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Présence(s) de l'interprète musical dans les arts de la scène : fonctions, postures et stratégies d'intégration

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Academic year: 2021

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Présence(s) de l’interprète musical dans les arts de la

scène. Fonctions, postures et stratégies d’intégration

Mémoire

Maxime Louise Milhorat Gusteau

Maîtrise en littérature et arts de la scène et de l'écran - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Présence(s) de l’interprète musical dans les arts de

la scène

Fonctions, postures et stratégies d’intégration

Mémoire de recherche-création

Maxime-Louise Milhorat Gusteau

Sous la direction de :

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Résumé

Cette recherche-création traite de l’interprète musical dans les arts de la scène. Elle vise à définir et répondre aux problématiques posées par l’insertion de cette figure musicale dans une forme théâtrale. Elle propose, dans un deuxième temps, une création visant à intégrer le musicien de manière totale, en dégageant les stratégies de mise en scène pour y parvenir. Pourquoi faire le choix de convoquer un musicien sur scène, alors que l’on dispose aujourd’hui des technologies nécessaires pour diffuser du son dans un spectacle? Et en tant que metteur en scène, comment l’exploiter à son plein potentiel? Après avoir défini ce que l’on appelle l’interprète musical, un rapide historique de sa place dans les interrelations musique-théâtre permet de dégager des fonctions récurrentes de ce dernier. On aborde ainsi les tendances d’apparition et réapparition successives du musicien dans l’histoire du théâtre, les expérimentations de théâtralisation de celui-ci dans le domaine musical, ainsi que le théâtre instrumental, véritable exercice de « mise en jeu » de l’interprète. Par la suite, une étude de dix spectacles employant des musiciens permet de constater les tendances de traitement de ces derniers, et proposer une typologie des grandes postures possibles du musicien dans les arts vivants. Enfin, la dernière partie de ce mémoire fait état de la création menée en collaboration avec un musicien, et expose les différentes étapes nécessaires à l’élaboration de celle-ci. En parallèle, on peut voir comment s’est construite la méthodologie de travail, et quelles stratégies ont été mises en place pour mener à bien cette entreprise. Cette recherche-création vise donc à mieux comprendre et explorer une figure complexe, qui malgré sa présence fréquente sur les scènes contemporaines, n’est que très peu sujet d’ouvrages théoriques ou de travaux universitaires.

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Table des matières

Résumé ... ii

Liste des tableaux ... v

Liste des schémas ... vi

Liste des images ... vii

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

CHAPITRE 1 État des lieux et problématiques liées à l’interprète musical ... 6

1.1 Définitions des notions et concepts théoriques ... 6

1.1.1 Arts de la scène et interdisciplinarité ... 6

1.1.2 Interprète musical ... 7

1.2 Interrelations musique-théâtre : quelle place pour l’interprète ? ... 8

1.2.1 Au théâtre : une présence musicale non-constante ... 8

1.2.2 En musique : des « mises en espace » aux expérimentations corporelles de l’instrumentiste ... 14

1.2.3 Le théâtre instrumental : l’interprète musical pierre angulaire d’un genre musico-théâtral ... 18

Conclusion du Chapitre 1 ... 23

CHAPITRE 2 Postures et fonctions de l’interprète musical dans les arts de la scène: une étude de cas pour nourrir la recherche-création ... 25

2.1 Stratégies d’élaboration de la grille d’analyse ... 26

2.1.1 Critères de choix des spectacles ... 26

2.1.2 Éléments de détermination du statut du musicien ... 27

2.1.3 Fonctions, rôles du musicien ... 28

2.1.4 Présentation des résultats de l’analyse ... 31

2.2 Panorama des postures ... 35

2.2.1 Des postures du narrateur… ... 36

2.2.2 … aux postures du musicien ... 39

2.2.3 Proposition de typologie ... 40

2.2.4 Limites et nuances possibles de la proposition de typologie ... 50

Conclusion du Chapitre 2 ... 55

CHAPITRE 3 Phases préparatoires de Projet Pluie : approches du travail avec l’interprète musical ... 57

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3.1.3 Premières explorations ... 61

3.2 Laboratoires spécifiques ... 63

3.2.1 Laboratoire n° 1 : Symétrie gestuelle / Symétrie sonore ... 63

3.2.2 Laboratoire n°2 : Formes musicales appliquées à la dramaturgie ... 66

3.2.3 Laboratoire n°3 : Degrés de présence et technologie ... 73

3.3 Version préliminaire de Projet Pluie ... 80

3.3.1 Travail préliminaire ... 80

3.3.2 Contenu ... 81

3.3.3 Bilan et analyse ... 86

Conclusion du Chapitre 3 ... 89

CHAPITRE 4 Projet Pluie – Création théâtrale incluant un interprète musical ... 91

4.1 Description et déroulement ... 92

4.1.1 Espace ... 92

4.1.2 Déroulement de la séquence ... 100

4.2 Fonctions, postures et stratégies d’intégration de l’interprète musical ... 103

4.2.1 Principes de la relation entre la Femme et le Musicien ... 103

4.2.2 Fonctions et posture de l’interprète musical au sein de la création ... 104

4.2.3 Conception de l’entité dramaturgique ... 106

4.2.4 Stratégies et méthodologie d’intégration du musicien ... 108

Conclusion du Chapitre 4 ... 110

Conclusion ... 113

Bibliographie ... 121

ANNEXE A Croquis de l’espace scénique de la version préliminaire de Projet Pluie ... 125

ANNEXE B Liste des objets employés dans la version préliminaire de Projet Pluie ... 126

ANNEXE C Déroulement de la séquence de la version préliminaire de Projet Pluie ... 127

ANNEXE D Schéma graphique de l’espace-temps dans la réécriture du texte de Williams ... 130

ANNEXE E Contenu de la séquence de loop de Projet Pluie et correspondances ... 131

ANNEXE F Cahier de régie de Projet Pluie (actions et son) ... 132

ANNEXE G Paroles des chansons Kiss Me Again et A Kiss in the Dark ... 136

ANNEXE H Extraits du cahier de bord de Projet Pluie ... 138

ANNEXE I Photos de la générale de Projet Pluie ... 142

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Liste des tableaux

Tableau 1 Grille d'analyse complétée ... 30

Tableau 2 Tableau récapitulatif des postures ... 49

Tableau 3 Étapes du travail de création ... 58

Tableau 4 Description des trois formes musicales (rondo, Lied, sonate) ... 68

Tableau 5 Déroulement du Laboratoire n°2 ... 69

Tableau 6 Déroulement du Laboratoire n°3 ... 74

Tableau 7 Correspondances des objets dans la version préliminaire de Projet Pluie ... 85

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Liste des schémas

Schéma 1 Dispositif scénique du Laboratoire n°1 ... 63

Schéma 2 Dispositif scénique de la Variante 1 du Laboratoire n°3 ... 76

Schéma 3 Dispositif scénique de la Variante 2 du Laboratoire n°3 ... 77

Schéma 4 Dispositif scénique de la variante 3 du Laboratoire n°3 ... 78

Schéma 5 Dispositif scénographique de la version préliminaire de Projet Pluie ... 82

Schéma 6 Dispositif sonore de la version préliminaire de Projet Pluie ... 84

Schéma 7 Dispositif scénique de Projet Pluie ... 94

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Liste des images

Image 1 Extrait de la captation du Laboratoire n°1 ... 64

Image 2 Extrait de la captation du Laboratoire n°2 (Thème A) ... 70

Image 3 Extrait de la captation du Laboratoire n°2 (Thème B) ... 71

Image 4 Extrait de la captation du Laboratoire n°2 (Thème C) ... 71

Image 5 Extrait de la captation de la Variante 1 du Laboratoire n°3 ... 77

Image 6 Extrait de la captation de la Variante 2 du Laboratoire n°3 ... 78

Image 7 Extrait de la captation de la Variante 3 du Laboratoire n°3 ... 79

Image 8 Dispositif scénique de la version préliminaire de Projet Pluie (Crédits: Marie Tan) ... 83

