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Facteurs d’ordre politique et institutionnel

Chapitre III. L’émergence des écomusées et des musées de société

4. Le contexte de crise des écomusées et des musées de société

4.2. Facteurs d’ordre politique et institutionnel

Un facteur d’ordre politique s’ajoute à ces éléments de crise : ces musées ont été portés par la décentralisation et relèvent pour la plupart des collectivités territoriales, notamment après le protocole de décentralisation culturelle de 2001. Pris entre tutelle publique et enjeux politiques et sociaux, les musées d’ethnologie souffrent d’un trop-plein politique qui affecte l’autorité de leur discours (Dubuc, 1998). Certes, le musée est un acteur politique ; il l’est, pour citer Guy Saez « en ce qu’il participe à la définition d’une collectivité

81 Serge Chaumier (2003) souligne à ce propos qu’il existe bien des associations vieillissantes remplacées par des

professionnels avec de nouvelles orientations, tout comme il existe des associations vivantes et actives qui subissent le même sort et ne résistent pas à la vague envahissante de professionnalisation.

82 Selon Serge Chaumier (2002), le local envisage un rapport immédiat et matériel aux objets et considère que

ceux-ci se suffisent par eux-mêmes, tandis que la démarche intellectuelle de « mise à distance » du professionnel envisage davantage de créer un langage qui met en valeur « l’objet distancié » et « l’objet d’usage courant » (id., 2003 : 112).

85 humaine et à la construction du système d’organisation politique dont elle se dote. Il participe à mettre de l’ordre dans l’imbroglio culturel et émotionnel de la collectivité, il en institutionnalise les représentations. C’est pourquoi on l’a souvent caractérisé comme le temple du récit national » (Saez, 2008 : 123). Ainsi donc, les musées doivent soumettre leur programmation à leur tutelle ; selon Michel Colardelle, cette démarche est nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie83

puisqu’elle se fonde sur l’approbation ou « la vérification des citoyens, par les différents niveaux d’élections » (Colardelle 2008 : 120). Cependant, elle fait réfléchir sur le degré d’indépendance scientifique du musée, d’autant plus que ce dernier se positionne dans la « conflictualité politique »84 (ibid.), lorsqu’il doit traiter de sujets

controversés au sein du débat politique.

Les difficultés rencontrées concrètement relèvent aussi bien de la gestion des équipements et d’une érosion budgétaire que de la difficulté à analyser leurs moyens humains en ce qui concerne les petites structures, gérées par des bénévoles. À ce sujet, les nombreux musées portés par des associations sont confrontés à la difficulté de s’autogérer à long terme et de se voir attribuer de nouvelles missions.

Il est évident que le soutien financier des pouvoirs publics est nécessaire au fonctionnement des musées de société et à la création de nouvelles structures, mais le risque n’est pas nul d’une instrumentalisation politique des musées par les élus. Ceux-ci ciblent particulièrement le potentiel touristique de ces établissements, ce qui va à l’encontre de la déontologie des musées, institutions culturelles à but non lucratif, destinées essentiellement à la conservation, la recherche et l’éducation. L’écomusée devrait demeurer indépendant des pouvoirs politiques, ce qui ne semble pas être évident dans le contexte actuel de décentralisation.

Aujourd’hui, les écomusées et les musées de société sont confrontés de plein fouet à un nouveau phénomène : l’entrée en scène du « musée de civilisation », par opposition aux musées d’art. Ils souffrent d’un certain désintérêt au profit de ces derniers, de la part des

83 Michel Coladrelle (ibid.) cite deux polarités du musée aussi légitimes l’une que l’autre mais qui peuvent se

contredire : une polarité scientifique tournée vers la collecte, l’étude, l’exposition et la médiation, et une polarité politique qui implique le choix institutionnel d’affecter tel ou tel objet, et de décider de la manière de le traiter et de l’inscrire dans un programme donné.

84 Comme exemples du rapport du musée aux politiques publiques, Guy Saez avance celui de la gratuité comme

choix de politique publique qui demeure illisible et ambigu d’un musée à l’autre (gratuité totale, partielle, gratuité touchant telle ou telle tranche de la population) et celui du problème des expertises auxquelles font appel les élus comme « source de décision » et d’orientation.

86 autorités de tutelle et du public, comme le montre bien le cas du musée du Quai Branly qui fait, à lui seul, couler beaucoup d’encre. Viennent ensuite les grands projets en gestation tel le MUCEM à Marseille et le musée des Confluences à Lyon. Même lorsqu’il s’agit de revenir sur l’histoire des musées d’ethnologie, l’on retrace toujours la genèse des grands musées d’État, en l’occurrence les musées ou ex-musées parisiens ( le MET, le musée de l’Homme, le MNATP, le MAOO), écartant vraisemblablement les musées de société, de taille moins importante, et d’implantation territoriale non centrale comme si la seule solution envisagée à la crise de ces musées était la transformation du musée d’ethnographie en musée de civilisation. Toujours est-il que l’on situe les musées d’ethnologie dans une vision plus généraliste et universelle qui risque d’être leur première carence. Cet écart constaté ne fait que situer les musées de société en marge du débat actuel de la même façon qu’ils étaient marginalisés à leur naissance par le ministère de la culture qui accordait plus d’intérêt aux musées d’État.

Il est clair qu’ils doivent assumer de nouvelles missions pour continuer d’exister. D’abord, en établissant de nouveaux rapports à l’objet et aux publics, dans une perspective du présent. Ensuite, en réfléchissant à la manière d’imaginer leur futur. Il y a nécessité d’une mutation intellectuelle profonde qui n’est pas sans rappeler la complexité de la tâche comme le confirment les propos de Julie Guiyot-Corteville : « S’il est de bon ton dans l’intelligentsia parisienne de dire que les écomusées sont en crise, la situation est, de fait, beaucoup plus complexe. Nous sommes plutôt dans une deuxième révolution culturelle. Si les écomusées ont l’air nostalgiques, c’est parce qu’ils ne sont plus novateurs. Mais il ne faut oublier tout ce qu’ils ont apporté : la nouvelle scénographie, le musée hors les murs, la présence de la photographie... Tous les musées ont repris à leur compte ces concepts ! Les écomusées doivent entamer une seconde vie, mais c’est très difficile de suivre une société toujours en mouvement » (Bétard, 2005).

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