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Le Common Fund

Dans le document gestion de portefeuilles (Page 190-197)

Le Common Fund, une organisation fournissant des services d’investissement aux institutions d’enseignement, a appris en 1995 que son programme de prêt de titres géré par First Capital Strategists avait subi des pertes estimées à 128 millions de dollars1. Les exactions d’un trader véreux, Kent Ahrens, avaient provoqué ces pertes qu’un calcul postérieur estima proches de 138 millions. Selon Ahrens, 250 000 dollars furent perdus sur une transaction « d’arbitrage » sur indice d’actions.

Au lieu de déboucler la position, il essaya de combler la perte en initiant des positions spéculatives. Après plus de trois années de tromperie et de fraude, les pertes cumulées d’Ahrens atteignaient un montant hallucinant.

1. John R. Dorfman, “Report on Common Fund Cites Warning Signs,” Wall Street Journal, 17 January 1996, C1.

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La débâcle du programme de prêt de titres du Common Fund porta fortement préjudice à l’entreprise, ternissant sa réputation jusqu’alors excellente et provoquant la défection d’un grand nombre de ses clients. Au 30 juin 1995, le Common Fund avait 18,1 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Un an plus tard, ceux-ci ne s’éle-vaient plus qu’à 15,5 milliards, soit 25 % de moins que si les fonds as’éle-vaient simple-ment suivi les rendesimple-ments des marchés.

L’histoire de First Capital Strategists raconte bien plus que la simple mésaven-ture d’un trader crapuleux. Elle illustre les risques encourus à suivre des stratégies d’investissement à faible rendement, souligne les problèmes de surveillance de cer-taines activités de négoce, et montre les dangers de schémas innovants inappropriés à la nature de l’activité d’investissement.

L’activité de prêt de titres permet au mieux de gagner très peu car il ne s’agit pour les investisseurs que d’empocher un minuscule écart positif de taux d’intérêt.

Malheureusement, ces petits gains mettent l’investisseur en position de perdre beaucoup. Ce schéma de rendement désavantageux démontre des possibilités de gain limitées et des inconvénients substantiels, représentant une répartition des résultats inattractive pour les investisseurs.

Il y a de cela plusieurs décennies, le prêt de titres possédait des caractéristiques plus favorables. Dans les années 70, lorsque les prêteurs ne payaient pas d’intérêt sur les liquidités déposées en garantie, des rendements très attrayants découlaient de cette activité. Comme ces liquidités nanties sécurisaient la valeur des titres prêtés et pouvaient être réinvesties dans des bons du Trésor à court terme, les participants aux prêts ne risquaient presque rien.

Des changements structurels et une concurrence accrue ont forcé les prêteurs de titres à payer des intérêts sur les sommes reçues en garantie des prêts, faisant ainsi apparaître le risque concernant leur réinvestissement. Lorsque les prêteurs de titres ne purent plus s’assurer d’écarts de taux positifs en investissant les liquidités reçues dans des bons du Trésor, l’impératif de recherche de rendement conduisit à accepter le risque de crédit, le risque de fluctuation des taux d’intérêt, voire des risques plus « exotiques ».

Le Common Fund, par sa relation avec First Capital Strategists, accepta ces risques avec enthousiasme. Le tableau 6.1 présente la vaste gamme de stratégies de réinvestissement que le Common Fund utilisa dès le début des années 80. Le choix allait de stratégies extrêmement conservatrices à d’autres carrément agressives.

L’arbitrage sur indices actions, correctement effectué, met très peu en danger les actifs investis. À l’opposé du spectre, les accords de rachat d’un broker mexicain induisent une bonne dose de risque.

En suivant la pratique courante à Wall Street qui consiste à référencer un nombre trop grand de stratégies sous l’appellation « arbitrage », le Common Fund s’est donné une fausse impression de sécurité. Le dictionnaire Webster donne cette défini-tion de l’arbitrage : « L’achat et la vente souvent simultanés d’instruments financiers semblables ou identiques (éventuellement sur des marchés différents) afin de profiter d’anomalies de cours ». Sur les marchés actuels, des anomalies de cours occasion-nelles de contrats à terme portant sur des actions ou des obligations par rapport aux prix du marché comptant, fournissent de véritables (et fugitives) opportunités d’arbi-trage. D’autres formes de soi-disant arbitrage n’impliquent pas « des instruments financiers semblables ou identiques » et exposent donc les capitaux investis à des risques plus importants.

Par exemple, l’arbitrage sur produits convertibles implique de détenir une obli-gation convertible et de vendre à découvert l’action de l’entreprise émettrice afin d’exploiter des anomalies de cours observées entre des obligations relativement bon marché et des actions relativement chères. La pratique de l’arbitrage sur produits convertibles exige une couverture dynamique, ce qui n’est pas toujours faisable et peut conduire à des risques de taux d’intérêt et de crédit non couverts. Dans certaines circonstances, l’arbitrage sur produits convertibles offre un ratio rendement/risque attractif. Mais en aucune circonstance ce type d’arbitrage ne génère des rendements dénués de tout risque.

