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Chapitre III. L’émergence des écomusées et des musées de société

4. Le contexte de crise des écomusées et des musées de société

4.3. Facteurs liés au statut de l’objet

L’évolution des musées de société implique une évolution de la conception des collections. La problématique des acquisitions se trouve au cœur du débat actuel sur les musées d’ethnologie, compte tenu de l’incohérence qu’on attribue à leurs collections (matérielles et immatérielles) et de l’abondance de leurs réserves, ce qui est supposé affecter leur discours. On reproche à leurs responsables scientifiques un manque de remise en question de l’objet, qui continue à être collecté et conservé en quantités85

considérables sans être placé au centre du débat. La création même de grands projets muséaux met plus l’accent sur les déplacements des objets d’une institution à une autre que sur l’objet lui-même (Prado, 2003). Expliquant cette nuance, l’auteur affirme : « Aucun projet substantiel liant musée et réflexion sur l’objet de musée n’émergea en plus de dix ans, non pas certainement faute de pensée, mais faute de remise en question du statut de l’objet, des choses, comme des hommes, et de leurs métiers » (ibid. : 14-15).

Un autre problème sous-jacent aux critiques de l’objet des musées de société est lié à l’acquisition de l’objet contemporain. Une telle attestation tient à la fragilité de ce genre d’objets tant au niveau symbolique qu’au niveau de l’intégration des collections classiques. Nous y reviendrons avec plus de détails dans la deuxième partie.

85 Patrick Prado (ibid.) oppose cette crise « quantitative » à la crise « qualificative » des musées d’arts premiers

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Conclusion de la première partie

La première partie de la recherche, structurée en trois chapitres, sert d’assise théorique à la compréhension de l’objet ethnographique, à partir des bases scientifiques et épistémologiques de l’ethnologie naissante des années 1930 et de l’influence des courants de la pensée anthropologique. Solidaire à ses débuts de l’entreprise coloniale, orientée ensuite vers la culture nationale, l’ethnologie avait une fonction documentaire et s’est développée autour de deux axes : le terrain et la collecte.

Plus particulièrement, cette partie rappelle le paradigme de la notion d’objet-témoin, son ambiguïté et ses effets réducteurs sur l’objet d’un point de vue muséographique.

Aborder le contexte de naissance des grands musées d’ethnographie parisiens (MET, MNATP et MAAO) était nécessaire à la compréhension du regard porté sur l’objet au sein d’une entité institutionnelle, non dénuée de tentations idéologiques ni de sensibilité aux conjonctures politiques ; de surcroît, le musée représentait pendant l’entre-deux-guerres, un lieu privilégié pour appliquer les préceptes anthropologiques comme pour examiner les champs théoriques de recherche.

Le déclin de ces institutions est tout aussi significatif, dans la mesure où il a coïncidé avec la naissance des écomusées et des musées de société, dans le contexte de l’effervescence patrimoniale des années 1980. Ce contexte a largement contribué au développement de la notion de patrimoine et de « patrimonialisation » en France.

La présente étude a abordé le contexte historique des musées d’ethnologie et des musées de société en lien avec l’objet, sa définition et sa perception. Si l’ethnologie des années 1930 a défini l’objet ethnographique, elle ne l’a pas pensé en tant qu’objet de recherche d’une discipline scientifique, malgré sa démarche positiviste. Sa conviction que l’objet « parle » de lui-même a réduit celui-ci à sa propre matérialité : l’objet n’est que pure matière ou pure fonction, il ne fait qu’illustrer un fait social et culturel et il est seul à pouvoir le faire. Néanmoins, l’insertion des objets dans une problématique d’ensemble est une démarche toujours fonctionnelle propre aux musées à vocation ethnographique, car elle permet d’approcher l’objet dans un contexte socioculturel plus large.

89 Les écomusées et les musées de société ont marqué un tournant déterminant dans la muséologie en France en pointant la dynamique des sociétés modernes et en leur conférant une fonction sociale qui a supplanté l’objet. Cependant, il leur est difficile aujourd’hui de s’affranchir d’une certaine perception négative, nostalgique et passéiste, qui n’a pas fini d’affecter les pratiques qui y ont cours, tout particulièrement en matière de collecte de l’objet contemporain, bien que la muséologie évolutive de Georges Henri Rivière ait déjà inscrit la légitimité d’une ethnologie du monde contemporain. C’est dans ce sens que cette première partie trace le passage de l’évolution des musées à vocation ethnographique à la situation actuelle, laquelle définit un autre rapport à l’objet. Celui-ci n’est pas le témoin d’une spécificité exotique, régionale ou nationale dont il faut préserver la trace, mais il est un objet d’usage mondialisé dont il faut révéler la spécificité.

