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CHAPITRE 3 Phases préparatoires de Projet Pluie : approches du travail avec l’interprète

3.2 Laboratoires spécifiques

3.2.1 Laboratoire n° 1 : Symétrie gestuelle / Symétrie sonore

L’objectif premier était de clarifier et mieux construire la relation entre les deux interprètes. Pour cela, nous avons décidé de travailler sur la résonance entre les gestes musicaux et théâtraux, dans un exercice de symétrie gestuelle. Une séquence courte et simple extraite de la proposition scénique faite à l’issue de la phase d’exploration nous a servi de base et nous avons utilisé un certain nombre d’objets et d’accessoires pour stimuler l’action gestuelle. La présence des objets a également amené un autre objectif, celui de travailler la relation à l’objet et à la matière ainsi que leur manipulation théâtrale et sonore.

Contenu

L’espace est construit sur le principe de symétrie: en arrière se trouve un lit, avec un oreiller à chaque coin. En avant se trouve une table, qui comporte deux espaces distincts avec des objets hétéroclites. Sur la moitié se trouvant côté jardin on trouve les objets suivants: quatre verres, des ustensiles, un téléphone, une petite roue, des assiettes en verre, en plastique et en carton. C’est cette moitié qui sera l’apanage de l’interprète théâtrale. Sur l’autre moitié de la table, située côté cour, se trouvent un soulier, un bol d’eau, un archet, une égoïne, un clavier d’enfant-xylophone en forme de tigre, une baguette de xylophone et une roue de vélo d’enfant. Plus abstraite et propice aux expérimentations sonores, cette moitié sera assignée à l’interprète musical.

La séquence de base se présente ainsi: les interprètes se réveillent, se lèvent, se mettent debout et mettent leurs pantoufles. Ils se dirigent ensuite vers la table, s’asseyent, mangent et manipulent les objets. Pour finir, ils se lèvent et sortent de scène. Le tout se fait sans paroles.

Cette séquence va donc être effectuée en symétrie par les deux interprètes : le musicien et la comédienne se réveillent dans le même lit, mais tête-bêche. Ils enfilent chacun une

cour. Le principe d’action est ensuite le suivant: dès que la comédienne s’empare d’un objet, le musicien doit trouver une résonance avec les objets dont il dispose lui-même. On a alors le loisir d’observer le parallèle entre le geste sonore et le geste théâtral. Nous avons ensuite échangé de rôles : nous avons reproduit la séquence, mais en échangeant de moitié de table et donc de rôle. J’ai alors tâché de répondre en parallèle et de manière plus sonore, aux gestes concrets de l’interprète musical.

Conclusions tirées du laboratoire

Cet exercice de symétrie comme stratégie d’intégration du musicien a semblé probant : à travers ce jeu d’imitation se dessine une relation entre les deux interprètes et esquisse une tension qui peut être amenée à créer un effet d’attente chez le spectateur. Il a été intéressant de noter deux postures de la part du musicien dans cet exercice de symétrie. Quand il était en posture d’imitateur, deux cas de figures se sont présentés en fonction des objets mobilisés : un parallèle gestuel qui donnait lieu à une action cocasse et surréaliste ou à une imitation du bruit fait par l’objet (par exemple la sonnerie du téléphone reproduite sur le piano jouet d’enfant). Dans les deux cas, les effets ont été jugés intéressants, car ils induisaient soit un aspect farfelu au musicien, soit un effet de décalage dans la résonance sonore, une distance qui pouvait donc commencer à instaurer un écart de niveaux de réalité. En outre, dans ce système où l’interprète 2 doit imiter l’interprète 1, on finit par instaurer des correspondances que le spectateur peut reconnaître (par exemple, on sait que lorsque l’interprète 1 va saisir le téléphone et le manipuler, l’interprète 2 va quant à lui prendre la roue de vélo-jouet lors des récurrences de l’utilisation de l’objet). Un effet d’attente est donc créé et peut être exploité pour créer une tension dramatique: si par exemple l’interprète 1 dispose d’un verre vide et se le renverse sur la tête, l’interprète 2 sera obligé de se saisir du bol d’eau qu’il a utilisé précédemment comme correspondance et sera donc aspergé d’eau, contrairement à l’interprète 1 qui restera au sec. Ainsi, le spectateur peut être amené à s’interroger: l’interprète 1 va-t-il s’arrêter avant et laisser son acolyte au sec, ou va-t-il mener son action jusqu’au bout malgré les conséquences? Au vu de la relation qui se dessine entre les deux entités de Projet Pluie, nous pourrions pousser cette dynamique afin

de voir de quel ordre est leur relation (malveillante, bienveillante...) et aller plus loin dans la « mise en danger » d’un interprète par l’autre70.

Grâce à ce type d’exercice de symétrie, le rôle simplement « illustratif » du musicien est balayé et même si les interventions de ce dernier sont plus d’ordre sonore, elles sont intégrées parfaitement à la scène et sont vectrices de tension dramatique. Ce premier laboratoire nous a donc semblé être une bonne entrée en matière pour commencer à approfondir la relation entre les interprètes et aussi un bon moyen d’approfondir les niveaux de réalité en coprésence dans l’univers que nous avons choisi d’instaurer, en faisant se confronter un monde plus réaliste (qui tend cependant à devenir de plus en plus abstrait) et un monde plus symbolique et abstrait.

3.2.2 Laboratoire n°2 : Formes musicales appliquées à la dramaturgie