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Le collectif, facilitateur du lien social

3. Une vie en semi-collectivité : enjeux et limites de la prise en soin

3.3 Le collectif, facilitateur du lien social

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Nous avons vécu plusieurs moments de vie en groupe lors de nos présences en résidence ou au SAVS renforcé. L’observation participante nous a permis de constater les effets régulateurs de la vie collective, le respect et la compréhension des difficultés des résidents entre eux. Selon le sociologue George H. Mead « c'est dans le cadre de l'interaction sociale que l'individu émerge et prend conscience de soi. »

3.3.1 Des activités à partager : un sentiment d’utilité sociale

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Maxime relate l’ensemble des activités que lui apporte la vie en semi-collectivité. Comme nous l’avons précisé, il passe très peu de temps dans son logement personnel et navigue entre différents lieux de l’habitat accompagné en fonction des opportunités qu’il peut rencontrer.

! «!Depuis!que!je!vais!à!la!banque!alimentaire,!j’ai!pris!plein!de!muscles!euh…![réflexion]!ouais! j’ai!une!forme!physique!enfin!oui!je…!déjà!ça!d’avoir!des!activités,!banque!alimentaire,!vider! les!poubelles!là!haut![espaces!collectifs]!ou!alors!faire!des!crêpes!ou!alors!faire!la!cuisine,! qu’estPce!qui!a!d’autre…!enfin!mettre!la!table!tout!ça!ouais!ça!m’apporte…et!puis!même!d’être! entouré!de!mes!potes…!»!(E1!:!Maxime,!49!ans)! !

Il éprouve un sentiment d’utilité à MADEN, ce qui renforce sa confiance et lui procure une satisfaction. Il est aussi question pour lui de sentir qu’il a une place au sein du groupe. La Banque alimentaire, partenaire important de la résidence, représente son activité préférée. Il y

trouve plusieurs avantages, entre l’entretien de sa forme physique et la création d’un lien social avec des personnes extérieures.

L’accompagnement des intervenantes sociales et d’autres résidents dans l’activité est un facteur important. Nous avons aussi pu compter sur sa disponibilité et son implication à plusieurs reprises. Il a participé, un jour avec nous, à la prise de mesures de la pièce de vie de la résidence de Quimper pour évaluer les dimensions pour les travaux de la nouvelle résidence de Plouigneau. Passionné de géométrie et de calculs, notre sollicitation pour ce travail l’a valorisé. Pertinent dans ses remarques, il s’y est investi avec sérieux et rigueur.

Cohabiter avec d’autres personnes, notamment dans le cadre d’une colocation, doit être un choix. Enzo se définit comme quelqu’un d’indépendant et a besoin de moments pour se retirer dans son espace personnel.

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«!Je!pense!que!le!SAVS!m’aide!beaucoup,!je!pense!que!la!colocation!est!pour!moi!quelque! chose!d’important!même!si!je!ne!communique!pas!forcément!tout!le!temps!…!mais!je!sens! une!présence,!qui!est!pour!moi!bénéfique…!»!(E8!:!Enzo,!42!ans)!

Après des années de vie, encadré dans un contexte hospitalier, la notion de collectif s’est ancrée dans ses pratiques habitantes. Une présence rassurante apparaît aujourd’hui pour lui indispensable dans sa vie quotidienne, même s’il semble encore peu investir les espaces collectifs de la colocation. Il met aussi en avant les bienfaits que lui apporte l’accompagnement des intervenantes du SAVS et les activités proposées.

«!Le!SAVS!propose!des!sorties!comme!lundi!au!jardin,!c’est!quand!même!bien!quoi!je!veux! dire!aussi,!si!j’avais!pas!ça,!j’ai!personne!quoi…!»!(E8!:!Enzo,!42!ans)!

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Nous comprenons que les activités cadrent son organisation quotidienne et lui fixent des objectifs à atteindre, une raison de se lever, de s’habiller, de sortir de chez lui.

Au-delà de ce qui peut être proposé, il y a la présence des autres, que ce soit au sein des colocations ou de la résidence. Avoir des contacts, échanger quelques mots conduit, à maintenir un lien social.

