. Cette notion de découpage appelle celle qu’engage Stanislavski comme composante pédagogique de la méthode des actions physiques.

Commencez à examiner un grand morceau de la pièce. Divisez-le en petits épisodes et actions. Ce sont des actions psychologiques, mais traduisez-les en actions physiques. Vous partirez de l’action physique : ce que l’homme fait, et vous approcherez de la psychologie. 106

Toutefois, même si Stanislavski et Thenon utilisent la notion de découpage, il est important de mettre à jour la différence fondamentale qui existe entre ceux-ci. La proposition de Thenon cherche à s’éloigner le plus possible d’une analyse psychologique. Elle n’a donc pas pour objectif la recherche d’émotions, ni l’étude ou la justification des actions et paroles par la psychologie. C’est pourquoi, par opposition au processus de Stanislavski, la méthode de Thenon intègre l’analyse dramaturgique dans les dernières étapes. Il est

104 Thenon, L., Travail théâtral II : méthode de création de Luis Thenon : travail en 10 étapes, Notes de

cours, Hiver 2012.

105 Morin, E., « Tentative de transcription d’une pratique : vers une esthétique de la vérité », mémoire de

maîtrise en études théâtrales, Paris, Université Sorbonne Nouvelle (Paris III), 2010, p. 43.

106 Autant-Mathieu, M.-C., La ligne des actions physiques, Répétitions et exercices de Stanislavski,

néanmoins primordial d’inscrire les recherches sur le processus de création chez Stanislavski et chez Thenon dans le même sens car ils ont un point de départ commun : fragmenter le texte et travailler les éléments séparément, dans un premier temps, pour les réassembler par la suite.

De la lecture à géométrie variable se dégagent donc quelques mots, quelques images sensorielles qui nous impressionnent corporellement. Ce sont ces mots, ces images, ainsi identifiés, que nous allons retenir et qui constitueront la première phase de la matrice de

production. 107

Cette première étape permet de mettre à jour, de manière intuitive, ce qu’André Markowicz et Françoise Morvan appellent les motifs, notion qu’ils ont développée à partir de la traduction des pièces de Tchekhov.

Comprendre ce qui est en jeu, quelles sont les sensations et la matière vivante de ce poème sont des notions clés avant de construire le moindre personnage ou la moindre situation. Il s’agit pour le moment d’un travail sur l’atmosphère globale du poème. La parole n’est pas créée à partir du néant108, elle nait d’une série de sensations et d’images sensorielles109.

Ce sont des mots qui reviennent souvent dans le texte et que notre œil va s’habituer à rencontrer et donc à rechercher par la suite. Ces motifs mis en lumière, nous pouvons voir apparaitre un réseau de termes qui, associés les uns aux autres, donnent des variations à une même action. C’est pourquoi on se rend compte avec cet exercice que certains mots activent la sensorialité et par association tendent vers d’autres mots qui, tous ensemble, constituent un imaginaire de possibles où l’acteur n’a plus qu’à choisir ce qui le rend actif en scène et le touche particulièrement.

La sensorialité qui s’en dégage permet à l’acteur de s’impliquer à travers la sensation produite par les mots. Ce dernier déclenche alors des images. Celles-ci produisent un ressenti, une trame de perception, à partir de laquelle l’acteur va pouvoir mettre son corps en action.

2.1.2 Étape 2 et 3 : Formulation des sensations et expérimentation du lien

Dans le document Tchekhov : la parole au féminin (Page 44-46)