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Des limites observables au vivre ensemble

3. Une vie en semi-collectivité : enjeux et limites de la prise en soin

3.2 Des limites observables au vivre ensemble

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Nous voulons ici souligner deux tensions existantes que nous avons perçues lors des échanges. Elles sont de deux ordres : d’une part l’une touche à la question de l’hétérogénéité entre les individus du fait de pathologies différentes pouvant engendrer des formes de dérives et d’autre part une autre tension concerne la fluctuation de la participation, qui repose parfois sur un nombre insuffisant de résidents.

La vie en groupe s’illustre alors de façon ambivalente en tant que :

« le groupe est utile, voire nécessaire […] on est plus efficace ensemble qu’isolément ; le groupe est un intermédiaire entre l’individu et la société. Mais sur un autre plan, […] le groupe est une aliénation pour la personnalité individuelle : il est dangereux pour la dignité, la liberté, l’autonomie de celle-ci… »216

Effectivement, cette lecture se rapproche des paroles de Dana, qui d’un côté plébiscite ce mode d’habitat dont l’existence pour les personnes malades psychiques représente une forme d’habitat sécurisante mais d’un autre côté, elle perçoit qu’il engendre des limites inhérentes aux phénomènes de groupe. «!On!a!tendance,!c’est!pas!à!mimer,!c’est!pas!contagieux!c’est!vrai!mais!dans!le!quotidien,!on! a!tendance!à!être!affecté!par!l’entourage!et!par!l’inconscient!collectif…!ça!se!passe!partout! hein…dans!tous!les!domaines,!que!ce!soit!en!HLM!ou![…]!!enfin!heureusement!qu’il!y!a!les! maîtresses!de!maison,!le!collectif!et!tout!ça!pour…!là!vraiment!c’est!chouette!sauf!que!c’est! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 216 A

un!peu!ghetto!aussi!de!maladies!psychiques!quoi…![…]!et!puis!parfois!aussi!quand!certains! résidents! sont! en! état! de! souffrance! psychique! énorme,! ils! se! mettent! à! hurler,! ils! crient! leur…!»!(E4!:!Dana,!57!ans)!

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Le mal-être de certaines personnes comporte le risque de se répercuter sur d’autres résidents, eux-mêmes dans un état de fragilité.

Le phénomène s’est produit pour Karine qui n’en pouvait plus et se plaignait d’un de ses voisins. Elle l’entendait frapper sur les murs et crier la nuit. L’équipe, soutenue par la direction, a échangé avec les résidents, rappelant l’importance du respect des autres. Suite aux évènements, Karine a fait une demande d’hospitalisation à son médecin psychiatre, qui a duré plusieurs semaines. Cet épisode est cependant à nuancer au regard de la personnalité de la jeune femme. Nous analysons qu’elle avait peut-être besoin d’une période de repos et de prise en charge par le soin, au moment même, où les nuisances sonores du voisinage l’incommodaient. Se saisir du malaise des autres peut soutenir l’expression indirecte d’une détresse sous-jacente et déjà présente.

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Maxime et Dana s’accordent à dire qu’il n’est pas toujours simple de vivre avec d’autres individus, qui parfois ont des comportements inquiétants pouvant conduire au passage à l’acte. ! «!Je!connaissais!pas!vraiment!ce!que!c’était!que!ces!troubles!psychiques!donc!j’ai!pas!fait! attention!et!j’ai!fréquenté!certaines!personnes![…]!après!ils!me!submergeaient!et!donc!quand! j’ai!voulu!mettre!un!peu!de!distance!au!moins![…]!j’ai!pas!été!assez!prudente!pour!me!protéger! […]!J’étais!envahie!et!puis!j’ai!été!aussi!agressée!deux!fois,!même!dans!la!salle!commune! […]!ils!ont!réussi!à!les!faire!sortir!quoi…![les!personnes!ont!été!exclues!du!dispositif]!»!(E4!:! Dana,!57!ans)! ! «!Maintenant!à!l’intérieur!de!MADEN,!il!y!a!des!pathologies!très!différentes!et!parfois!on!a! beaucoup! de…[réflexion]! de! difficultés! avec! certains! résidents! parce! que! on! n’a! pas! les! mêmes!pathologies!et!y’en!a!certains!qui!sont!agressifs!parfois…!»!(E1!:!Maxime,!49!ans)!

Maxime, très sensible aux paroles et aux attitudes des autres, peut perdre pied en fonction de ce qu’il entend. Il a d’ailleurs manifesté une forte angoisse après une réunion en groupe où l’un des résidents s’était montré menaçant dans ses propos. Même si Maxime n’était pas directement concerné, il était prêt à porter plainte au commissariat et a été profondément déstabilisé. Il a fallu le rassurer, dédramatiser la situation pour désamorcer l’angoisse.

Denis s’est senti fatigué par le nombre de tâches qu’il assure depuis qu’il habite en résidence. Nous avons remarqué chez lui un besoin important de reconnaissance et d’utilité au sein de l’habitat qui le fait être « sur tous les fronts ».

«!J’ai!un!petit!peu!lâché!du!lest!y!a!pas!tellement!longtemps…!il!y!a!à!peu!près!trois!ou!quatre! mois,! parce! que! j’en! faisais! beaucoup! trop…! j’ouvrai! le! matin! la! salle,! je! m’occupais! des! poubelles!depuis!cinq!ans,!y!a!que!moi!qui!faisais!ça![…]!C’était!pesant!sur!la!fin,!parce!que! je!constatais!que!certaines!personnes!ici!ne!faisaient!rien,!malgré!le!contrat!qu’ils!ont!signé…!»! (E9!:!Denis,!50!ans)!

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Denis représente une ressource, une forme de référence pour les autres. Son implication, quelque peu excessive, nécessite d’être régulée pour lui éviter le sentiment de débordement qu’il a ressenti.

Durant notre enquête, la Semaine d’Information sur la Santé Mentale (SISM) en lien avec le travail, a eu lieu. Denis s’est proposé d’assurer un rôle d’animateur de table ronde sur la question de l’emploi et de la maladie psychique. Il s’est trouvé très pris psychologiquement par l’événement. Son hospitalisation programmée, prévue sur la même période, a été bénéfique en freinant son implication pour l’aider à souffler et à prendre du recul.

Le semi-collectif symbolise aussi un moteur de l’action collective et procure un sentiment d’appartenance limitant le risque de repli sur soi.

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