3.3.2 Un contact quotidien favorisant la création de liens amicaux

Les parties collectives dans les résidences et le SAVS sont bien utilisées et sont fréquemment investies, dans chaque service, par un petit noyau régulier de personnes. Pour beaucoup d’entre eux, la proximité avec les autres est un facteur déterminant de leur équilibre.

« Une collectivité humaine n’est pas seulement une collection d’individus rassemblés comme autant d’objets distincts. Ceux-ci établissent des relations entre eux et ces relations […]!–!mais aussi leurs liens affectivo-sexuels ou encore l’estime qu’ils éprouvent les uns pour les autres – sont susceptibles de modifier leur santé mentale. »217

Les résidents rencontrent, en grande majorité, le même type de difficultés et/ou d’objectifs, propices à la création de liens.Des amitiés naissent entre certaines personnes et renforcent le sentiment d’appartenance, éloignant le risque de solitude.

Théo met en avant des moments de vie qu’il apprécie lors des repas collectifs partagés avec les autres. Il fait part aussi de la solidarité des résidents sous forme de services, tout en précisant que ce n’est pas par intérêt qu’il entretient des relations amicales avec eux.

«! Si! je! manque! de! sel,! Alain! me! dépanne…! si! je! veux! aller! acheter! des! cigarettes,! Maxime!m’accompagne!en!voiture!tout!ça!quoi![…]!des!choses!positives!c’est!aussi!le!fait! qu’on!aille!boire!des!coups!le!weekPend,!qu’on!mange!ensemble!le!mercredi,!le!vendredi![il! évoque!les!jours!des!repas!collectifs!proposés!à!MADEN]!…!j’aime!bien!les!gens!d’ici…!»! (E5!:!Théo,!41!ans)!

Paulette tient un rôle remarquable et précieux auprès de deux résidents qu’elle reçoit chez elle, chaque soir, pour le repas. L’accueil est ritualisé et contribue pour les deux hommes à une régularité et au maintien d’un bon équilibre alimentaire.

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«!Ben!j’y!suis!bien!à!MADEN,!je!me!suis!bien!habituée![…]!on!se!retrouve!le!soir!pour!faire!un! bon!repas![…]!!Oui,!oui!mais!attends,!pour!la!nourriture,!on!fait!moit’Pmoit’,!je!ne!vais!pas!tout! payer,! je! pourrais! pas…! ils! sont! bouffeurs…! qu’estPce! qui! bouffent! à! toute! allure! !! […]! Ça! m’aide!à!faire!la!cuisine!…!»!(E12!:!Paulette,!58!ans)!

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Ces moments nous apparaissent très conviviaux et Paulette apprécie ce partage même si elle peut s’avérer parfois exigeante avec ses deux amis. Cette posture « d’hôte », qui a plaisir à recevoir chez elle, donne à Paulette un sentiment d’utilité sociale, dont elle tire bénéfice.

Hugo est un jeune homme plutôt calme et serein qui vient de traverser une situation d’échec difficile en démissionnant d’un emploi en ESAT, qu’il n’est pas parvenu à maintenir. Il a pris appui sur d’autres résidents qu’il apprécie et a eu le courage d’affronter ses angoisses en venant témoigner de son expérience professionnelle devant un public à l’UDAF.

«!Moi!j’aime!bien!la!vie!en!collectivité![…]!parce!que!quand!je!suis!angoissé,!je!peux!aller! squatter!chez!Jerry!ou!aller!voir!Denis!ou!aller!voir!une!maîtresse!de!maison…!»!(E11!:!Hugo,! 38!ans)!

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217 M

AISONDIEU J. (2004), « Citoyenneté et santé mentale », in JOUBERT M., Santé mentale, ville et violences, Érès, coll.

Il a construit des relations amicales solides, avec Jerry en particulier, sur lesquelles il peut compter lors de moments d’angoisse.!

L’existence d’un collectif amène aussi un sentiment d’union commun dans des moments qui concernent l’espace collectif. Quelle que soit l’entente entre les membres, certaines situations amènent le groupe à se souder et à chercher ensemble les solutions adéquates.

3.3.3 Le serpent dans l’ascenseur : une action « d’empowerment » collectif

L’histoire du serpent dans l’ascenseur illustre un événement de la vie courante, où nous observons la capacité des résidents à trouver des stratégies par le biais de l’intervention de membres « régulateurs ».