Arbitrage sur indices actions Arbitrage sur produits de taux Arbitrage sur options OTC

Arbitrage sur l’écart entre les obligations et l’eurodollar Arbitrage sur réinvestissement des dividendes

Arbitrage sur la restructuration d’entreprise Arbitrage sur échéances différentes Arbitrage sur obligations convertibles Arbitrage sur warrants

Accords de rachat d’actions et d’obligations d’entreprises

Accords de rachat de brokers mexicains garantis par des titres du gouvernement mexicain

Positions neutres

Accords de rachat tripartites

Swaps de taux d’intérêt et sur devises

Titres obligataires soumis à remboursement anticipé

Tableau 6.1 Le Common Fund exposait les actifs de ses participants à un risque évident.

Stratégies de réinvestissement approuvées, 1994.

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Au mieux, le fait de nommer « arbitrages » des stratégies risquées est une expression typique de Wall Street, une tentative pour créer une aura de mystère et de sophistication autour du processus d’investissement. Au pire, cette pratique constitue une forme de publicité mensongère, un effort malhonnête pour apaiser les inquié-tudes des investisseurs concernant des activités fondamentalement risquées.

Un autre problème de l’activité de prêt de titres concerne la fréquence des tran-sactions. Surveiller des transactions très fréquentes pose des problèmes considérables aux sociétés de gestion, sans parler des investisseurs eux-mêmes, ainsi qu’aux autres professionnels concernés, tels que les avocats et les comptables. Lorsque des posi-tions tournent plusieurs fois par jour, les superviseurs ne peuvent que faire confiance aux traders et à leur capacité d’appliquer fidèlement les stratégies et de suivre les recommandations. Les investisseurs ne peuvent qu’avoir confiance dans le fait que les superviseurs surveillent attentivement le processus. Des niveaux d’activité élevés créent d’importants problèmes de contrôle.

À l’inverse, l’activité d’investissement à long terme ne soulève que peu de pro-blèmes concernant le suivi. Des positions détenues durant des mois ou des années génèrent beaucoup moins de risque lié au contrôle que des positions détenues pen-dant quelques minutes ou quelques heures. De plus, la tentation de cacher des posi-tions perdantes dans un tiroir, ou de transgresser les recommandaposi-tions pour se tirer d’une transaction qui tourne mal, semble plus compatible avec l’état d’esprit spé-culatif du trader qu’avec l’attitude tempérée de l’investisseur. En fait, de nombreuses pertes parmi les plus importantes des années 90 ont été dues à l’activité de traders véreux comme Nicholas Leeson, qui a provoqué la faillite de la banque Barings, Toshihide Igushi, qui fit interdire à la banque Daiwa d’exercer sur le territoire amé-ricain, et Robert Citron, qui accula le canton d’Orange à la banqueroute. Bien que le fait d’éviter les stratégies de trading ne constitue pas une garantie contre toute fraude, l’application de programmes d’investissement à plus long terme diminue les risques liés au contrôle pour les intermédiaires financiers.

Une structure de rémunération défaillante contribua aux dangers encourus par le programme de prêt de titres du Common Fund. First Capital Strategists empocha entre 25 et 33 % des profits générés en exposant au risque les capitaux des institu-tions membres du Common Fund. En fait, First Capital a triché en instaurant une règle du type : « Pile, je gagne ; face, tu perds ». Comme l’entreprise ne partageait pas les pertes, ses employés étaient fortement incités à recommander et à appliquer des stratégies risquées.

Mais ces questions de rémunérations n’expliquent qu’une partie du problème. Le Common Fund participait en toute connaissance de cause aux activités risquées de First Capital Strategists. Avant la débâcle attribuée à Kent Ahrens, deux événements

mirent en lumière la nature extrêmement risquée des véhicules d’investissement choisis. En août 1987, First Capital subit une perte de 2,5 millions de dollars en spéculant sur une OPA hostile finalement avortée sur Caesar’s World. Bien que First Capital ait remboursé cette perte au Common Fund, la transaction soulignait les risques impliqués dans « l’arbitrage » de restructuration d’entreprise. Plus tard, début septembre 1989, First Capital commença à accumuler une position dans l’OPA malheureuse entreprise par les employés de United Airlines pour prendre le contrôle de la société. Finalement liquidée avec une perte de 2,6 millions de dollars pour le Common Fund, cette position fit que le résultat du prêt de titres pour l’année fiscale 1990 se solda par une perte de 577 600 dollars. Les incidents de Caesar’s World et de United Airlines ont obligé les conseillers du Common Fund à devenir très conscients des risques associés aux programmes de prêt de titres de First Capital.