Image 9 Espace scénique de Projet Pluie (Crédits: Natalia Soldera) ... 92

Image 10 Table à manger: à gauche, le côté de la Femme, à droite, le côté du Musicien (Crédits: Natalia Soldera) ... 95

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De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l’Impair Plus vague et plus soluble dans l’air,

Sans rien en lui qui pèse ou qui pose (…) Paul Verlaine, Art poétique (in Jadis et

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Remerciements

Un grand merci tout d’abord à Robert Faguy, pour la direction de ma recherche et la confiance et la liberté accordées tout au long du processus de recherche et de création. Je remercie également Carole Nadeau et Thomas Rieppi d’avoir accepté d’évaluer mon travail, et par leurs corrections et remarques, de m’accompagner vers le dépôt final de mon mémoire. Ensuite, un IMMENSE merci à Antoine Trépanier, qui a accepté de collaborer avec moi des prémices à l’apogée de Projet Pluie : tu as embarqué dans le travail avec générosité, bienveillance, inventivité. Je suis si fière du résultat de notre création, et je souhaite vraiment pouvoir un jour retravailler avec toi. Merci d’avoir pris de ton temps et de ton expertise pour construire le projet avec moi, cette recherche te doit beaucoup. Merci aussi à ceux et celles qui ont accepté de prendre de leur temps pour m’aider à la réalisation de Projet Pluie : Marie Tan pour le regard et les conseils toujours pertinents et bienveillants, Natalia Perosa Soldera pour la régie et l’archivage, François Joseph Bélanger pour la conception d’éclairage qui a tant apporté à l’objet final, Juan Carlos Sosa Andrade (le meilleur crabe en ville!), et enfin Harold Boivin pour l’installation du dispositif technique nécessaire au projet, les réponses à mes (nombreuses) questions et l’expansion de mes connaissances en matière de technique du son. Merci aux spectateurs de la représentation publique du projet, dont les retours m’ont énormément servi pour approfondir ma réflexion. Je remercie également Fred Lebrasseur, Mykalle Bielinski et Véronika Makdissi-Warren pour les discussions et le prêt de ressources vidéo, le LANTISS (Laboratoire des Arts et Nouvelles Technologies de l’Image et de la Scène) pour avoir permis la réalisation de Projet Pluie en ses locaux, et la SQET (Société Québécoise d’Études Théâtrales) pour m’avoir donné l’occasion d’en présenter une version préliminaire : les rencontres avec les autres panelistes et le public furent éclairantes et déterminantes dans l’avancement du projet et la consolidation de sa validité artistique. Enfin, merci à Kianno Gosselin, qui par sa grande générosité et sa gentillesse a permis la fin de rédaction de ce mémoire dans des conditions sereines et saines, aux amis et aux

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Introduction

Session d’hiver 2017, Université Laval : on me demande d’intervenir au sein du spectacle des finissants du Baccalauréat en Théâtre de l’Université Laval en tant que musicienne. Au départ, je suis seulement supposée accompagner un tableau de cette mise en scène des

Monologues du Vagin, puis je suis finalement amenée à prendre de plus en plus de place

dans le spectacle, assurant parfois les transitions ou des accompagnements musicaux. Présente du début à la fin du spectacle, sur un promontoire côté jardin, je me souviens m’être demandée plusieurs fois ce que je pouvais bien apporter à l’ensemble : en effet, il me semblait que la grande majorité de mes interventions aurait pu être préalablement enregistrée puis diffusée, sans que ma présence sur scène soit requise. Sans vouloir, bien sûr, blâmer les finissants, je m’interroge toujours sur ce que ma présence à la scène a pu apporter à l’ensemble, et ce que le public a pu en retirer. Je suis ressortie heureuse de l’expérience pour la confiance qui m’avait été accordée, mais frustrée de n’avoir pas eu plus de considérations quant à mon rôle dans l’ensemble : qui étais-je ? Maxime l’altiste ? Un personnage ? Un élément symbolique ? Qu’avais-je le droit de faire ou de ne pas faire ? Étais-je dans le même espace-temps que les personnages de la pièce ? Pressés par le temps et le tant à faire, les finissants n’ont probablement pas eu le temps de se pencher autant sur ces questions qu’ils l’auraient voulu, mais à l’échelle d’un spectacle professionnel, les questions se posent aussi : comment dirige-t-on un musicien sur scène ? Comment trouve-t-il sa place dans cet ensemble spectaculaire ? Peut-il, lui aussi, être perdu autant que je l’étais quant à son rôle et la bonne attitude à adopter au sein de la création ?

De cette expérience en demi-teinte ont donc émergé des questionnements, avec celui-ci principalement : pourquoi faire le choix de mise en scène d’intégrer un musicien dans un spectacle s’il n’est pas amené à intervenir avec les comédiens, ne pas bouger, et uniquement réduit à une fonction d’accompagnant qui pourrait très bien être assurée par un enregistrement audio ? Ces interrogations m’ont par la suite accompagnée en tant que spectatrice quand j’assistais à de (nombreux) spectacles comportant un interprète musical : cette présence vivante ne me semblait pas exploitée comme elle aurait pu l’être.

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Le musicien restait souvent dans son coin de la scène, muet, ni totalement comédien, ni totalement étranger à l’ensemble, comme un pied en dedans et un pied en dehors du spectacle.

Le point de départ de cette recherche autour de l’interprète musical dans les spectacles d’art vivant vient donc d’une considération personnelle, à la fois du point de vue de l’interprète elle-même que de l’aspirante metteuse en scène souhaitant intégrer et travailler avec des interprètes musicaux dans ses futures productions théâtrales, sans qu’ils ne se sentent mis de côté, réduits à une unique fonction d’accompagnant ou de créateur d’ambiance.

L’interprète musical ou le « musicien de scène » est devenu un habitué de la scène théâtrale contemporaine, voire peut-être même, aux dires de certains, un lieu commun : si l’on observe les programmations des différents théâtres de la ville de Québec, toutes comprennent au moins une production impliquant un ou plusieurs musiciens. Sur les scènes occidentales d’aujourd’hui, à Québec ou ailleurs, on peut donc constater l’essor considérable de projets artistiques qui associent plusieurs disciplines ou pratiques. Dans le cadre de cette recherche, on parle d’une association de la musique et du théâtre, ou plutôt d’une incursion musicale dans les arts vivants, personnifiée par l’interprète. Ces deux arts ont longtemps été intrinsèquement liés, comme nous le verrons dans le premier chapitre, qui vise à dresser un bref historique des interinfluences musique-théâtre. En effet, il suffit de remonter aux origines antiques de l’art théâtral pour y voir une forme absolument déterminée par l’aspect musical : les technologies d’enregistrement et de diffusion du son n’étant pas encore présentes à l’époque, la présence du musicien était nécessaire à la bonne tenue du spectacle.

Mais si l’on s’éloigne des considérations techniques ou acoustiques, pourquoi employer aujourd’hui un interprète musical sur la scène ? Les créateurs ont désormais les moyens technologiques pour enregistrer et diffuser les éléments sonores nécessaires au spectacle, donc le choix d’employer un musicien est un choix de mise en scène à part entière.

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Au-récurrences dans les postures adoptées par ces musiciens de scène ? Et comment sont-ils positionnés par rapport aux autres composantes vivantes et non-vivantes de la scène ? Quelles sont alors les techniques et les méthodes employées par les metteurs en scène pour parvenir à intégrer un interprète venu d’une autre discipline dans l’ensemble spectaculaire ?

