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3. Une vie en semi-collectivité : enjeux et limites de la prise en soin

4.1 L’institution, un modèle contestable

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Étymologiquement, l’institution représente l’action « d’instituer quelqu’un dans une situation ». Le mot institution découle du verbe latin « instituo » qui signifie « instituer ». À partir du verbe s’est formé le nom « institution », découlant de « institutio », qui signifie d'abord « arrangement » et prend ensuite le sens de principe, système. Ce mot renvoie donc à l'idée d'organisation à la base d'un système.

Le sociologue américain Erwing Goffman nous donne une lecture approfondie de ce concept. Il a voulu mettre en évidence les processus de socialisation des patients au sein de l’institution, qu’il qualifie de « totale » par le pouvoir qu’elle exerce sur les malades.

« L’institution totalitaire (total institution) comme un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées. »78

L’auteur souligne l’ambivalence de ces lieux de soin, structurés par un travail d’organisation millimétrée de l’institution. Il laisse planer le doute de sa véritable fonction auprès des individus « enfermés », qu’il désigne sous le terme de « reclus »79, selon que l’institution permette le soin ou au contraire qu’elle serve à regrouper des personnes «gênantes», que l’on doit écarter du monde social. Goffman précise que l’asile brise la frontière du logement, du travail et des loisirs. Ordinairement, ces différentes modalités de vie sont situées à des endroits différents. Au sein de l’asile, l’objectif est d’annihiler l’extérieur qui devient un obstacle pour un retour à une vie autonome et sociale. Il compare l’asile à la société en expliquant qu’il s’agit :

« d’une caractéristique fondamentale des sociétés modernes que l’individu dorme, se distraie et travaille en des endroits différents, sous des autorités différentes, sans que cette diversité d’appartenances relève d’un plan d’ensemble. Les institutions totalitaires, au contraire, brisent les frontières qui séparent ordinairement ces trois champs d’activités ; c’est même là une de leurs caractéristiques essentielles »80

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77 Dans le handicap psychique, l’apragmatisme est un symptôme caractérisé par une inaction à effectuer des tâches alors même que la personne est en mesure de les concevoir. On peut rapprocher l’explication à ce que Ehrenberg et Lovell qualifient de désorganisation de l’intentionnalité.

78 G

OFFMAN E. (1968), Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Les Éditions de minuit, p. 41.

79

La traduction française de « reclus » a été choisie dans un souci de mettre l’accent sur l’importance de l’isolement de des individus au sein de l’institution totalitaire.

80 G

Les pratiques asilaires ont aujourd’hui disparu mais les institutions psychiatriques, sociales et médico-sociales existent toujours, parfois dans les mêmes lieux, empreints d’histoire. Elles se sont adaptées à l’évolution des temps modernes, aux différentes lois pour se conformer aux injonctions du cadre juridique. Depuis la loi du 30 juin 1975 et comme nous l’avons déjà développé, des bouleversements des années 2000, les systèmes se sont assouplis, les usagers « pris en charge » sont devenus des « personnes accompagnées », qui ont des droits. Elles deviennent, dans la mesure où elles en ont les capacités, actrices de leur projet de vie et peuvent donner leur avis, leur sentiment, s’opposer, dire « non ! »

Le caractère d’hébergement en collectif impose aux institutions sanitaires ou médico- sociales de maintenir une entité de système, régie par des règles et des pratiques, auxquelles patients et/ou résidents doivent se conformer. Le sociologue Dominique Argoud compare la notion « d’hébergement » à celle d’un « "camp retranché", espace dans lequel la personne prise en charge n’a d’autre choix que celui de se soumettre aux règles d’une institution physiquement coupée du reste de la cité. »81

Les institutions, construites à l’abri des regards, ont néanmoins évolué et ont cessé de se multiplier. Elles se sont spécialisées pour accueillir plus de personnes afin que les hôpitaux ne soient plus un hébergement de longue durée. Ce n’est malheureusement toujours pas le cas aujourd’hui en psychiatrie, où certaines prises en charge durent plusieurs années sans solution de sortie satisfaisante et adaptée. L’objectif s’est gradué d’une possible intégration des individus à l’obligation d’une inclusion dans la société.

Sur cette perspective, nous choisissons d’exclure le vocable « hébergement » de notre étude au bénéfice des termes d’habitat et de logement. Le semi-collectif et la participation qui en découle sont une caractéristique principale de l’environnement, importante et significative des lieux de vie observés. Le mot « logement » sera employé lorsqu’il s’agira d’évoquer le caractère privé et intime du lieu de vie propre à la personne. Le terme d’habitat rendra compte de l’ensemble du dispositif étudié82, en résidence accueil et en SAVS renforcé, qui comprend à la fois un environnement privé individuel mais aussi des espaces collectifs dédiés à un usage commun des résidents et bénéficiaires83.

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81

ARGOUD D. (2011), « De l’hébergement à l’habitat : une évolution ambiguë », Gérontologie et société (n°136), p. 14. 82 Nous pouvons nous interroger sur la difficulté de parler de ces lieux au statut complexe entre les appellations « d’hébergement », « d’habitat » et de « logement ».

83

Nous aurions pu faire le choix d’orthographier le mot « résidant » de cette façon pour renforcer l’acte d’habiter « chez soi » des personnes au sein des résidences accueil, cette orthographe représentait auparavant l’habitant d’un lieu. Le mot « résident » a été choisi comme nom du fait de son usage courant, bien qu’il soit souvent connoté à l’idée d’hébergement. Dans le respect des usages de l’UDAF, nous utiliserons les vocables de « résident » pour les habitants des résidences MADEN et de « bénéficiaire », sauf exception, pour évoquer les habitants du SAVS renforcé.

L’articulation des prises en charge sanitaire et sociale doit s’adapter à la personne en respectant ses choix et en lui permettant d’accéder aux différents dispositifs. C’est à partir d’un habitat inclus au sein de la cité que l’action publique doit pouvoir apporter à chaque individu l’aide médicale, sociale, humaine, technique, dont il a besoin pour vivre décemment dans le logement de son choix. Notre étude vise à montrer le processus par lequel nous sommes passé du modèle de l’institution, lieu d’accueil qui héberge des personnes malades pour leur apporter des soins au modèle du logement et de l’habitat au sein du milieu ordinaire de vie sociale.