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La théorie communautaire : un principe fédérateur

Chapitre III. L’émergence des écomusées et des musées de société

2. La genèse écomuséale

2.2. La théorie communautaire : un principe fédérateur

Pour exister, un écomusée doit disposer d’un patrimoine signifiant, d’une population et d’un territoire. Il se présente donc dans un cadre géographique délimité, postule une participation réelle des habitants, favorise les relations dynamiques établies entre l’homme et son milieu et développe la conservation in situ. L’objet a de la valeur pour le sens qu’il représente dans la communauté. Selon Hugues de Varine (1992 : 455), « ces écomusées sont les instruments d’une nouvelle pédagogie de l’environnement, basée sur des “choses” réelles (objets, monuments, sites, cadre naturel) replacées dans le temps et dans l’espace ».

Ces deux notions de temps et de d’espace étaient nécessaires à la création d’un écomusée. Cette dimension spatio-temporelle devait s’établir, comme l’explique Jean Clair, dans une perspective à la fois synchronique et diachronique : « Musée de l’espace et musée du temps, il s’occupe de présenter à la fois les variations de divers lieux en un même temps selon une perspective synchronique, et les variations d’un même lieu à travers les différents temps selon une perspective diachronique. Il faut voir là, dans ce souci d’un double axe temporel, diachronie et synchronie, l’influence, à l’origine de l’écomusée, d’un autre type de musées : les muséums d’histoire naturelle, et particulièrement l’exemple des dioramas du Muséum d’histoire naturelle de New York, évoquant de la manière la plus concrète et la plus précise les divers aspects d’un même lieu à travers la fuite des ans, des siècles et des millénaires » (Clair, 1992 : 437).

Le mouvement écomuséal a constitué en quelque sorte une deuxième vague de musées d’ethnologie. Les écomusées furent expérimentés par les politiques en France entre 1968 et 1971 pour asseoir leur statut d’outil de développement communautaire. En 1971, la notion d’écomusée fut adoptée par le Conseil international des musées.

En mai-juin 1972, à Santiago-du-Chili, une table ronde organisée par l’UNESCO, avec l’aide de l’ICOM, sur le rôle du musée en Amérique latine, instaura le concept de « musée intégral » qui s’approchait de celui d’écomusée61 dans son principe lié à l’environnement social.

61 Selon Hugues de Varine (ibid. : 454), le premier essai de mise en application des principes de Santiago qui

date de 1973-1974 est clairement un écomusée, même si le mot écomusée n’était pas explicitement mentionné. Il s’agit de la Casa del Museo, extension suburbaine du musée national d’Anthropologie de Mexico.

69 Désormais, on considère que l’écomusée est capable de rassembler les membres d’une communauté autour d’un modèle identitaire commun. Georges Henri Rivière et Hugues de Varine essayèrent de transposer ce modèle de « musée intégral » en France pour expérimenter la théorie de l’écomusée communautaire, fondée sur l’initiative citoyenne. Le musée de la communauté urbaine du Creusot-Montceau-les-Mines en fut l’exemple le plus frappant.

Créé en 1973 pour préserver les cultures ouvrières et industrielles locales, ce musée fut un cas unique62 en France parce qu’il bénéficiait d’une réelle participation des acteurs sociaux,

en l’occurrence des ouvriers des usines Schneider63. Hugues de Varine, qui y a expérimenté le

développement communautaire, disait à son sujet qu’il « n’a pas de visiteurs, mais des habitants ».

Selon lui, cette particularité tenait à deux aspects : d’une part, la mission primordiale du musée était passée de l’acquisition d’une collection permanente à celle d’une collection de patrimoine communautaire collectif ; d’autre part le fonctionnement même du musée (conception, programmation, animation) était géré par un conseil d’associations composé de représentants bénévoles d’habitants de la communauté urbaine (Varine-Bohan (de), 1992 : 451). Cette particularité passait pour exemplaire sur le plan international, notamment avec l’installation en 1982 d’un centre de recherche et de formation continue, avec l’Institut Jean- Baptiste-Dumay, regroupant des professionnels du secteur culturel. Des experts du monde entier affluèrent au Creusot pour voir travailler celui que Kenneth Hudson appelait le « Lourdes or Compostella of the museum world » (Gorgus, 2003 : 265).

Le musée du Creusot passe aujourd’hui pour le premier modèle d’application de l’idée d’écomusée en France ; sans doute, explique Nina Gorgus (ibid. : 262), le préfixe « éco » semblait-il renvoyer à l’économie et à l’industrie plutôt qu’à l’écologie, une dimension plus représentative de l’écomusée.

62 Le Creusot est un cas unique en France car il fut créé à l’origine en tant que musée communautaire d’une

association de communes au début des années 1970, en pleine zone industrielle, et ne prit que plus tard le nom d’écomusée dans le but de pouvoir bénéficier de subventions de l’État. Il devait être le musée de l’Homme et de l’Industrie, écomusée de la communauté urbaine Le Creusot-Montceau-les-Mines.

63 Nina Gorgus explique dans son livre Le Magicien des vitrines (2003), consacré à Georges Henri Rivière, que

Le Creusot était connu en France sous le nom de « Schneiderville», en référence à la famille Schneider qui y avait construit depuis les années 1830, sur plusieurs générations, un empire industriel reposant sur l’exploitation des mines (extraction de charbon et sidérurgie) dont la ville porta très tôt la marque.

