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L’habitat, de l’appropriation à l’inclusion

3. Une vie en semi-collectivité : enjeux et limites de la prise en soin

4.3 L’habitat, de l’appropriation à l’inclusion

!

Thierry Paquot, philosophe et urbaniste, nous éclaire sur le terme d’habitat qui appartient, en premier lieu, aux champs de la botanique et de la zoologie. Au début du XXème siècle, son acception se généralise au « milieu » dans lequel l’homme évolue. Dans l’entre-deux-guerres, on parle « d’habitat » pour évoquer « les conditions de logement ». « Le verbe "habiter" est emprunté au latin habitare, "avoir souvent", […] mais ce verbe veut aussi dire "demeurer" »90. L’habitat et le fait d’habiter comportent une connotation de durée et de pérennité. Ils autorisent l’installation et l’investissement de l’habitat par la personne sans avoir à penser au lieu d’accueil suivant. Le public en situation de handicap psychique a besoin de repères et de stabilité dans leur vie quotidienne. L’ancrage dans un lieu à investir est un élément important à prendre en compte et ne peut être assuré si le logement est provisoire. Selon Sabine Vassart, assistante de service social, formée à l’analyse systémique :

« Prendre en considération l’environnement immédiat suppose de déplacer le cadre traditionnel de l’intervention, de le sortir des limites des officines des institutions pour le transposer dans le milieu de vie des personnes concernées […] Ce mouvement suppose une modification profonde de l’amorce de la relation d’aide. »91

Pour elle, les notions « se loger », « avoir un toit » et « habiter » se distinguent les unes des autres. Il y a d’une part la question du logement, de l’abri, « d’avoir un toit », d’autre part il !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

87Par définition, le droit commun désigne l'ensemble des règles juridiques applicables à toutes les situations qui ne font pas l'objet de règles spéciales ou particulières.

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Le CMP est la structure de soins pivot des secteurs de psychiatrie. Il assure des consultations médico-psychologiques et sociales pour toute personne en souffrance psychique et organise leur orientation éventuelle vers des structures adaptées (CATTP, hôpital de jour, unité d'hospitalisation psychiatrique, foyers...).

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Définie par l'arrêté du 14 mars 1986, la mission du CATTP vise « à maintenir ou à favoriser une existence autonome par des actions de soutien et de thérapeutique de groupe ». Il s'articule dans un réseau de structures sectorielles ou intersectorielles tant psychiatriques que sociales.

90 P

AQUOT T. (2005), « Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire… », Informations sociales, (n°123), p. 50.

91 V

existe un rapport relationnel, un rapport d’action qui détermine l’habitant. Le public en situation de handicap psychique a un rapport complexe dans la relation à l’autre, à son environnement et il est difficile pour lui de comprendre son propre ressenti. Sa sensibilité exacerbée, parfois difficilement canalisable, appelle à ce qu’il puisse avoir un lieu à soi où se retirer pour s’apaiser. Comment une personne peut-elle s’approprier un lieu à soi lorsque la relation à son environnement est invalidée ?

4.3.1! L’appropriation comme voie du rétablissement

Perla Serfarty-Garzon, sociologue et psychosociologue, spécifie que l’appropriation de son espace propre est une expression individuelle. « Elle relève de l’affirmation identitaire de l’habitant. En ce sens, l’habitat est le projet d’engager l’espace habité dans la construction de soi. »92

Les personnes en situations de handicap psychique sont en difficulté sur ce point. La maladie freine les engagements personnels, limite la prise de décision. Elles connaissent une instabilité de leurs lieux de vie entre hôpital, famille, structures ou autres logements, tant qu’elles ne sont pas stabilisées. Il s’agit pour elles d’apprivoiser leurs troubles psychiques pour pouvoir adapter leur mode de vie aux difficultés qu’elles rencontrent dans le quotidien.

Pour tout individu, le logement privé est un « repaire », un lieu servant de refuge, représentant une protection vis-à-vis de l’extérieur. Se reposer, se retirer, en somme « prendre soin de soi » appelle à ce qu’il y ait un endroit privé et identifié pour le faire. « C’est par la préservation de l’intimité que l’habitat tient un rôle important de régulation, de préservation de soi et de représentation sociale. »93

L’habitat représente un ensemble, un « tout » dans lequel le logement est inclus. Dans ce cadre, nous pouvons nous autoriser à penser un équilibre pour la personne en situation de handicap psychique hors les murs, à condition de l’accompagner dans l’appropriation de son espace privé et dans une utilisation permettant l’épanouissement de soi. Comment mettre en place un accompagnement dans une juste proximité qui apporte un soutien sans entraver l’autonomie individuelle de la personne ?

Il s’agit d’investir le logement sans s’y enfermer, le risque de repli sur soi étant l’un des symptômes cliniques fréquents dans le handicap psychique. L’habitat comprend l’environnement autour du logement privé, auquel la personne doit pouvoir s’accommoder !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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SERFATY-GARZON P. (2003), « Le Chez-soi : habitat et intimité », in SEGAUD M., BRUN J. et DRIANT J.C. (sous la direction de), Dictionnaire critique de l’habitation et du logement, Paris, Éditions Armand Colin, p. 65-69, [en ligne] : http://www.perlaserfaty.net/texte7htm, p. 1-9.

93 L

EROUX N. (2008), « Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la réinsertion », VST - Vie sociale et

(bruit, voisins, commerces…). Les propos de l’architecte Nadège Leroux sur la population des sans-abri, dans laquelle un certain nombre présente des troubles psychiatriques, sont transposables au public concerné par notre recherche.