Paradoxalement, si les musiciens sont nombreux sur les scènes contemporaines, les recherches portant spécifiquement sur cette figure n’abondent pas, et sont même inexistantes (on peut néanmoins noter le travail de maîtrise en recherche-création d’Isabelle Lapointe1 à propos de la théâtralisation du chanteur dans les concerts de

chanson, qui n’est donc pas tout à fait le sujet ici mais fait tout de même l’objet de l’étude d’une figure musicale théâtralisée). On trouve quelques ressources théoriques dans le champ des études musicales, mais elles sont plus particulièrement axées sur le geste du musicien, ou encore sur la pédagogie instrumentale s’ouvrant vers d’autres disciplines. Aussi intéressantes soient-elles, elles restent donc ancrées vers des finalités exclusivement musicales. Pour débuter mes recherches sur la question, il m’a fallu consulter des ressources plus généralement axées sur les hybridations musico-théâtrales, bien plus nombreuses. Certaines ont fait cas de la présence de musiciens dans des créations et ont pu permettre d’établir une considération générale de l’interprète théâtralisé en musique ou à l’inverse « musicalisé » en théâtre, mais d’autres méthodologies que celles de la consultation de recherches universitaires ont dû être utilisées afin de s’attaquer à la problématique de l’interprète musical dans les arts vivants. Ainsi, le choix d’une recherche-création comme forme pour ce travail de maîtrise s’est révélé nécessaire. Elle a pris la forme d’un aller-retour constant entre la théorie et la pratique, c’est-à-dire entre la consultation de ressources universitaires, de travaux de recherche, et l’expérimentation au plateau d’hypothèses et de considérations quant à cette figure ambiguë que représente l’interprète musical. Une première approche de ce

1 Isabelle Lapointe, « Les corps de la chanson. Étude et expérimentation des stratégies de théâtralisation

dans le concert de chansons », mémoire de Maîtrise en littérature et arts de la scène et de l’écran, Québec, Université Laval, 2019, 197 f.

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processus d’exploration scénique du travail avec le musicien avait déjà été enclenchée avec Fureur – Cabaret Brechtien, spectacle des finissants de la promotion 2018 du Baccalauréat en Théâtre de l’Université Laval, auquel j’ai pu participer en parallèle de ma recherche en tant que directrice musicale et conceptrice. Ce spectacle constitue une première approche de travail avec l’interprète musical, et même s’il n’a pas été inclus dans le processus de recherche-création à proprement parler, il a permis de commencer à distinguer différentes postures et stratégies d’intégration pour ce dernier. Fureur constitue également ma première expérience de travail avec Antoine Trépanier, avec qui j’ai choisi de continuer à travailler dans le cadre de cette recherche, le travail de collaboration étant déjà enclenché.

En ce qui concerne la partie création de ce travail de maîtrise, elle s’est étalée sur une longue période, et s’est essentiellement basée sur la dynamique exploratoire et le travail expérimental. L’objectif principal était de voir comment créer une forme théâtrale incluant le musicien de manière active, sans le cantonner à un rôle unique d’accompagnant ou de créateur de transitions. Plusieurs étapes ont été nécessaires pour arriver à un résultat final atteignant cet objectif : des explorations libres autour d’un texte, puis des laboratoires spécifiques gravitant toujours autour de la base textuelle amenant à une version préliminaire du projet. Le laboratoire final, comportant plus de moyens, a constitué la synthèse des étapes précédentes et a permis de répondre aux questionnements posés en introduction. En outre, la création a également permis de construire au fur et à mesure une méthodologie de travail de mise en scène et de direction avec le musicien pouvant être par la suite réutilisée dans de futures productions. Pour m’aider dans la réalisation du laboratoire final, un carnet de bord s’est révélé être un outil d’un grand soutien, afin de consigner le travail fait séance par séance, et garder des traces des réflexions dégagées ou des hypothèses à tester.

D’autres biais méthodologiques ont également été nécessaires pour pallier le manque de ressources et de travaux axés spécifiquement sur la figure de l’interprète musical dans les

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d’une grille d’analyse dont l’élaboration sera détaillée au Chapitre 2, l’identification des diverses fonctions possibles pour le musicien dans ces spectacles ont permis de distinguer des profils récurrents et d’établir une typologie possible dans laquelle on peut retrouver les profils principaux adoptés par les interprètes musicaux au sein des arts vivants. Le mémoire se divise en quatre chapitres : dans un premier temps, on définit les termes et le cadre théorique du mémoire, avant de dresser un bref historique des interrelations musique-théâtre du point de vue de l’interprète. Le second chapitre est consacré à l’étude évoquée précédemment : après la présentation et l’analyse de dix spectacles présentés à Québec et comportant un musicien suivra la proposition de typologie des postures du musicien issue de cette grille, basée sur le modèle des focalisations narratologiques théorisées par Gérard Genette. Après ces éclaircissements théoriques suit la partie création, dont l’objectif était d’expérimenter à la scène, d’un point de vue de metteuse en scène, l’intégration du musicien dans une forme théâtrale. Cette création, intitulée Projet

Pluie, s’est construite progressivement, et a permis de faire émerger des considérations

artistiques et méthodologiques quant à ces questions d’intégration et d’exploitation du musicien. Après avoir décrit les étapes préliminaires amenant à la création finale, elle est détaillée exhaustivement et mise en résonance avec les considérations théoriques exposées précédemment.

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CHAPITRE 1 État des lieux et problématiques liées à

l’interprète musical

1.1 Définitions des notions et concepts théoriques

1.1.1 Arts de la scène et interdisciplinarité

On parle ici des « arts de la scène » dans lesquels le théâtre et la musique sont reliés, mais dont le rapprochement n’amène pas à une forme spectaculaire hybride: en effet, ici, on s’intéressera uniquement aux formes où la présence de la musique n’est pas une condition

sine qua non de réalisation, comme par exemple dans l’opéra ou la comédie musicale. Si

on se trouve bel et bien dans un cadre d’interdisciplinarité, ce serait plus dans le sens suivant, donné par Marie-Christine Lesage:

[Une pratique qui] prend parfois la forme de l’invitation faite à des créateurs d’autres champs artistiques de venir travailler dans celui du théâtre. Ainsi, l’interdisciplinarité serait-elle aussi une forme d’hospitalité et d’ouverture à l’altérité artistique. C’est en vertu de celle-ci que l’invitation, qui appelle la rencontre, ne cherche pas l’union mais une sorte de dialogue permettant d’explorer toutes les affinités que les écarts entre le théâtre et d’autres pratiques artistiques. Il n’y a pas d’effacement des différences pour l’édification d’un sens commun, mais travail de et dans la différence.2

On parle donc bien de formes où il y a une incursion de la musique plutôt que de formes hybrides musico-théâtrales. Comme évoqué précédemment, l’opéra en est exclu, dans la mesure où les interprètes sont tous des interprètes musicaux (chanteurs et chanteuses) théâtralisés dans une forme musicale. Il en est de même pour la comédie musicale où l’union de la musique et du théâtre est indéniable et où les chanteurs sont tous comédiens. Quant au théâtre musical et au théâtre instrumental, on y reviendra dans la seconde partie de ce chapitre.

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Ainsi, ce que l’on nomme « arts de la scène » dans le présent mémoire renvoie aux spectacles théâtraux au sein desquels on a la présence d’un ou plusieurs musiciens au sein de la représentation. On y inclut également les spectacles de théâtre jeune public ainsi que le cirque (dans la mesure où un metteur en scène en a assuré la création, on peut y voir une dimension théâtrale) et certains spectacles « d’art multi » dont la forme ne relève pas d’une hybridation avec le genre musical.

1.1.2 Interprète musical

L’interprète musical dont il est question dans le présent mémoire peut se définir de la sorte: un musicien présent dans une forme spectaculaire non-musicale. Fréquemment convoqué sur la scène théâtrale, on trouve pourtant peu de ressources théoriques concernant cette figure, souvent désignée par le terme « musicien de scène » ou “musicien de théâtre”. Cependant, la dénomination varie selon l’artiste qui le plus souvent va s’autodéfinir étant donné le peu de ressources et de travaux concernant son rôle. J’en propose ainsi la définition suivante: un musicien dont la fonction principale au sein de l’œuvre est d’interpréter de la musique en direct sur la scène, cohabitant avec les autres composantes vivantes de la représentation (comédiens, circassiens, performeurs, ...) et dont le spectateur peut noter la présence.

