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1 CADRE THÉORIQUE

1.1 Catégorisation, stéréotypes et stigmatisation

1.1.3 La stigmatisation

1.1.3.1 Définition et recherches antérieures

Les travaux de Tajfel et al. (1978, 1981; Tajfel et al., 1971, cités par Bourhis &

Leyens, 1994) montrent que les sujets sont capables de discrimination envers les membres de l'exogroupe, même s'ils ne les connaissent pas et en l'absence de tout facteur qui pourrait habituellement la générer, grâce au paradigme des groupes minimaux.

Les membres de l'endogroupe stigmatisent les membres de l'exogroupe pour promouvoir une image positive de l'endogroupe, et donc d'eux-mêmes. On peut donc penser que les élèves non-redoublants partagent des stéréotypes négatifs à l'égard des élèves redoublants et, par conséquent, les stigmatisent afin de se valoriser.

Afin de confirmer cette hypothèse, Crisafulli et al. (2002) et Farcoz (2003) ont interrogé des élèves non-redoublants de l'école primaire genevoise et valdôtaine. Les résultats

vont dans le sens d'un stéréotype social qui concerne "les dispositions générales face aux tâches" : les élèves redoublants sont vus comme des élèves distraits, fainéants, mal poli, désobéissants. On peut donc craindre que ces élèves soient victimes d'un processus de stigmatisation de la part de leurs camarades.

La stigmatisation est un processus qui discrédite profondément un individu aux yeux des autres (Goffman, 1963). "Être stigmatisé, c'est posséder une identité dévalorisée, jugée inférieure par les autres" et également "être acculé au bas de l'échelle sociale" (Crocker, Major & Steele, 1998 ; Link & Phelan, 2001, cités par Croizet & Martinot, 2003, p. 27).

Croizet et Leyens (2003, cités par Dutrévis & Crahay, 2013) définissent le stigmate comme une "caractéristique associée à des traits et stéréotypes négatifs qui font en sorte que ses possesseurs subiront une perte de statut et seront discriminés au point de faire partie d’un groupe particulier ; il y aura “eux”, qui ont une mauvaise réputation, et “nous”, les normaux"

(pp. 13-14).

Goffman (1963) distingue trois différents types de stigmate : les déformations physiques, les aspects du caractère que l'on peut critiquer, et le stigmate concernant la race, la nation ou la religion qui sont transmis de génération en génération. Dans ces trois cas, un individu possède une particularité sur laquelle les autres se concentrent et qui efface le caractère positif que d'autres de ses attributs pourraient avoir, et il n'obtient pas le même respect et la même considération que les personnes "normales". En ce qui concerne les redoublants, ce sont les aspects du caractère qui sont particulièrement pointés du doigt.

Il existe une double perspective du stigmate (Goffman, 1963) : soit l'individu stigmatisé est conscient que son attribut est déjà connu et, dans ce cas, il est une personne discréditée, soit l'individu pense que sa diversité n'est pas connue des autres et on dira, alors, qu'il est une personne discréditable. Dans ce deuxième cas, se pose le problème du "contrôle de l'information" : l'individu a-t-il davantage intérêt à révéler sa différence aux autres ou à la garder pour soi ? En effet, s'il ne la révèle pas, il doit accepter d'être traité comme s'il n'avait pas cette différence. Il est possible que les élèves redoublants se trouvent face à ce dilemme.

La stigmatisation est un processus de nature essentiellement sociale. Pour qu'il y ait stigmatisation d'une catégorie par une autre, il faut que les deux catégories partagent des représentations et stéréotypes relatifs à une caractéristique psychologique ou à un événement social. C'est pourquoi, pour mieux appréhender les conséquences possibles de la

stigmatisation des élèves redoublants, il apparaît important à Dutrévis et Crahay (2013) d'interroger également des élèves redoublants sur les stéréotypes les concernant et sur leur estime de soi. Ils vont même plus loin en mesurant une distinction entre connaissance et adhésion aux stéréotypes, car ils expliquent que si la simple connaissance des stéréotypes peut avoir des effets nuisibles (Leyens, Yzerbit, & Schadron, 1996), l'adhésion aux stéréotypes signifie que l'individu a intériorisé ces caractéristiques comme connaissance de soi qui influenceraient son comportements en classe (Allport, 1954 ; Eccles, Adler, Futterman, Goff, Kaczala, Meece, & Midgley, 1983).

