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CHAPITRE 4 Projet Pluie – Création théâtrale incluant un interprète musical

4.1 Description et déroulement

4.1.1 Espace

Image 9 Espace scénique de Projet Pluie (Crédits: Natalia Soldera)

Projet Pluie a pris place dans le Studio 2 du LANTISS, studio d’une taille moyenne77, qui

convenait pour pouvoir recréer l’ambiance voulue pour la création, en l’occurrence un appartement exigu, en désordre, surchargé d’objets de toutes sortes (vêtements,

ustensiles…). L’espace scénographique a été conçu dans la continuité de la version préliminaire présenté au mois de mai : un lit côté jardin, à l’avant-scène, une grande table côté cour avec deux chaises face-à-face pour pouvoir créer deux « territoires » distincts, celui du Musicien et celui de la Femme. Les deux côtés de la table sont couverts d’objets hétéroclites qui seront détaillés par la suite. Devant de la table, au côté jardin, se trouve un amoncellement de vêtements et de tissus.

De nouveaux éléments ont été intégrés par la suite, comme par exemple une plaque de plexiglas figurant une fenêtre, suspendue au plafond et séparant en deux la table à manger, permettant l’introduction d’un autre niveau de réalité dans lequel évoluerait le Musicien (la Femme regarde par la fenêtre, sans le voir, mais il est bel et bien présent). En arrière du plateau, deux plaques de plexiglas ont été accrochées côte-à-côte au plafond côté jardin (afin de permettre un montage de la scie musicale en jeu d’ombre en arrière), à côté d’un miroir sans tain, lui aussi accroché au plafond et disposé au centre. À sa droite, une penderie remplie de vêtements est venue prendre place. Tous ces éléments ont permis de créer un espace réservé au Musicien en fond de scène. Toujours dans la volonté de créer un niveau de réalité propre au Musicien, cet espace se trouve comme « en arrière du miroir » et il est accessible en écartant les vêtements de la penderie, comme en ouvrant une porte. En arrière du miroir se trouve une petite commode, sur laquelle sera posée la scie musicale du Musicien. Du côté du plateau, une autre petite commode est placée en face, en symétrie, sur laquelle sont disposés une lampe et quelques accessoires appartenant à la Femme.

La table, épicentre de la construction de la relation Femme/Musicien

La table à manger est un élément essentiel à considérer : en effet, c’est autour d’elle que se déroulent la majorité des actions, et c’est aussi à cet endroit que se construit la relation entre la Femme et le Musicien, et ce notamment dans la manipulation des objets qui y sont présents.

Tableau 8 Correspondances des objets dans Projet Pluie

Femme Musicien

Assiette avec une meringue imbibée de vin rouge PUIS bol et paquet de céréales PUIS assiette de meringue

imbibée de vin rouge

Bol rempli d’eau et piano-jouet

Bouteille de vin rouge PUIS bouteille de mousseux PUIS bouteille de vin

rouge

Bouteille de jus de fruits

Verre Verre

Ustensiles Baguette de percussion et baguettes asiatiques Couteau tranchant Plumeau (jusqu’à la partie 1

Image 10 Table à manger: à gauche, le côté de la Femme, à droite, le côté du Musicien (Crédits: Natalia Soldera)

/ Vaporisateur (jusqu’à la partie 1 seulement)

Neutre Four avec minuterie Radio

Éclairages

On retrouve deux catégories de dispositif d’éclairage : les projecteurs et les lumières ponctuelles. Trois lampes disposées dans l’espace de jeu78 constituent ces lumières

ponctuelles et leur allumage/fermeture est utilisé pour stimuler une action ou un déplacement. Quant aux projecteurs, ils sont là pour créer une ambiance tamisée, sombre, qui vient renforcer l’effet d’étrangeté inhérent à la création. Ils sont également présents pour renforcer l’effet de symétrie, en éclairant les deux côtés opposés de la table ou en faisant apparaître et disparaître le Musicien derrière le miroir. Les éclairages sont également présents pour travailler des jeux d’ombre et ainsi renforcer la dimension non réaliste de l’ensemble en créant toute une série d’images (par exemple lors du montage de la scie musicale effectuée par le Musicien derrière les plaques de plexiglas, qui grossissent les dimensions de l’instrument, ou la superposition de l’ombre du Musicien dans le cadre de fenêtre sur le mur derrière lui).

Esthétique générale

Il s’agissait de reproduire l’ambiance qui se dégageait de la pièce originale, qui évoque « Une chambre meublée dans Manhattan 8è Avenue Ouest ». Il est suggéré que les personnages de Parle-moi comme la pluie et laisse-moi écouter appartiennent probablement à une classe sociale peu aisée : l’Homme est parti plusieurs jours durant, probablement pour gagner de l’argent, mais s’est tout fait dérober et la Femme s’alimente exclusivement d’eau et de café en poudre. L’espace est supposé représenter cette « chambre meublée » d’un lit, d’une table, d’un miroir et d’un portoir à vêtements, avec une seule fenêtre. Comme évoqué précédemment dans la partie sur l’éclairage, l’espace est relativement sombre, peu éclairé. L’appartement est en désordre et toutes sortes d’objets et de vêtements sont éparpillés çà et là, à terre et sur la table. Il s’agissait de montrer, par l’accumulation d’objets « sans valeur », le passage du temps et son œuvre.

D’ailleurs, on ne saurait situer le cadre temporel de Projet Pluie : j’ai choisi de rester assez floue en termes de cadre spatio-temporel. Les costumes de la Femme et du Musicien, respectivement en robe rose et en costume brun sont en accord avec les tons ternes et passés de l’ensemble. Leur apparence s’inscrit dans une temporalité datée (peut-être les années 50?). C’est le moyen que j’ai choisi afin de signifier que les protagonistes sont figés dans le temps, qu’ils en ont perdu la notion et répètent inlassablement les mêmes actions en boucle, jusqu’à épuisement.