On parlait plus tôt du « musicien de scène », cependant je n’ai pas choisi de retenir cette appellation : en effet, ce terme me semble catégoriser d’office l’interprète à être seulement musicien et ainsi le positionner dès le départ à l’écart du reste de la distribution d’un spectacle. Utiliser exclusivement le terme « musicien de scène » est selon moi un renvoi à une fonctionnalité essentielle de « production de son », alors que, comme nous le verrons plus tard, on peut proposer à ce musicien tout un autre éventail de fonctions à adopter au sein d’un spectacle. Je ferai donc référence à l’« interprète musical » tout au long du texte pour désigner la figure précédemment définie. Ce terme pourrait cependant être sujet à des objections : l’interprète musical ne renvoie-t-il pas trop au musicien « traditionnel », intervenant dans des contextes exclusivement musicaux? On aurait pu alors essayer de trouver un autre terme pour définir la figure à laquelle je fais référence dans le présent mémoire, comme par exemple « interprète sonore » ou « créateur

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sonore ». Malgré cela, le terme « interprète musical » reste, selon moi, le plus indiqué : comme on pourra le voir plus tard, l’interprète musical n’est pas nécessairement interprète dans le sens d’exécutant, mais dans celui de constructeur sonore.

1.2 Interrelations musique-théâtre : quelle place pour

l’interprète ?

L’étude des relations musico-théâtrales fut la porte d’entrée empruntée pour arriver à mieux comprendre les problématiques liées à l’interprète musical. Ici, on s’éloigne de cette perspective globale, pour s’intéresser spécifiquement à ce dernier. Sans chercher à dresser un résumé exhaustif de l’histoire de la musique et du théâtre, la partie suivante cible des périodes de l’histoire de ces deux disciplines au sein desquelles l’emploi de l’interprète musical est à mettre en relief3. Dans un premier temps, il s’agit d’étudier

succinctement l’intégration du musicien au fil de l’évolution de la représentation théâtrale. Par la suite, on inverse le prisme, en s’intéressant à la place du musicien dans le processus de théâtralisation de la musique. Enfin, on réunit les deux disciplines en nous intéressant au théâtre instrumental, dont le musicien est la pierre angulaire.

1.2.1 Au théâtre : une présence musicale non constante

Dans l’étude de l’histoire du théâtre, la musique est omniprésente et présentée comme une condition sine qua non de la représentation : le théâtre puise son origine dans l’intermédialité et que ce soit autour ou au sein de la forme, la musique l’accompagne pendant une grande partie de son histoire. Avant l’apparition des technologies d’enregistrement et de diffusion au XXème siècle, il est donc évident que les interprètes musicaux sont indispensables et omniprésents pour toute la période qui précède la substitution technique (située selon Kayes et Lebrecht aux environs des années 1930, comme nous le verrons ci-après).

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Le théâtre antique grec : des interprètes musicaux dénigrés mais indispensables

On pourrait commencer avec le chœur du théâtre grec antique, qui « accompagné de crotales, cymbales, de tambourins […] chante et danse lorsque que c’est son tour4 ».

Cependant, une figure musicale, partie intégrante de ce chœur, nous intéressera plus ici : il s’agit de l’aulète. En effet, contrairement aux membres du chœur, qui est formé de « 15 garçons (choisis parmi l’élite des jeunes gens de la cité)5 », l’aulète est un musicien

professionnel spécifiquement rémunéré pour son activité d’interprète au sein de la performance théâtrale. Malika Bastin-Hammou, dans son article « Le silence des aulètes dans la comédie ancienne6 », nous indique que ce joueur d’aulos (« flûte double dotée

d’une anche et percée de trous, fabriqué d’ordinaire en os et qui peut être décorée »7)

remplit des fonctions à la fois d’ordre musical (donner le rythme, mener le chœur), mais aussi dramatique (faire office de didaskalos, c’est-à-dire diriger le chœur et les acteurs). En tant qu’interprète musical, il revêt un statut particulier dans la mesure où il n’a pas accès à la parole. Cela le place en dessous de tous les autres et même au-dessous du genre humain : « De fait, si l’aulète émet des sons, il n’a pas accès à la parole, cette parole articulée qui pour les Grecs définissait l’humanité : il bascule alors du côté de l’animalité. Ainsi, dans la comédie des Oiseaux, le héros traite l’aulète de « corbeau emmuselé8 ».

L’interprète musical semble donc avoir d’ores et déjà un statut à part : selon Bastin-Hammou, il est non seulement professionnel rémunéré pour son activité et donc assimilé « à diverses catégories peu considérées : parasites, étrangers, prostitué-e-s, […]9 », mais

aussi au bas de l’échelle dans la hiérarchie des artistes, l’aulos associé aux fêtes bachiques étant un instrument considéré comme plus trivial et moins noble que la lyre. Si les acteurs, eux aussi rémunérés sont déconsidérés par l’opinion publique, l’aulète l’est encore plus et jouit d’une mauvaise réputation dans la cité : « À Athènes, enfin,

4 André Degaine, Histoire du théâtre dessinée, Saint Genouph, Nizet, 1992, p. 29. 5 Id.

6 Malika Bastin-Hammou « Le silence des aulètes dans la comédie ancienne », dans Muriel Plana et

Frédéric Sounac [dir.], Les relations musique-théâtre : du désir au modèle, Actes du colloque international – IRPALL des 25, 26 et 27 octobre 2007, Université de Toulouse II – Le Mirail, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 29-38.

7 Ibid., p.30. 8 Ibid., p.35. 9 Ibid., p.38.

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circulaient plusieurs dictons peu flatteurs sur les aulètes : dire de quelqu’un qu’il « menait une vie d’aulète », c’était le traiter de parasite, car les aulètes que l’on louait pour les sacrifices prélevaient une part de viande. On considérait, de manière générale que c’était un métier réservé à des individus grossiers. »10

Bastin-Hammou nous explique donc que l’aulète jouit d’une mauvaise considération au sein de la cité et véhicule un certain nombre de clichés quant à ses mœurs et son mode de vie. Il est également fréquemment déprécié au sein des textes de théâtre (les comédies particulièrement), pour un effet de dérision comique. Cependant, sans sa présence, la représentation ne peut avoir lieu : il est indispensable à la tenue du spectacle.

Au « temps des auteurs » (XVIème au XIXème siècle), une présence avant tout fonctionnelle et une relégation hors de la scène

Il est difficile de trouver des traces de la place occupée par l’interprète musical dans les spectacles du Moyen-Âge qu’ils soient religieux ou païens. On sait que certains « jeux profanes » sont créés par des compositeurs et destinés à être représentés sous une forme théâtrale/chantée11, mais en ce qui concerne les musiciens dans les représentations

« purement théâtrales », peu de ressources en font état.

Il convient donc de faire un saut chronologique jusqu’au XVIème siècle, le début du « temps des auteurs12 », pour retrouver la trace de l’interprète musical convoqué au sein

de la représentation théâtrale. Deena Kaye et James LeBrecht, dans leur ouvrage Sound of

Music for the Theatre13, exposent dans le premier chapitre (« Evolution of Sound

10 Ibid., p.31-32.

11« Le plus célèbre est d’un enfant du pays d’Artois, Adam de la Halle […] et s’intitule : “Le jeu de la

feuillée”, donné à Arras […] en 1262. C’est une sorte de Revue de Chansonniers, vive caricature de la haute et moyenne bourgeoisie de la ville. […] Sans rapport avec “La Feuillée” mais du même auteur : “Le Jeu de Robin et Marion”, représenté en 1283 à Naples […]. Texte (en octosyllabes) et musique d’Adam de la Halle. On a dit qu’il s’agissait du premier opéra-comique français » (Degaine, p. 85).