« Redonner un lieu défini, personnel et appropriable aux personnes sans abri [comme aux personnes en situation de handicap psychique], c’est leur redonner une existence. Habiter un lieu, être résident, avoir son "chez soi" et voisiner sont autant d’éléments qui rendent possible la reconstruction du lien social et la reconstruction de soi. »94

L’habitat, le « chez soi », serait alors à considérer comme le lieu du développement d’un rétablissement, un support au sentiment d’existence de l’individu. Il est aujourd’hui au cœur de la réflexion du corps médical et des pouvoirs publics, en lien avec l’action de la psychiatrie ambulatoire, assurée par les CMP. La lutte contre le risque d’exclusion, défendue dans de nombreux plans d’action, progresse et se renforce pour modérer, voire supprimer, une stigmatisation toujours présente.

La voie d’une réadaptation par le biais d’un habitat de droit commun, orientation majeure prise depuis les années 1980, est le concept visé pour préparer l’individu à une vie autonome, dont la dimension inclusive est particulièrement forte pour le public sujet à des maladies mentales. L’habitat peut-il représenter un facteur permettant de réaliser cet objectif ?

4.3.2! L’habitat hors institution, vecteur d’une véritable inclusion sociale ?

La vie, dans les asiles puis dans les hôpitaux psychiatriques, a rendu les malades psychiques invisibles. Leur intégration dans la société ne posait pas question tant qu’ils étaient « cachés » par les murs des institutions. Le psychiatre Jean Maisondieu éclaircit le caractère implicite du processus d’exclusion de la personne malade psychique, qui présente des bizarreries comportementales dérangeantes et qui ne peut souvent pas travailler. En somme, il affirme que

« nous n’arrivons pas à le considérer comme un semblable digne d’intérêt. »95

Aujourd’hui, le système sanitaire, social et médico-social ne permet plus, depuis une vingtaine d’années, de créer de nouvelles places en institution, du fait des orientations prises par les pouvoirs publics. La population doit changer d’attitude face aux personnes présentant des troubles psychiques, qui ont le droit à une place à part entière au sein de la société moderne.

Le manque de financements de certains dispositifs est également une des raisons majeures de cette politique. L’hospitalisation devient l’exception mais certaines personnes n’ont pas toujours leur place au sein d’institutions médico-sociales comme les foyers de vie ou d’accueil !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

94 L

EROUX N. (2008), op.cit., p. 24.

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médicalisé (FV/FAM). Ces structures se sont néanmoins un peu plus ouvertes à ce public tout comme les foyers d’hébergement liés à un Établissement Social d’Aide par le Travail (ESAT). Elles ne sont pas encore complètement « compétentes » pour accueillir des personnes relevant d’une maladie mentale si ce n’est lorsque celles-ci sont suffisamment stabilisées. Les professionnels sont parfois réticents par peur ou par méconnaissance.

Aussi, dans bien des cas, la personne se retrouve prise en charge par ses proches, ou seule dans un appartement autonome, parfois sans suivi social et avec un suivi médical ambulatoire ponctuel qui n’agit pas sur le quotidien.

Le physicien Bertrand Escaig96 explique que les notions d’habitat et de logement ne vont pas de soi pour les personnes en situation de handicap psychique.

« Seul, la vie sociale est très difficile. La fatigue, le délabrement de la personne, bientôt du logement, quand le mal vient, quand le mal va, sans fin : hygiène personnelle, soins somatiques, soins dentaires négligés ; carence du ménage, du linge, des ordures ; volets qui ne sont plus ouverts, sanitaires bouchés, brisés, ce sont des tableaux hélas constants dès lors que la personne est abandonnée dans la ville. »97

Les propos de l’auteur apparaissent pertinents et illustrent des situations que nous avons pu rencontrer au cours de notre expérience de travailleur social en Service d’Accompagnement à la Vie Sociale (SAVS). Il sous-tend l’écart existant entre une prise en charge resserrée en institution et la liberté angoissante d’un logement autonome, où le risque du « laisser-aller » et l’isolement prédominent. La solution « intermédiaire » d’habitats accompagnés incarne-t-elle une des réponses possibles pour résoudre l’absence d’un entre-deux entre institution et logement indépendant ?

5.!L’habitat accompagné : une « prise en soin » du handicap psychique ?

À partir de nos observations et de notre cheminement, l’objet de notre recherche s’intéresse particulièrement au rôle des « habitats accompagnés » dans le parcours de vie et le parcours de soin des individus.

Offrir aux personnes la possibilité de vivre dans le droit commun en garantissant une « inclusion » induit le développement de réponses souples et de nouveaux services au statut différent, à partir de l’habitat et du logement.

La résidence accueil, spécifique au handicap psychique, représente une logique d’habitat, que l’on pourrait qualifier de lieux de vie « intermédiaire », situés entre le secteur médico-social !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

96

Professeur des Universités et vice-président de l’UNAFAM. 97 E

SCAIG B. (2009), « Le handicap psychique, un handicap caché, un handicap de tous les malentendus », Revue

et le secteur des logiques domiciliaires de droit commun. Le SAVS renforcé présente une forme similaire, proposant un accompagnement soutenu en colocation. Il appartient au champ médico- social même s’il tend à se rapprocher des logiques d’habitat du droit commun.

Le secteur social et médico-social est devenu au fil du temps un partenaire incontournable au monde psychiatrique dans l’accompagnement du public en situation de handicap psychique. Mais intervenir hors les murs, signifie intervenir sur quoi et à partir d’où ?