Les résultats confirment l'existence de stéréotypes négatifs à l'égard des élèves redoublants. D'une manière générale, les non-redoublants ont une plus grande connaissance du stéréotype que les redoublants, mais tous ont connaissance de l'image négative des élèves redoublants. Ils concernent les dimensions suivantes : les compétences scolaires, l'attitude en classe et les émotions. Or, la simple connaissance des stéréotypes négatifs par les élèves redoublants peut avoir un effet préjudiciable sur leur réussite, car la crainte d'être jugé sur la base de ces stéréotypes peut exercer une pression psychologique sur ces élèves (Steele &

Aronson, 1995). En ce qui concerne l'adhésion au stéréotype, le niveau de celui-ci est significativement inférieur au niveau de connaissance. Les élèves, redoublants et non-redoublants, attribuent même certaines caractéristiques positives aux redoublants. Toutefois, il est possible, selon eux, que cela soit un moyen de compenser les stéréotypes négatifs à l'aide de stéréotypes positifs sur des dimensions dont la valorisation sociale est moins élevée (Fiske, Cuddy, Glick & Xu, 2002, cités par Dutrévis & Crahay, 2013).

Les résultats ont également mis en évidence une estime de soi plus faible chez les élèves redoublants sur les dimensions suivantes : compétences dans le domaine de l'école, conduite et sentiment de valeur propre.

1.1.3.2 Conséquences

Le processus de stigmatisation a lieu en deux temps. Dans un premier temps, la personne victime d'un stigmate intériorise le point de vue de la société sur ce qu'est être une personne "normale" puis, dans un second temps, elle réalise qu'elle possède un stigmate et ne pourra donc pas être totalement acceptée par les autres et être sur un même pied d'égalité (Goffman, 1963).

La stigmatisation peut avoir des conséquences négatives sur la construction du soi – de l'identité – de l'individu qui en est victime, puisqu'il y a un risque que celui-ci adhère aux stéréotypes négatifs à son encontre, intériorise une image négative de lui-même et, par conséquent, se dévalorise. Il risque de commencer à se considérer comme les autres le jugent et de se laisser convaincre qu'il ne deviendra jamais la personne qu'il souhaite être.

La stigmatisation des élèves redoublants peut donc avoir des conséquences négatives sur leur scolarité puisqu'ils peuvent penser qu'ils sont des "mauvais" élèves, qu'ils ne sont pas capables de réussir. Or, il est important d'avoir une bonne estime de soi pour se sentir bien psychologiquement et pour favoriser la réussite des activités entreprises. Lorsqu'un individu se sent capable, il se montre plus motivé et s'investit davantage dans ce qu'il fait; il met, par conséquent, plus de chances de son côté de réussir. Une recherche menée par Crahay (1996) révèle que les enseignants interviewés estiment que le redoublement n'affecte pas la confiance dans ses capacités et l'estime de soi de l'élève. Pourtant, les recherches menées par Byrnes (1990) et Crahay (1996) montrent que les enfants vivent le redoublement comme une épreuve douloureuse : celui-ci est ressenti comme un traumatisme.

De plus, s'ils attribue la cause de leur échec à un manque d'intelligence, c'est-à-dire une cause interne, stable et incontrôlable, le redoublement sera vécu comme une incapacité à réussir et ils peuvent se résigner à l'idée qu'ils sont destinés à la défaite (Crahay, 2007).

Les élèves redoublants sont peu nombreux. Il arrive souvent qu'un élève redoublant soit le seul de sa classe. Le fait d'être le seul représentant d'un groupe stigmatisé peut avoir des conséquences encore plus négatives sur l'estime de soi pour deux raisons : d'une part, l'élève éprouve un sentiment de responsabilité pour l'ensemble du groupe et, d'autre part, il ne peut pas recourir à des comparaisons "protectrices" en se comparant à d'autres élèves de son

"groupe".

En conclusion, les précédentes recherches sur le sujet (Crisafulli et al., 2002; Farcoz, 2003; Dutrévis & Crahay, 2013) ont démontré que les élèves redoublants sont victimes de stigmatisation de la part de leurs camarades: ils sont notamment vus comme des élèves distraits, fainéants, mal poli et désobéissants. Dutrévis et Crahay ont montré que même si, d'une manière générale, les non-redoublants ont une plus grande connaissance du stéréotype que les élèves redoublants, tous ont connaissance de l'image négative des élèves redoublants.

Concernant l'adhésion au stéréotype, le niveau de celui-ci est significativement inférieur au niveau de connaissance.

Notre objectif est de confirmer la présence de stéréotypes négatifs envers les élèves redoublants et d'observer sur quelles dimensions ils portent. Nous souhaitons également savoir dans quelle mesure les redoublants les partagent : les connaissent-ils? Y adhèrent-ils?

Comme il l'a été expliqué, si la simple connaissance de ces stéréotypes négatifs peut avoir un effet préjudiciable sur le vécu de l'élève, il existe également le risque que ces élèves redoublants adhèrent aux stéréotypes négatifs à leur encontre, intériorisent une image négative d'eux-mêmes et, par conséquent, se déprécient. D'autre part, nous effectuons une distinction des élèves selon leur niveau scolaire afin d'isoler l’effet du stéréotype concernant les redoublants de celui du niveau scolaire des élèves et d'observer le comportement des différentes catégories d'élèves.

La prochaine partie présente et explique des concepts liés à la construction du soi de l'individu afin de mieux comprendre comment celui-ci est influencé par les perceptions d'autrui.