12 « Le théâtre devient un genre littéraire. Le texte est tout. […] A noter que le théâtre médiéval français se

fracasse sur la Renaissance dès 1548. Alors que l’anglais, la digérant, s’épanouira dans le Théâtre Élisabéthain. Et l’espagnol de même dans le Siècle d’Or. C’est seulement par la suite que toute l’Europe, convertie à la scène “à l’italienne”, connaîtra le théâtre bourgeois à peu près semblable partout. » (Degaine, p.106).

(21)

Design ») une rapide chronologie de l’emploi de la musique au théâtre avant l’apparition des technologies sonores, et celle de la fonction de concepteur sonore. Ainsi, selon eux, la

Commedia dell’arte accorde beaucoup d’importance à la présence de musiciens qui

permettent de magnifier les effets comiques tels les coups portés d’un personnage à un autre ou les chutes (« It also applied sound effects to the actions, the most recognized being the supplemental sound of the slapstick to heighten the farcical impact of physical blows14 »). Dans le théâtre Élisabéthain, les musiciens sont tout aussi indispensables :

selon les instruments utilisés, leur nombre, leur timbre et l’intention donnée aux sons produits, le public peut mesurer l’importance ou le caractère du personnage qui entre en scène :

Most Elizabethan plays included numerous indications for various fanfares and musical calls to accompany a character’s approach. The fanfare helps the audience to sense a character’s importance. It often has a dramatic effect far greater than that of helping create an air of dignity. “The sennet or a flourish” was used if he was royalty, a tucket if he was a gentleman, and perhaps the notes of a post horn if he brought an urgent dispatch.” Stage directions in early prompt books sometimes described the tone of the music, calling for composers to make the “recorders doleful,” “the bells strange and solemn,” or “the pipes sweet”.15

Au-delà de la musique d’ambiance, de transition ou de caractérisation de personnages, Kaye et LeBrecht précisent que la plupart des pièces de théâtre élisabéthain requièrent également une multitude de bruitages et d’effets sonores, nécessaires à la réalisation des effets prévus au sein de la représentation. Pour remplir toutes ces fonctions sonores dramatiques, l’emploi de musiciens professionnels est nécessaire et l’effectif instrumental est relativement semblable dans la plupart des pièces : « Production books indicate that many musicians were hired for Elizabethan plays. Other than the obligatory trumpeter, there would always be a drummer, and possibly a consort of recorders and viols. If the playwright wanted a broader variety of music, he could hire additional musicians.16 ».

14 Ibid., Chapter 1: “The Evolution of Sound Design” (NA: pas de numéros de pages dans la version en

ligne)

15 Idem. 16 Idem.

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Cependant, ces effets sonores ne sont pas l’apanage des musiciens de profession: des amateurs ou des professionnels d’autres métiers sont convoqués pour donner une « couleur locale » à la production :

For the animal sounds and birdcalls, a talented imitator was usually hired to create these sounds with or without the aid of whistles or pipes. For sounds indicated by the script, sailors with a silver ship’s bell, hunters with packs of baying hounds, and soldiers with their own arsenals were hired per performance to supply authentic noises on cue.17

Ainsi, les musiciens semblent toujours indispensables à la réussite du spectacle. Mais ils sont relégués hors de la scène et le corps du musicien n’est pas mis à contribution. Si sa présence est essentielle, c’est pour sa seule fonction musicale.

Par la suite, les interprètes musicaux utilisés sont ceux de l’orchestre, qui interprètent les musiques de scène composées spécifiquement pour les pièces, comme L’Arlésienne de Bizet pour la pièce éponyme d’Alphonse Daudet en 1872, ou présentes au sein de pièces de théâtre, par exemple les œuvres de Lully pour les comédies-ballets de Molière. Dans le premier cas, le musicien est toujours hors de la scène (dans la fosse d’orchestre), alors que dans le deuxième, il peut intervenir au sein de la représentation (par exemple pour la

Marche pour la cérémonie des Turcs où musiciens et danseurs sont convoqués sur scène

pour accompagner l’arrivée de Cléonte déguisé en Grand Turc). Enfin, à l’arrivée du courant réaliste sur les scènes occidentales, les traditions de bruitages et d’effets sonores hors-scène sont de retour, toujours dans un souci d’immersion et de création d’effet, d’image saisissante : le son se combine aux autres langages scéniques pour créer l’illusion du réel.

Une disparition puis une recrudescence dans les années 80

Avec l’arrivée des technologies de captation et de diffusion sonore, le musicien se fait plus rare sur les scènes théâtrales occidentales. À partir des années 30, les dispositifs technologiques deviennent accessibles (« The use of prerecorded sound effects was limited until the mid1930s, when sound effects recordings for the stage became really

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available »18), puis se généralisent dans les années 1950 pour évoluer de plus en plus au

fur et à mesure des recherches techniques (enregistrements, diffusion, et plus tard logiciels de montage sonore…). Mais le début du XXème siècle étant aussi la période des explorations artistiques, ces avancées technologiques ne relèguent pas complètement le musicien hors de la scène.

L’interprète musical se fait alors plus rare au sein des représentations scéniques, sauf dans certains cas particuliers : par exemple, les années 60-70, caractérisées par des expérimentations formelles et la remise en cause de la représentation traditionnelle dans un but politique, voient un regain de présence du musicien sur la scène. C’est le cas en Allemagne à la fin des années 60, avec par exemple Fassbinder. Selon Stéphane Hervé, à l’époque de l’Antiteater münichois, les artistes de scène s’attachent à la désacralisation de la scène théâtrale. Ainsi chez Fassbinder, faire interpréter la musique de scène par des musiciens est un parti-pris politique. Dans The Beggar’s opera de John Gay, une formation rock est présente sur scène :

La version de l’histoire de Mecki et de Polly proposée par Fassbinder s’approprie l’énergie sacrilège de cette nouvelle musique populaire, le rock. Mecki devient un genre de hippie qui se refuse à travailler, à participer au système capitaliste, et qui ne désire que jouer au flipper. La musique jouée live va de pair avec cette révolte existentielle (bien que, chez Fassbinder, Mecki se caractérise avant tout par son apathie) et introduit sur la scène théâtrale, contaminée par les « arts de masse » de l’industrie culturelle, « une jouissance » propre au rock, « à forte teneur physique, immédiate », pour reprendre les termes de Roger Pouivet, jouissance qui s’oppose à la production progressive du sens.19

Plus tard, le compositeur et metteur en scène Heiner Goebbels, moins dans une visée politique qu’avec l’envie d’expérimenter le travail scénique de l’interprète musical au théâtre, lui donne une place de choix dans ses « concerts scéniques ». Dans Die Befreiung

des Prometheus (1993), c’est sur les interprètes musicaux que repose toute la dramaturgie

de l’œuvre. Pour David Marron, il s’agit d’une tentative pour Goebbels d’« explorer la

18Idem.

19 Stéphane Hervé, « Des Beatles à Lucia di Lammermoor et Zarah Leander : la musique de scène chez

Fassbinder », dans Florence FIX, Pascal LECROART et Frédérique TOUDOIRE-SURLAPIERRE [dir.],

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mise en scène et en lumière des instrumentistes ainsi que d’éventuels acteurs20 ». On est

bien dans une création théâtrale, portée par les musiciens.

Enfin, sur les scènes contemporaines, l’utilisation de l’interprète musical sur la scène se généralise dans un certain nombre de productions, pour remplir, selon les créations, des fonctions d’accompagnant ou d’autres plus originales. Nous en reparlerons plus en détail dans le Chapitre 2, qui tâchera de proposer une typologie de l’interprète musical dans les arts de la scène.