Dans le fond, Le Common Fund a exercé un effet de levier sur ses capitaux en participant au prêt de titres, empruntant des fonds (les liquidités déposées en garantie par les emprunteurs de titres) et assurant les prêts avec les actions et les obligations des institutions membres. First Capital investissait les liquidités associées aux prêts dans des instruments risqués, espérant générer des plus-values. Bien que les dangers inhérents aux activités de trading et les problèmes associés à une structure de rémunération défaillante aient apporté la contribution la plus visible au désastre financier du Common Fund, la racine du problème tire son origine dans l’utilisation inappropriée de l’effet de levier implicite du programme de prêt de titres.

CONCLUSION

Le fait de placer les objectifs d’allocation d’actifs au centre du processus de gestion du portefeuille augmente les probabilités de réussite de l’investissement.

Les techniques de rééquilibrage appliquées avec discipline engendrent des porte-feuilles qui reflètent les caractéristiques de rendement et de risque formulées dans la politique d’investissement. Des approches moins rigoureuses de la gestion de porte-feuille garantissent presque que l’allocation d’actifs effective diffère des niveaux désirés, conduisant à des résultats peu susceptibles de satisfaire aux objectifs de l’institution.

Les opportunités d’investissement attractives contiennent fréquemment des éléments d’illiquidité, introduisant une certaine rigidité dans l’allocation des actifs d’un portefeuille. En poussant les investisseurs à détenir des positions incompatibles avec les niveaux d’allocation ciblés, les actifs illiquides font que les caractéristiques

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du portefeuille global dévient des niveaux désirés, créant des difficultés pour l’activité de rééquilibrage.

La recherche d’une gestion active introduit des frictions entre les performances de l’investissement et celles du benchmark. Les investisseurs sensés prennent bien soin d’identifier les déséquilibres du portefeuille, s’assurant que les divergences résultent de choix délibérés et non d’anomalies intervenues lors de la construction du portefeuille. Les portefeuilles normaux et les fonds complémentaires aident les gestionnaires à comprendre et à contrôler les partis pris de la gestion active.

Bien que les programmes de gestion active réussis finissent par créer de la valeur, les investisseurs peuvent traverser entre-temps des périodes de sous-performance.

De nombreuses stratégies d’investissement bien pensées exigent des horizons de placement de trois à cinq ans, ce qui présente la possibilité que même des décisions intelligentes paraissent irresponsables à court terme. Lorsque les mouvements de marché vont à l’encontre de positions déjà initiées, les investisseurs aux reins solides en ajoutent d’autres, augmentant le profit issu de la gestion active. À l’opposé, les investisseurs sensés coupent les positions gagnantes, évitant ainsi une exposition excessive aux stratégies ayant récemment surperformé. Le rééquilibrage permanent s’avère être une mesure de contrôle du risque efficace.

L’effet de levier contient la potentialité d’ajouter de la valeur ou de faire des dégâts, créant un danger particulier pour les investisseurs appliquant des stratégies à long terme. Keynes nous avertit que « … celui qui veut investir sans se préoccuper des fluctuations momentanées du marché a besoin pour sa sécurité de ressources plus importantes et ne peut donc, au moins avec de l’argent emprunté, opérer sur une échelle aussi considérable »1. Les administrateurs s’efforcent d’identifier et d’évaluer les sources explicites et implicites de levier du portefeuille, cherchant à s’assurer que l’effet de levier influence le portefeuille dans des limites acceptables.

De nombreux désastres financiers de ces dernières années sont dus à un effet de levier rampant sous les caractéristiques apparentes du portefeuille. Le Common Fund a fait un usage explicite de l’effet de levier dans ses programmes risqués de prêt de titres, exposant les capitaux des institutions d’enseignement à un haut niveau de risque en échange de rendements espérés très modestes. David Askin a utilisé un effet de levier explicite supplémentaire au levier implicite inhérent à ses positions sur les produits dérivés de titres hypothécaires, transformant ainsi une perte importante en faillite complète. Éviter les désastres financiers qui font la Une des journaux exige une compréhension approfondie des sources et de l’ampleur de l’exposition à l’effet de levier.

1. Keynes, General Theory, 157 (traduction de Jean de Largenaye).

Servir les objectifs de l’institution demande une application rigoureuse de la politique d’allocation d’actifs, centrée sur un rééquilibrage régulier afin de s’assurer que les caractéristiques du portefeuille correspondent aux niveaux d’allocation désirés. De nombreuses activités entreprises par les gestionnaires de fonds institu-tionnels créent des frictions qui font dévier les performances du portefeuille des résultats attendus. Les investissements illiquides offrent souvent des opportunités d’investissement attractives pour une gestion active, tout en posant de sérieux pro-blèmes au processus de rééquilibrage. Les investisseurs utilisant des stratégies de gestion active exposent les capitaux à des différences de performance avec celles du benchmark. L’utilisation de l’effet de levier amplifie les résultats, risquant d’altérer les caractéristiques du portefeuille d’une manière imprévue par les analyses concer-nant l’allocation d’actifs. Les investisseurs sensés rééquilibrent régulièrement leurs portefeuilles, considèrent avec prudence les opportunités de gestion active et limitent l’effet de levier.

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