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La taxation des revenus du capital et le comportement des

1.2 Les effets de la taxation des revenus capital sur les comportements

1.2.1 La taxation des revenus du capital et le comportement des

des entreprises

Chetty et Saez (2005). L’article de Raj Chetty et Emmanuel Saez publié en 2005

dans The Quarterly Journal of Economics exploite la réforme de 2003 sur la fiscalité des dividendes aux États-Unis. Cette réforme réduit fortement le taux d’impo- sition des dividendes auparavant inclus au barème de l’impôt fédéral sur le re- venu : les quatre tranches supérieures du barème (dont les taux marginaux étaient respectivement de 27 %, 30 %, 35 % et 38,6 %) sont remplacées par un taux de 15 %, tandis que les deux premières tranches de l’impôt progressif (de 10 % et 15 %) sont remplacées par un taux de 5 %. Les auteurs de l’étude comparent la politique de distribution des dividendes avant et après la réforme, avec des don- nées de versement de dividendes à haute fréquence. Ils comparent également les entreprises possédées par des actionnaires affectés directement par la réforme aux entreprises qui ont un actionnariat non affecté par la réforme (par exemple, des actionnaires institutionnels, des organisations à but non lucratifs). Les résultats de l’étude indiquent que la baisse de la fiscalité des dividendes a entraîné une hausse de 20 % du versement de dividendes, cet effet venant à la fois de la proportion

Chap. 1 – Revue de la littérature

d’entreprises cotées versant des dividendes, et d’une hausse du dividende pour les entreprises versant régulièrement un dividende. L’élasticité estimée par les au- teurs du paiement de dividendes réguliers au taux marginal d’imposition est de -0.5. Les auteurs documentent par ailleurs une forte hétérogénéité dans la réponse des entreprises à la réforme. L’effet est particulièrement fort pour les entreprises dont les dirigeants sont directement affectés par la baisse de fiscalité (par exemple avec un PDG possédant une part importante des actions, ou au contraire peu de stock-options à réaliser). Enfin les auteurs excluent un effet de substitution entre versement de dividendes et rachats d’action, ces derniers ayant continué de pro- gresser après la réforme.

Cette étude conduit à renforcer l’importance de la théorie de l’agent-principal pour la détermination de la politique de distribution des dividendes. Si la réaction positive des distributions de dividendes à la baisse de la fiscalité est cohérente avec la vision traditionnelle (old view), la rapidité de la réaction l’est beaucoup moins. En effet, dans la vision traditionnelle la baisse de la fiscalité entraîne une hausse de l’investissement et donc des profits à long terme qui permettent in fine d’aug- menter le versement de dividendes. La réaction immédiate à la réforme de 2003 suggère au contraire des choix des dirigeants directement affectés par la modifica- tion de la fiscalité.

Yagan (2015). L’article de Danny Yagan publié en 2015 dans l’American Economic

Review est l’article le plus complet sur l’impact économique réel de la baisse de la taxation des dividendes en 2003 aux États-Unis. L’auteur utilise des données ad- ministratives exhaustives d’origine fiscale sur l’ensemble des sociétés américaines (données de l’impôt sur les sociétés) de 1996 à 2008. Il exploite la différence de traitement de la réforme entre les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés (C- corporations) dont les actionnaires directement touchés par la baisse de la fiscalité sur les dividendes et les sociétés dont les bénéfices sont imposés à l’impôt sur le re-

Évaluation d’impact de la fiscalité des dividendes

venu pour chacun des actionnaires individuels (S-corporations). L’hypothèse iden- tifiante de l’article est que ces deux groupes d’entreprises ont connu une évolution (avant réforme) similaire de leurs comportements d’investissement.

Le résultat majeur de l’article de Yagan (2015) est une estimation d’un impact nul de la baisse de la fiscalité des dividendes sur l’investissement des entreprises. L’estimation est par ailleurs très précise : l’élasticité de l’investissement au taux marginal supérieur de l’imposition des dividendes est de 0.00 avec un intervalle de confiance de 95 % entre -0,08 et 0,08. L’auteur teste des différences selon la taille de l’entreprise et ne trouve aucune différence, l’effet nul sur l’investissement étant avéré pour toutes les entreprises.