1.2.2 En musique : des « mises en espace » aux expérimentations corporelles de l’instrumentiste

Des interprètes spatialisés : la mise en scène du concert

Au XIXème siècle, plusieurs compositeurs de musique savante emploient des procédés de spatialisation des sources sonores, afin de créer des effets divers et impressionnants. Le musicologue Michele Girardi nous donne l’exemple21 de Giuseppe Verdi qui dans le

« Tuba Mirum » de son Requiem (1874) choisit d’évoquer les trompettes de l’apocalypse au moyen d’un effet dramatique et surprenant en faisant se répondre quatre trompettes placées au sein de l’orchestre et quatre autres hors de l’espace scénique. Dans la version qu’en a donné l’orchestre du Teatro Alla Scalla en 2012, les trompettistes « hors-scène » sont placés dans des sections des balcons de l’opéra, au milieu des spectateurs, comme des messagers divins. Dans les œuvres qui se rapportent au genre des « musiques à programme22 », ces effets de spectacularisation sont monnaie courante. Ainsi, Berlioz,

plus tôt, a également exploité le procédé du « hors-scène » de l’interprète, notamment dans le 3ème mouvement de sa Symphonie Fantastique « Scène aux champs » (1830), qui

20 David Marron, « Die Befreiung des Prometheus de Heiner Goebbels ou les métamorphoses d’une pièce

radiophonique en concert scénique », dans Florence FIX, Pascal LECROART et Frédérique TOUDOIRE-SURLAPIERRE [dir.], Musique de scène, Musique en scène, Paris, Orizons (Collection Comparaisons), 2012, p. 119.

21 Michele Girardi, « « Et vive la musique qui nous tombe du ciel! ». L’espace sensible sur la scène du

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met en scène un dialogue chanté entre deux bergers, représentés par le cor anglais et le hautbois. Pour symboliser l’éloignement, la distance entre les deux pâtres, le hautboïste est envoyé en coulisse, tandis que le cor anglais reste sur place. Au XXème siècle, ce procédé théâtralisant est toujours exploité, comme par exemple chez Gustav Holst dans le dernier mouvement des Planètes « Neptune, le mystique » (1914-1916) au sein duquel un chœur de femmes, situé en coulisse (ou dans une pièce attenante avec la porte entrouverte qui serait fermée doucement au fur et à mesure que la pièce s’achève comme l’avait envisagé Holst), fredonne une mélodie mystique en bouche fermée. Cette mise en espace du mouvement final parachève la dimension fantastique qui imprègne l’ensemble de l’œuvre et provoque la confusion chez le spectateur, qui ne peut identifier d’où viennent ces voix enveloppantes et irréelles, et se retrouve plongé dans l’infini.

Ici, l’interprète n’est certes pas invité à « jouer » ou ne revêt pas particulièrement de caractère théâtral, mais son extradition de la masse orchestrale et de la scène, lieu absolu du concert, fait de lui l’objet d’une « mise en scène » de la pièce musicale.

Faire « jouer » l’interprète : un procédé ancien

Les expérimentations de théâtralisation de l’interprète musical ne se cantonnent pas à la spatialisation de ce dernier. Si les exemples de théâtralisation de l’interprète sont assez rares au cours de l’histoire de la musique occidentale, on trouve quelques exemples de mise en scène des interprètes en dehors du genre opératique, en l’occurrence à l’époque baroque : selon le musicologue Joël Heuillon, de premières ébauches de théâtre musical ont lieu vers le XVIème siècle en Italie23 avec des œuvres chorales mobilisant des effets

d’immersion du public (disposition des chœurs), des échanges entre les interprètes pour provoquer une dynamique de question-réponse ou encore des décors en trompe-l’œil. Selon le chercheur, ces démonstrations de spectacularité avaient le plus souvent pour but d’impressionner des édiles politiques ou religieux de passage. Heuillon nous donne comme exemple l’Ecce Beatam Lucem d’Alessandro Striggio dont la représentation en

23 Joël Heuillon, « Mise en scène de l’espace dans les expériences de spectacularisation de la musique à

l’aube du premier baroque », dans Héloïse Demoz, Giordano Ferrari et Alejandro Reyna [dir.], L’Espace

sensible de la dramaturgie musicale, Paris, L’Harmattan (Collection « Arts 8 – Compositions »), 2018,

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1561 vise à impressionner des émissaires pontificaux : « C’était une œuvre à quarante voix, avec des chanteurs et des instrumentistes masqués et costumés qui, disposés en cinq chœurs, descendaient « du ciel » sur des nuages mécaniques pour illustrer la vision céleste du texte24 ». Dans cet exemple, la composition implique une véritable mise en

scène qui va au-delà de la simple mise en place : des procédés spectaculaires sont utilisés et les interprètes qui forment la masse chorale deviennent malgré eux les personnages d’une scène biblique. On est dans la période qui précède l’invention de l’opéra, genre musical qui constituera pendant quelques temps l’unique exemple d’incursion théâtrale dans l’interprétation musicale.

Les prémices du théâtre musical et instrumental : vers une mise en jeu de l’interprète

Au début du XXème siècle, le carcan de la tonalité est brisé, et de nouvelles formes sont expérimentées par les compositeurs occidentaux. L’interprète va être à nouveau mis à contribution dans une perspective théâtrale, en dehors de l’opéra. Sophie Galaise, dans son article « Le Théâtre musical au Québec25 », tente de retracer l’historique du théâtral

musical et instrumental qui apparaitra à partir des années 60 et 70 (et dont on parlera dans la partie suivante). En suivant les recherches des spécialistes de cette période, elle pointe deux œuvres comme étant instigatrices de ce qui constituera ce futur genre hybridant : le

Pierrot Lunaire de Schönberg (1912) et L’Histoire du Soldat de Stravinsky (1918). Si

l’Histoire du Soldat fait cohabiter comédiens et musiciens, et n’implique donc pas la théâtralisation de l’interprète musical, le Pierrot Lunaire quant à lui est bel et bien un exemple d’un début de mise en jeu de l’interprète.

Œuvre écrite pour un chanteur ou une chanteuse26 et cinq instrumentistes, le livret

s’appuie sur sept des vingt-et-un poèmes de la traduction allemande par Otto Erich Hartleben (1893) de Pierrot lunaire du poète belge Albert Giraud (1884). La technique vocale du Sprechgesang (parlé-chanté) employée par l’interprète lui confère une dimension théâtrale : si cette technique est déjà présente à l’opéra, ici elle ne se présente

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pas sous la forme d’une alternance entre parole et chant, mais dans une fusion de ces deux modes d’énonciation. La partition de l’interprète vocal indique le rythme et les hauteurs de notes à atteindre en Sprechgesang au moyen de la notation musicale traditionnelle. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’œuvre en question est une commande passée à Schoenberg par une comédienne, Albertine Zehme, ce qui pourrait donc expliquer l’emploi du Sprechgesang. Dans la note de programme rédigée pour une représentation du Pierrot à l’Opéra de Lille en 2007, François Deppe nous éclaire sur les origines et la construction de la partie vocale de l’œuvre :

[…] Schönberg ne voulait en aucun cas que la « diseuse » ne chante, sauf aux endroits – rares – clairement précisés dans la partition. Albertine Zehme, diseuse de mélodrame au cabaret Überbrettl où Schönberg arrondissait ses fins de mois à Berlin, et qui lui avait commandé l’objet, aurait été proprement incapable de chanter les intervalles démoniaques de la ligne de voix de la partition. En témoignent ces lignes du 23 juillet 1949 écrites pour une exécution en Hollande par une nouvelle interprète : “Je veux seulement insister sur le fait qu’aucun des poèmes n’est destiné à être chanté, mais qu’ils doivent être parlés sans hauteurs de sons fixes”.27

L’analyse de la composition ne sera pas abordée plus en détail ici, mais on peut constater que par rapport à une organisation musicale stricte, basée sur la numérologie et le travail sur les formes musicales traditionnelles (rondo, sonate, etc.), la forme de représentation reste quant à elle assez libre. On a vu que cette pièce émanait d’influences théâtrales dans la mesure où elle a été écrite pour une comédienne et que le mode d’interprétation vocale incitait lui aussi à la théâtralisation. Par son interprète originelle et sa forme, elle est donc aussi intrinsèquement liée au genre du cabaret, et Boulez qualifie d’ailleurs la pièce de « cabaret supérieur ».