J’ai voulu que l’esthétique d’ensemble s’inscrive dans une dimension réaliste afin que l’étrangeté surgisse avec plus d’ampleur : alors que la scénographie s’inscrit dans le réalisme, plusieurs niveaux de réalité vont être mis en présence, au travers des différents langages.

Dispositif sonore et traitement du son

Toujours dans cette volonté d’introduire plusieurs niveaux de réalité pour un effet d’étrangeté, plusieurs éléments sonores ont été mis en place.

La première idée de conception sonore est le maintien d’une idée déjà utilisée depuis le début du travail de création, il s’agit de l’utilisation de la station d’effets (ou « station de

composition a évolué : il ne s’agit plus d’illustrer de manière exhaustive les sons et bruits évoqués dans la didascalie de Parle-moi comme la pluie…et laisse-moi écouter, mais d’en garder certains et de complexifier un peu plus l’ensemble. Ainsi, certaines correspondances issues de la didascalie79, jugées intéressantes, ont été conservées et des idées originales ont

été ajoutées à l’ensemble, comme par exemple le cliquetis de minuteur préenregistré et mi en boucle en pré-set, puis de nouveau enregistré. La superposition de ces deux couches donne une idée de « temps détraqué », idée renforcée par les coups de baguette donnés sur le bol dont le son s’apparente plus à une sonnerie d’horloge ou un glas.

En outre, nous voulions brouiller les perceptions du spectateur et l’immerger dans l’univers particulier de Projet Pluie grâce à l’emploi de certains outils sonores. Par exemple, nous avons conservé les micros-contact placés sous la table, afin de créer un effet de « surdimension » du bruit produit par la manipulation des objets. Chacun des micros- contact était relié à une caisse de son spécifique dont l’une était située du côté Musicien et l’autre du côté de la Femme, ce qui crée un effet de spatialisation. Dans la partie 3, un effet de réverbération a été assigné à ces micros-contacts afin d’amener un effet de surprise et de mettre l’accent sur la dramatisation de la séquence en action, plus sombre et violente. En outre, un troisième micro-contact était placé sur la penderie afin de marquer de manière sonore le passage d’un côté et de l’autre du miroir (le Musicien glissant les cintres à vêtements d’un côté et de l’autre comme s’il ouvrait une porte, le rendu sonore donne un aspect métallique, surréel, induit par le glissement des cintres sur la penderie).

En arrière du miroir, pendant la partie 2, le Musicien joue de la scie musicale. A l’initiative d’Antoine, nous avons choisi d’amplifier le son de la scie et de lui appliquer un effet de réverbération progressif afin de provoquer une montée de la tension, et ainsi mettre l’accent sur la dimension non réaliste du passage.

Il est également à noter que deux caisses de son Bluetooth viennent compléter le dispositif technique, et tendent également à appuyer la spatialisation du son en provoquant un certain effet de confusion pour le public qui cherche à connaître l’origine des sons qu’il perçoit. La

première est placée dans le manteau qu’enfile la Femme dans la deuxième partie et elle diffuse deux chansons de Victor Herbert (compositeur évoqué dans la partie fantasmagorique de Parle-moi comme la pluie et laisse-moi écouter) : Kiss me Again et A

Kiss in the Dark80, interprétées par Eleanor Steber. En enfilant le manteau, puis en se

déplaçant, la musique suit la Femme, comme une « pensée sonore », une pensée audible. La deuxième caisse Bluetooth se trouve dans la radio : déclenchée (en apparence) par le Musicien, elle diffuse un son d’ondes brouillées et, une fois placée dans le four, donne une impression de bruit de cuisson. A l’approche de la troisième partie, ce « bruit blanc » glisse progressivement vers une version inversée des deux chansons évoquées précédemment : le fait de passer à l’envers les deux morceaux file l’idée de la boucle et du recommencement, et donne une impression de « déjà-entendu », mais surtout revêt une sonorité inquiétante, irréelle.

Enfin, nous avons évoqué l’utilisation du minuteur précédemment, mais plusieurs sont présents dans l’espace (au nombre de quatre plus précisément). Ces quatre minuteurs constituent une couche de son non-médiatisée, et viennent s’ajouter au processus de spatialisation du son. En effet, ils sont déposés à des endroits stratégiques, plus ou moins mis en évidence81. Démarrés avant le début de la séquence, ils vont cliqueter en continu

pendant toute la durée de celle-ci.

80 Voir l’Annexe J pour consulter les paroles des chansons. Nous les avons choisies premièrement pour la

référence à Victor Herbert, évoqué dans le texte original, pour le contenu des paroles qui évoquent la nostalgie d’un amour perdu, la mélancolie, mais également pour le côté désuet, ancien, de l’enregistrement, de l’interprétation et de l’orchestration.

81 L’un est situé sous le lit, un autre sur la petite table en face du miroir, un autre sur la table du côté du

Musicien (qui va le manipuler à plusieurs reprises) et un dernier, dissimulé sous le siège d’un spectateur choisi avant l’entrée du public.

- Le micro-contact du côté Musicien est diffusé dans la caisse 4, celui du côté de la Femme dans la caisse 3

- La loop est diffusée dans les quatre caisses, pour un effet d’enveloppement

- La scie musicale est diffusée dans les petites caisses 1 et 2, pour rendre possible l’insertion d’un effet de réverbération

4.1.2 Déroulement de la séquence