70 De manière générale, au sein du mouvement qui a donné naissance aux écomusées depuis les années 1970, Hugues de Varine distingue deux tendances.

La première concerne les écomusées tels que les a définis le discours de Robert Poujade de 1971, conformes au modèle initial du musée des Landes, c’est-à-dire étroitement liés à leur environnement naturel immédiat.

La seconde tendance écomuséale s’inscrit dans la lignée de ce qui avait été imaginé dès 1971 au musée du Creusot, « mais selon une formule en constante évolution qui garde un caractère résolument expérimental refusant toute normalisation, justifiant essentiellement la fonction d’instrument du développement communautaire » (Varine-Bohan (de), 1992 : 455). Cette tendance se distingue par son acception du caractère d’émanation et de participation directe de la communauté dans la vie, voire même dans le fonctionnement interne de l’écomusée.

D’autres écomusées sont issus de cette tendance, notamment en Bretagne et dans les Cévennes ; associés à des PNR ; ils avaient généralement une dominante rurale. Grâce à la politique de déconcentration amorcée au milieu des années 1960, favorisant la naissance de structures départementales et régionales ainsi que de villes nouvelles, les écomusées ont progressivement gagné les zones urbaines et préurbaines dans les années 1980, notamment en région parisienne. Ce fut le cas de l’écomusée de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en- Yvelines créé en 1977, de l’écomusée de Fresnes créé en 1979 et ouvert au public en 1980, et

de l’écomusée de La Courneuve-Savigny-le-Temple, créé en 1985 en Seine-Saint-Denis64

.

Il faut rappeler que cette période fut marquée par des bouleversements socioculturels et politiques importants, illustrés par les évènements de mai 1968, qui ont influencé le discours muséal en rejetant les traditions « bourgeoises » et en valorisant la nature et l’environnement plutôt que les collections, notamment à travers la résurgence des cultures traditionnelles et du mythe du retour à la terre. Dans ce sens, l’écomusée fut pensé au début comme un « contre-concept », voire un « anti-musée » (Gorgus, 1999 : 258).

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2.3. Le primat de l’action culturelle

Ce n’est qu’en 1981 que les écomusées furent reconnus par le ministère de la Culture et de la Communication, quand le ministre Jean-Philippe Lecat instaura la Charte des

écomusées qui reconnaissait pour leurs collections des principes d’inaliénabilité et

d’imprescriptibilité.

Cependant, bien qu’ils ressemblent aux musées d’ethnologie dans leur présentation des objets, les écomusées avaient pour mission première d’assumer un rôle social. Il n’était donc plus question de présenter des objets d’autres cultures, soustraits à leur environnement d’origine, mais de donner à voir et à comprendre des cultures purement locales. Le musée ne se contentait plus de retracer l’histoire d’une région par l’objet matériel ; son intérêt passait désormais des collections aux usagers. En musées vivants, les écomusées s’intéressaient à leur environnement immédiat (nature, paysage) et se devaient d’aider les populations à prendre conscience de leur identité (contexte historique et social). C’est le sens que portait la phrase significative lancée par Rivière : « Un écomusée, ce n’est pas un musée comme les autres » (Le Nouenne, 1992 : 494).

La muséographie devint alors de plus en plus importante. Le mouvement écomuséal se voulant communautaire, promouvait l’initiative citoyenne sous l’égide du mouvement « Muséologie nouvelle et expérimentation sociale » et participait à la vie de la société en exposant des thèmes fédérateurs comme l’immigration et le féminisme. Ce fut là un passage du musée ethnologique au musée écologique, et un glissement d’intérêt vers le patrimoine de proximité, l’accent étant mis sur les différents aspects de la vie quotidienne (savoir-faire, traditions...) et sur le côté utile de l’objet.

Les écomusées se voulaient moins élitistes que les musées d’art, et ouverts à un public plus vaste et plus diversifié. Conçus comme musées populaires, ils connurent une effervescence muséologique et muséographique pendant les années 1980, encore avivée au cours de la décennie65 suivante grâce aux mouvements associatifs qui misaient activement sur

le développement de leurs écomusées pour contribuer au développement économique local,

65 Au cours de l’année 1980, la France comptait neuf écomusées, chiffre qui avait triplé en 1986 pour passer à

72 notamment par l’activité touristique. L’action culturelle primait sur la collecte et la gestion des collections. La popularité du concept a concouru même à son adoption à l’étranger. Néanmoins, n’étant pas des musées d’art, les écomusées associaient, au départ, ethnologie, ethnographie et archéologie, ou même préhistoire, à la tradition des « musées-laboratoires », ou « musées de synthèse », un peu touche-à-tout, initiés dès les années 1930.

La vision de James Clifford, rappelée ici par Martine Segalen (2005 : 247), sur la discontinuité entre musées des arts et traditions populaires et écomusées, semble pertinente : « Toutes proportions gardées, la comparaison entre le musée national et les musées de société rappelle les oppositions que James Clifford a proposées entre ce qu’il nomme les majority

museums et les minority museums. Les premiers présentent les plus “beaux” objets, les plus

“authentiques”, les plus “représentatifs” d’une culture. Leur collection constitue le trésor d’une ville, voire d’une nation. Par opposition, les seconds reflètent davantage les luttes, les exclusions et invitent à questionner une histoire linéaire et unifiée en mettant en lumière une histoire locale spécifique qui refuse de se fondre dans une collectivité nationale ».

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