Ainsi, parmi les différentes interprétations de l’œuvre, on trouve des versions qui font l’objet d’une incursion théâtrale plus ou moins présente : par exemple, la version du Chicago Symphony Orchestra (2012)28 ne relève pas d’une mise en scène particulière. La

chanteuse Kiera Duffy a son espace dédié duquel elle ne bouge pas et elle n’interagit pas

27 François Deppe, « Cabaret que me veux-tu ? », dans « Opéra de Lille - Les Concerts du Mercredi : Cycle

Ictus - Pierrot Lunaire - Programme » [en ligne], Lille, Opéra de Lille, 2007, f.2. https://www.opera-lille.fr/fichier/o_media/8821/media_fichier_fr_cdm0512.pdf [Article consulté le 5 avril 2020].

28 Arnold Schönberg, Pierrot Lunaire (1912), interprété par Kiera Duffy et le Chicago Symphony

Orchestra, dirigé par Cristian Macelaru, Chicago, 2012, [en ligne]. https://www.youtube.com/watch?v=bd2 cBUJmDr8&t=1816s [Vidéo consultée le 14 novembre 2017].

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avec les musiciens placés à quelques mètres d’elle sur la scène. Malgré un investissement corporel inhérent à sa pratique lyrique, elle n’effectue pas d’actions ni ne « joue » des personnages. La chanteuse ne porte pas de costume, la scène est nue et aucun accessoire n’est mis en jeu : on est donc ici plus proche du récital. À l’inverse, la version de l’Ensemble Intercontemporain (2001)29 fait l’objet d’un traitement scénique très

complexe et élaboré : l’ensemble de la représentation semble se dérouler derrière une cage et la chanteuse se transforme progressivement en Pierrot en enfilant maquillage, perruque et costume tout au long de sa performance. On peut également noter que la version du Balcon (2013)30 fait l’objet d’un véritable travail de mise en scène et de

conception vidéo : ici, un Pierrot-clown inquiétant maculé de peinture phosphorescente (interprété par un homme, le ténor Damien Bigourdan) vient interagir avec toutes les composantes de la représentation (écrans, espace, musiciens) afin de construire une succession d’images cauchemardesques.

1.2.3 Le théâtre instrumental : l’interprète musical pierre angulaire d’un genre musico-théâtral

Distinction entre théâtre musical et théâtre instrumental

Dans l’article cité précédemment, Sophie Galaise expose également la nuance entre théâtre musical et théâtre instrumental :

La tendance sera grande, au point de voir par la suite et surtout depuis 1970 des éléments “théâtraux” dans les œuvres de la majorité des compositeurs. Le principal élément introduit sera, sans l’ombre d’un doute, le « jeu du comédien » qu’on impose à l’interprète devenu acteur et dont tous les gestes et expressions sont réglés. […] De manière plus précise, on voit deux grandes tendances se dessiner. La première correspond à ce que les Anglais appellent le music theatre, le « théâtre musical », qui présente une forme renouvelée d’opéra de chambre. Les renouvellements s’effectuent plus particulièrement dans la forme, la signification du texte et l’interprétation vocale et instrumentale. […] La deuxième porte l’étiquette

29 Ibid., interprété par Anja Silja et l’Ensemble Intercontemporain, dirigé par Pierre Boulez, Paris, 2001, [en

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d’instrumental theatre, le “théâtre instrumental”. La théâtralité du geste dans l’interprétation instrumentale en est la caractéristique principale. […]31

Ainsi, au vu de l’orientation de la présente recherche, c’est la deuxième forme qui nous intéressera le plus, dans la mesure où on s’intéresse ici plus particulièrement à la manière dont l’interprète est théâtralisé, et non la forme dans laquelle il s’inscrit. Les parties suivantes passeront en revue plusieurs exemples se réclamant de la notion de « théâtre instrumental ».

Compositions pour interprète musical « acteur »

Un certain nombre de compositeurs de la seconde moitié du XXème siècle se commettent dans ce nouveau genre de « théâtre instrumental ». Il ne s’agit pas ici d’en faire l’inventaire, mais de cibler quelques œuvres qui en sont des exemples tangibles. On peut en premier lieu constater que ce sont dans un premier temps les interprètes vocaux qui font l’objet d’expérimentations théâtralisantes : peut-être car les artistes lyriques, habitués à l’opéra et ayant donc déjà une approche du jeu théâtral seront plus enclins et à l’aise à l’idée de proposer des récitals plus « dramatiques »?

Prenons par exemple Stripsody de Cathy Berberian : cette œuvre qui utilise la technique de la partition graphique est, selon sa créatrice, « […] un collage des onomatopées que l’on trouve dans les bandes dessinées. Par exemple, le mot « crac » indique quelque chose qui se casse. Stripsody est donc un collage dans lequel on a introduit des scènes.32 ». Ce collage est découpé en scènes, qui dépeignent plusieurs situations (une

scène policière, une bagarre entre chiens et chats, une jeune pin-up qui écoute la radio, ...). Au lieu d’une partition, c’est donc une véritable bande dessinée qui est utilisée comme support d’interprétation. Pour transposer cet aspect graphique à l’action, Berberian utilise à la fois sa voix, mais aussi son corps et ses expressions faciales : elle mime les actions liées aux onomatopées (le coup de pistolet, la fusée qui décolle, les ronflements…), et incarne différents personnages qui surgissent au sein de l’œuvre (le

31 Sophie Galaise, « Le Théâtre Musical au Québec « dans L’Annuaire théâtral, n° 25 (1999), p. 64. 32 Fresques ina.fr, « Cathy Berberian interprète Stripsody », dans En Scènes – Le Spectacle vivant en vidéo

[en ligne]. https://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes01039/cathy-berberian-interprete-stripsody.html [Vidéo consultée le 6 avril 2020].

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détective, la pin-up « with naturally curly hair », le cow boy, Superman, etc…). Il est également intéressant de constater qu’elle utilise la gestuelle pour marquer le début et la fin de chaque scène, en joignant ses mains sur le côté pour figurer des « guillemets ». Chez Georges Aperghis, une des figures phare du théâtre instrumental (même s’il ne se revendique d’aucune forme ou tendance musicale particulière), on retrouve également beaucoup d’exemples de théâtralisation de l’interprète vocal. Dans ses Récitations, œuvre constituée de quatorze pièces pour voix de femme seule, certaines indications d’interprétation données à la chanteuse sont semblables à des indications théâtrales de ton. D’ailleurs, selon certains musicologues, les quatorze pièces sont supposées dresser des « portraits de femmes » (selon les termes de Vincent Loizeau) et incitent donc l’interprète à proposer des ébauches plus ou moins poussées de personnages pour chaque pièce. Par exemple, dans la Récitation 11, la soprano Bénédicte Davin33 adjoint au Sprechgesang répétitif et accumulatif le geste, le mouvement, et de ce fait crée un

personnage quelque peu inquiétant, suggérant le trouble obsessionnel compulsif ou la rigueur extrême. Une autre pièce de ce dernier est encore plus représentative du travail de théâtralisation de l’interprète musical : 7 Crimes de l’Amour. En effet, l’annonce de l’effectif instrumental (« pour une chanteuse, un clarinettiste et un percussionniste34 »)

peut être assimilée à l’annonce des personnages au début d’une pièce de théâtre. Aperghis, en mentionnant le genre souhaité pour chaque interprète, montre la volonté d’instaurer une situation dramatique qui requiert une distribution précise. Les interprètes sont donc d’ores et déjà envisagés comme des acteurs, et non seulement comme exclusivement musiciens.