Lors d’un week-end, plusieurs résidents remarquent et s’affolent de la présence d’un serpent qui s’est introduit dans l’ascenseur de la résidence. La panique prend le pas et certains décident de contacter la personne d’astreinte de la résidence, instaurée en cas « d’urgence ».

Sur le moment, la personne d’astreinte ne répond pas immédiatement. Benoît, un jeune homme, de nature calme, récemment arrivé à la résidence, identifie l’animal qui s’avère être un orvet et rassure les autres sur son caractère inoffensif. Le calme et l’aplomb de son intervention régulent les réactions de panique de ses voisins. Le groupe parvient à prendre une décision collective et décide d’appeler les pompiers. Leur intervention a rapidement réglé le problème et rassuré les résidents par l’évacuation de l’animal.

À la demande des intervenantes sociales, nous avons repris cette situation, qui ne revêt pas un caractère d’urgence, dès le lundi lors de la réunion hebdomadaire, pour rappeler aux résidents le cadre de l’astreinte. Celle-ci ne doit être contactée qu’en cas d’urgence majeure, (chute d’un résident, passage à l’acte, violence…). Dans le cas de la situation présente, il était néanmoins important de féliciter l’ensemble du groupe pour leur prise d’initiative et leur réaction. Les valoriser sur le choix de l’intervention des pompiers leur rappelle qu’ils ont la possibilité comme tout citoyen lambda d’utiliser les moyens mis à disposition de la population, situation pour laquelle le professionnel d’astreinte aurait proposé la même réponse. Notre attitude permet de les ramener à une réalité habitante de droit commun en les rassurant sur une situation qui peut se produire dans n’importe quel immeuble collectif et pour laquelle les habitants doivent prendre une décision. [Journal de terrain du 10 avril 2017]

L’épisode montre que la capacité d’autonomie d’un groupe lui permet de solutionner, à plusieurs, des situations de vie classique, où ils se confrontent à un échange de points de vue, une régulation des réactions conduisant à un consensus.

4. Un impact positif et mesurable sur la santé psychique

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Nous avons cherché à savoir l’impact de la vie en habitat accompagné sur les personnes en situation de handicap psychique et particulièrement sur leur recours au soin psychiatrique. Nous avons vu que le parcours se jalonne pour certains d’aller-retour incessants entre logement personnel et institution psychiatrique, ce qui nuit à leur équilibre et crée des ruptures. Nous avons comptabilisé le nombre de jours d’hospitalisation psychiatrique à temps plein pour chaque résident sur plusieurs années.

Quatre tableaux quantitatifs218 montrent l’ensemble des jours passés dans le dispositif d’hébergement psychiatrique de chaque personne tout au long de son parcours de vie et de soin. Pour une lecture de l’impact direct, le graphique suivant montre le nombre de jours à l’année d’entrée dans l’habitat accompagné et l’année suivant l’entrée de la personne.

Nous avons effectué une moyenne sur les trois services confondus. Sur l’ensemble du dispositif et en fonction de l’année d’entrée de chaque individu, les personnes totalisaient sur l’année d’entrée en habitat accompagné 3 778 jours d’hospitalisation psychiatrique pour une moyenne de 1 260 jours par service. Sur l’année suivant l’entrée à MADEN ou au SAVS MADEHO, le nombre de jours d’hospitalisation s’élève à 549 jours, soit une moyenne de 183 jours d’hospitalisation par service. Les chiffres nous démontrent sans nul doute une baisse moyenne du nombre de jours à hauteur de 3 229 jours sur l’ensemble du dispositif.

Source : S. Thébault, données recueillies auprès d’hôpitaux, cliniques et services de soin psychiatriques ! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

218 Tableau 1 pour MADEN Brest, tableau 2 pour MADEN Quimper, tableau 3 pour SAVS MADEHO. Le tableau 4 regroupe l’ensemble des 15 personnes du corpus. Ces tableaux sont consultables en annexes 2,3,4 et 5 du mémoire.

1174 1139

1465

441

65 43

Maden Brest Maden Quimper SAVS Madeho

Total du nombre de jours d'hospitalisation

psychiatrique à temps plein

pour l'ensemble des 47 résidents