Si le statut de l’objet-témoin limite l’objet ethnographique à l’aspect matériel des cultures en voie de disparition, qu’en est-il de l’objet contemporain collecté aujourd’hui pour témoigner des cultures toujours existantes ?

Pour répondre à cette question, il conviendra de centrer notre réflexion sur la collecte de l’objet contemporain, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui dans trois musées différents. Ceci permettra d’analyser un autre contexte du recueil de l’objet ethnographique, tout à fait différent, dans la forme, des méthodes d’investigation ethnologique anciennes.

Mais avant d’aborder les trois musées qui constituent l’objet de l’étude, définissons d’abord ce que nous entendons par le « contemporain » et les moyens proposés pour vérifier sa signification.

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DEUXIÈME PARTIE

VERS DE NOUVELLES PRATIQUES MUSÉALES ETHNOGRAPHIQUES LIÉES À L’OBJET DANS TROIS MUSÉES DE SOCIÉTÉ

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Introduction de la deuxième partie

Il n’est pas question ici d’entrer dans les découpages86 que les historiens ont pu faire de

la période contemporaine, ni dans les débats autour de son identité historique ou de sa frontière discutée, ou niée, avec l’époque moderne. Nous situerons la période contemporaine de la deuxième moitié du XXe siècle à nos jours, tout simplement en raison de l’évolution des

modes de vie qui a marqué cette période. Le mot « contemporain » prend dans cette recherche son sens le plus convenu de dimension temporelle collective. Il qualifie ce qui est « du même temps », ce qui est de notre temps, ce qui appartient irrévocablement au présent.

En parallèle, nous utiliserons le substantif « contemporanéité » (du latin

contemporaneus) pour désigner la relation entre les personnes et les choses contemporaines87

, c’est-à-dire « une expérience particulière du temps » (Agamben, 2008 : 27).

La question du contemporain au sein du musée de société est intéressante à plus d’un titre : tout d’abord, pour les pratiques de la collecte sur le terrain qu’elle fait naître dans chaque musée, et ensuite parce qu’elle soulève une vive controverse, qui n’est pas sans rappeler la question du contexte et du statut de l’objet ethnographique. Rappelons à ce sujet une phrase de Julie Guiyot-Corteville : « Ce discours d’une grande banalité aujourd’hui ne doit ni occulter la violence de l’accueil qui lui a été réservée alors (les fameux musées des peignes à poux…), ni l’importance de cette réflexion “digérée” depuis, pour faire référence au Musée cannibale88 de J. Hainard ». (2004 : 38).

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L’époque moderne couvre la période historique qui commence lorsque s’achève le Moyen Âge. L’époque contemporaine est la dernière grande période de l’Histoire et couvre les XIXe et XXe siècles et le début du XXIe

siècle. Sa délimitation est très controversée par les historiens : les Français tendent à la faire débuter au XIXe

siècle, faisant de la Révolution française sa limite avec les Temps modernes. Cette position n’est pas partagée par nombre d’historiens étrangers, pour qui l’époque contemporaine fait partie intégrante de l’époque moderne, toujours en cours. Pour certains chercheurs, le début du contemporain correspond à l’après-seconde guerre mondiale, tandis que d’autres évoquent plus précisément mai 68 (Ruffel et. al. 2009 : 11).

87 Selon le nouveau Petit Robert de la langue française, Millésime, 2007.

88 L’auteur fait référence à l’exposition temporaire qui a eu lieu au Musée d’Ethnographie de Neuchâtel (MEN)

du 9 mars 2002 au 2 mars 2003, sous le titre Le musée cannibale. Faisant écho au contexte de création des musées d’ethnographie, qui consistait à « ingérer » l’autre, cette exposition invitait le visiteur à se défaire de ses préjugés sur les autres et sur lui-même. Cet évènement fut aussi l’occasion de regrouper une série de réflexions sur la place de l’ethnographie dans les savoirs actuels. Ces textes sont réunis dans un ouvrage portant le même titre que l’exposition, édité en 2002 par Marc Olivier Gonseth, Jacques Hainard et Roland Kaehr.

92 La deuxième partie de la thèse interroge le paradoxe du « contemporain » et sa définition au sein de l’écomusée et du musée de société. Elle propose, à travers trois chapitres, de mettre en exergue trois nouvelles pratiques muséologiques en matière de collecte du contemporain. Celle-ci représente ici un processus de médiation qui consiste à créer un lien entre le musée et son public, en produisant un sens à transmettre. L’objectif est d’analyser les méthodes retenues pour la validation, d’un point de vue scientifique, de l’objet collecté.

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CHAPITRE IV

L’APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE DU MUSÉE DES CIVILISATIONS DE L’EUROPE ET DE LA MÉDITÉRRANÉE (MUCEM)

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