En outre, cette œuvre divisée en sept sections (telles des scènes de théâtre?) comporte un certain nombre d’indications autres que musicales : de mouvement, de placement (sous forme de mots ou de croquis), d’intentions ou des renseignements sur la situation dramatique ou l’état d’esprit des personnages. Par exemple, une de ces didascalies introduit la première séquence comme telle : « Tous les trois comme après la fin d’un

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long interrogatoire, serrés côte à côte, assis face au public, le regard hagard. »35. Ainsi,

Aperghis est non seulement compositeur, mais également metteur en scène de la pièce (pour la première représentation de l’œuvre, il est d’ailleurs crédité comme tel) et il propose un canevas scénique aux interprètes qui induit des images comiques (le moment où la chanteuse croque une pomme de manière chorégraphiée dans la séquence 4), érotiques (« La chanteuse est couchée sur les genoux des deux instrumentistes. Elle tient contre sa bouche un tube de clarinette vertical.36 ») ou violentes (« Le clarinettiste

applique la clarinette sur la gorge de la chanteuse. Le percussionniste joue sur la plante des pieds de la chanteuse37 »). Pour réaliser ces images cocasses et dérangeantes, le corps

des interprètes est mis à l’épreuve et il leur est laissé la liberté de composer leur personnage comme ils l’entendent. Par exemple, dans la version du Neue Ensemble et de Sarah Maria Sun38, les costumes choisis pour les deux hommes (un en costume, l’autre en

camisole et jeans) renvoie au classique trio femme-mari-amant.

Mauricio Kagel : le geste musical théâtralisé

Pour parachever la notion de théâtre instrumental, nous terminerons avec un bref retour sur le travail du compositeur Mauricio Kagel. L’incursion théâtrale dans ses œuvres musicale est très prégnante et met à l’épreuve les interprètes forcés de sortir de leur zone de confort pour participer à la création d’images sonores et gestuelles tantôt cocasses (comme par exemple l’apparition des fantômes de Brahms et Haendel à la fin de la

Variation sans fugue), tantôt inquiétantes. L’œuvre de Kagel se caractérise par son travail

sur le geste, l’acte de « jouer », tout autant sous le sens de l’interprétation que celle du « jeu » ludique.

Ainsi, on peut prendre pour exemple Finale (1981), pièce instrumentale dans laquelle le chef d’orchestre doit, dans les dernières mesures de la pièce, feindre une crise cardiaque puis s’effondrer au sol, devant la surprise (feinte) des musiciens de l’orchestre et celle

35 ibid., p.3. 36 ibid., p.5. 37 idem.

38Georges Aperghis, 7 crimes de l’Amour (1979), interprété par Sarah Maria Sun et Das Neue Ensemble,

Hannover, 2013 [en ligne]. https://www.youtube.com/watch?v=aZ48kO_LiRs [Vidéo consultée le 29 mars 2020].

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(non-feinte) des spectateurs (à moins qu’ils ne connaissent l’œuvre). Ici, Kagel demande donc au chef d’orchestre et aux musiciens non seulement de « jouer » de leur instrument, mais aussi de « jouer » la comédie, « jouer le jeu », ce qui montre l’englobement de la dimension théâtrale dans son procédé de composition. Kagel met l’interprète à profit, et non seulement en sa qualité d’exécutant sonore. Il dit d’ailleurs à propos d’une autre pièce « Je n’ose pas dire que mon Étude pourrait avoir cette popularité auprès des musiciens. En tout cas, elle est écrite pour eux, et pas seulement pour leurs instruments39 ».

Cette prise de parti est particulièrement visible dans la pièce Pas de Cinq (1965), écrite pour cinq percussionnistes (la pièce peut également être interprétée par des acteurs). Dans cette pièce, le langage musical est remplacé dans la partition par des actions (sonores ou non) et des mouvements définis par le compositeur, devant être effectués de façon stricte. Ainsi, si le canevas est là, l’interprétation et la « mise en scène » restent libres et poussent les musiciens à prendre possession de l’œuvre de manière créative et à se l’approprier. Des situations dramatiques émergeant dans des mouvements donnés (conflits, rencontres, relations de pouvoir…), il est intéressant de constater ce que différents ensembles peuvent y voir et interpréter. Par exemple, dans la version de l’Ensemble Intercontemporain40, les marqueurs de personnages sont évidents et travaillés (un roi

portant une couronne, une vieille femme à chapeau fleuri...). On peut y percevoir plusieurs situations dramatiques qui restent toutefois assez ouvertes et libres de sens pour le spectateur.

Ainsi, l’œuvre de Kagel est intéressante en ce sens, car elle n’est pas destinée à être seulement écoutée : elle est destinée à des spectateurs, et non des auditeurs. L’instrumentiste, son corps, ses gestes sont donc tout aussi au service de l’œuvre que le son produit par son instrument et sa manière de l’interpréter : sa présence et le constat de sa présence sont indispensables pour permettre à l’œuvre d’être complète.

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Conclusion du Chapitre 1

La question de l’interprète musical dans les arts de la scène ne peut être comprise sans avoir étudié l’historique des interinfluences entre musique et théâtre. Nous avons vu ici que c’est l’interprète, le musicien, qui est au centre de ces relations interdisciplinaires : indispensable au théâtre occidental pendant une grande partie de son histoire, on voit cependant qu’il est toujours mis à l’écart du reste de la représentation, souvent pour créer et maintenir l’illusion théâtrale. Dans les travaux de Malika Bastin-Hammou à propos de la figure de l’aulète dans le théâtre antique, le musicien (ici l’aulète) est indispensable sur scène, mais mis à l’écart de la société en raison de ses supposées mœurs légères. On voit d’ores et déjà que si le musicien a été une condition sine qua non de la réalisation du spectacle, il n’a pourtant pas été élevé au même rang que les autres composantes vivantes de la représentation scéniquement parlant et est resté réduit à sa fonction première d’accompagnement et de création d’ambiance. Après sa disparition de la scène, il est finalement revenu par désir de certains metteurs en scène d’exploiter sa présence au-delà de sa fonction primaire d’accompagnateur et de soutien de la représentation.

En musique, si des expérimentations sont menées avec l’interprète musical, il faudra attendre le XXème siècle pour avoir une ébauche de création proposant une théâtralisation du musicien, surtout en ce qui concerne les artistes lyriques, plus enclins à « jouer » en raison de leurs performances fréquentes dans des œuvres opératiques.

Finalement, le théâtre instrumental est peut-être la forme qui propose réellement au musicien de sortir de son rôle primaire d’instrumentiste, ce que l’on peut voir particulièrement avec les œuvres d’Aperghis ou de Kagel : les musiciens sont en mesure d’ajouter une autre dimension à celle de l’interprétation musicale, celle du « jeu » à la fois théâtral et ludique, sans être cependant comédiens. Dans le chapitre suivant, nous verrons quelles sont les postures principales adoptées par les interprètes musicaux au sein de créations spectaculaires non-musicales. La dimension accompagnante, dominante pendant la majorité de l’histoire du théâtre, reste-t-elle bien ancrée ? Ou au contraire, le musicien est-il finalement amené à « jouer » un peu plus avec les comédiens avec qui il

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partage la scène ? Le chapitre 2 permettra de distinguer les grandes tendances quant au rôle adopté par l’interprète musical et tentera d’en proposer une typologie sommaire.

Figure

Tableau 1 Grille d'analyse complétée
Tableau 2 Tableau récapitulatif des postures  Musicien
Tableau 3 Étapes du travail de création
Tableau 4 Description des trois formes musicales (rondo, Lied, sonate)
+5

Références

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