Les implications de ce travail sont profondes pour l’analyse de l’impact de la fiscalité sur les dividendes. L’analyse économique traditionnelle suggérait qu’une baisse de la fiscalité des dividendes devrait réduire le coût d’usage du capital et donc stimuler l’investissement (Harberger, 1962; Hall and Jorgenson, 1967; Po- terba and Summers, 1985). L’estimation d’une élasticité de l’investissement aux dividendes nets de 0.00 est en effet à comparer aux estimations traditionnelles de l’élasticité de l’investissement au coût d’usage du capital de l’ordre de 0,2 à 0,4 (Hassett and Hubbard, 2002), soit des estimations de l’ordre de 2,5 fois la borne supérieure estimée par Yagan (2015). Les résultats de cette étude à partir de la ré- forme de 2003 conduisent plutôt à privilégier la nouvelle vision de la politique de distribution des dividendes (new view), c’est-à-dire que les entreprises américaines auraient plus tendance à financer leurs investissements par de l’auto-financement (à partir des profits non distribués).

Une autre explication avancée serait que les résultats de la réforme 2003 ne seraient pas généralisables car obtenus avec une réforme qui était mise en place de façon temporaire (la législation américaine prévoyait une date d’expiration en 2009, si le Congrès ne votait pas sa reconduction).

Chap. 1 – Revue de la littérature

Boissel et Matray (2019). Le récent document de travail de Charles Boissel et

Adrien Matray analyse la réforme française concernant les prélèvements sociaux sur les dividendes des SARL à actionnaire majoritaire. Cette réforme est interve- nue en 2013, la même année que la mise au barème. L’imposition des dividendes en France est composée de deux éléments. Tout d’abord, une contribution sociale versée sur les dividendes s’applique au montant des dividendes versés par l’en- treprise. Les dividendes intègrent le revenu de l’actionnaire et sont imposés en conséquence au niveau du ménage. En 2012, l’année précédant la réforme, le taux des cotisations sociales était de 15,5 %. Ce taux introduit un écart de traitement entre revenu du capital et le revenu du travail avant 2013. En effet, les cotisations sociales sur les revenus du travail perçus par les entrepreneurs sont fixées à un taux d’environ 46 %. L’actionnaire majoritaire d’une SARL bénéficie d’une grande liberté dans la répartition de sa paie entre revenus du travail et dividendes, puis- qu’il n’est pas salarié et n’a donc pas à se verser de rémunération pour son travail. Avant 2013, il existe une forte incitation pour un propriétaire-gérant de SARL à se rémunérer principalement en dividendes. En 2013, il est mis fin à cette possibilité d’arbitrage fiscal et l’ensemble des dividendes versés à l’actionnaire majoritaire est soumis aux mêmes cotisations sociales à environ 46 %, soit un triplement du

taux appliqué aux dividendes5. Boissel and Matray (2019) appliquent une straté-

gie proche de celle de Yagan (2015). Ils comparent l’évolution des SARL à action- naire majoritaire en matière de versement de dividendes et d’investissement par rapport à des entreprises dont le statut juridique est différent (SAS, autre SARL, etc.) avant et après la réforme de 2012. Les effets de la mise au barème sont « neu- tralisés » sous l’hypothèse qu’ils affectent les entreprises du groupe de traitement et contrôle dans la même mesure.

5. Cette cotisation plus élevée ne s’appliquait que pour les versements de dividendes qui ex- cèdent 10 % du capital propre par le gérant et sa famille. En dessous de ce seuil, la cotisation sociale demeure à 15,5 %.

Évaluation d’impact de la fiscalité des dividendes

Boissel and Matray (2019) trouvent des résultats proches de ceux de Chetty and Saez (2005) et Yagan (2015) dans le cas américain : une forte élasticité des di- videndes à leur taux marginal – avec une élasticité de -0,6 –, et une absence de

réaction de l’investissement6. Compte tenu du type de firme étudié – SARL avec

propriétaire-gérant –, la théorie de l’agence proposée par Chetty et Saez semble peu à même d’expliquer ces résultats : les entreprises étudiées sont équivalentes à ce que Jensen and Meckling (1976) appellent des entreprises propriétaires-gestionnaires (owner-manager firms ) dans lesquelles il n’y a peu ou pas de séparation entre pro- priété et contrôle – source des coûts d’agence.