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Chapitre I . Synthèse bibliographique : Le recyclage des fibres cellulosiques

III. La remise en suspension des papiers récupérés

La remise en suspension des papiers récupérés, appelée aussi trituration ou désintégration, est la première étape du procédé de recyclage. Au cours de cette opération, les fibres sont individualisées et les contaminants, en particulier les encres introduites lors de l’impression du papier, sont séparés des fibres. Plusieurs équipements peuvent être utilisés dans cette opération : pulpeurs travaillant à basse ou moyenne concentration fibreuse, et pulpeurs à tambour.

Le choix du pulpeur dépend de plusieurs paramètres. Les pulpeurs travaillant à moyenne concentration fibreuse sont considérés efficaces pour l’amélioration du détachement de l’encre des fibres alors que les pulpeurs à tambours sont davantage utilisés pour réduire la fragmentation des contaminants (Belgacem and Pizzi 2016).

Le défibrage, le détachement de l'encre et la fragmentation des particules dans un pulpeur sont obtenus par des forces imposées aux fibres par l'action du rotor. Les forces peuvent être classées comme résultant des interactions fibre-eau, fibre-fibre et / ou fibre-rotor. Il a été démontré que le défibrage survient principalement par l’interaction entre le papier récupéré et le rotor (Bennington and Wang 2001).

Des produits chimiques (comme la soude et le silicate de sodium) sont généralement ajoutés au cours de la remise en suspension (Hans Ulrich et al. 2000; Renders 1993). Ces additifs chimiques sont ajoutés dans le but d’améliorer le détachement de l’encre des fibres suite au gonflement de la cellulose. Cependant, de nouvelles études soulignent l’efficacité des conditions neutres ou faiblement alcalines pour le désencrage des papiers imprimés avec des encres toners ou flexographique (Yujie et al. 2016; Galland et al. 1997). Cette nouvelle tendance, la réduction de l’utilisation d’additifs chimiques, s’inscrit dans une démarche environnementale plus verte (réduction de la charge polluante des effluents) et économique (Azevedo et al. 1999; Haynes and Roring 1998).

III.1. La remise en suspension alcaline

La sélection des agents chimiques résulte souvent d’un compromis entre coûts et performances.

Le choix des additifs dépend aussi fortement de la nature des papiers récupérés à traiter et du produit final souhaité. Les principaux produits chimiques utilisés lors de la remise en suspension

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Tableau I-10. Les produits chimiques introduits dans le pulpeur, leur fonction et leur dosage (Jiang and Ma 2000)

Produits chimiques Formule chimique Fonction Type de papiers Dosage (% par rapport aux fibres) Hydroxyde de sodium NaOH

Gonflement des fibres Distribution des encres Détachement de l’encre Tout type 0 – 5 Silicate de sodium Na2SiO3 Mouillage Dispersion d’encre Stabilisation du peroxyde Alcalinité et tamponnage Pâte mécanique -Papiers faiblement encrés 0,5 – 5 Peroxyde d’hydrogène H2O2 Prévention du

jaunissement des fibres (action de blanchiment)

Pâte mécanique- Papiers colorés

0,5 – 1,5

D’autres produits chimiques peuvent être introduits au niveau du pulpeur, mais leur usage dépend du type du papier traité ; ce sont par exemple le carbonate de sodium, les agents chélations, etc. Les produits classiquement rencontrés et recommandés par la méthode (INGEDE Method 11 2012) sont les suivants :

• L’hydroxyde de sodium (NaOH)

Dans le pulpeur l’alcalinité est nécessaire pour le gonflement des fibres cellulosiques (Lassus 2000) ; cette alcalinité est principalement amenée par l’hydroxyde de sodium. Ceci facilite le défibrage des papiers et le décrochage de l’encre, c’est un phénomène mécanique comme le montre la figure (I-15.a). La soude peut avoir aussi une action sur les fonctions carboxyles de la cellulose. La figure (I-15.b) montre que l’hydroxyde de sodium ionise les fonctions carboxyles de la cellulose ce qui améliore la dispersion de la suspension fibreuse par répulsion entre les fibres chargées négativement.

(a) (b)

Figure I-15. Détachement de l’encre de la fibre : par action mécanique suite à l'action de l'hydroxyde de sodium (a) et par ionisation des fonctions carboxyliques en milieu alcalin (b) (Carré and Galland 1999)

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Plusieurs études ont essayé de comprendre l’action de la soude sur les fibres au cours de la remise

en suspension. Une diminution importante de la fragmentation de l'encre, associée à l'action

lubrifiante de l'hydroxyde de sodium, a été observée lors de la remise en suspension dans des conditions alcalines. Ainsi, un détachement accru de l'encre est observé lorsque l’alcali est augmenté (figure I-16) : la quantité d'encre résiduelle (ERIC) mesurée sur les pâtes entières et hyper lavées diminue nettement (Carré et al. 1995).

Figure I-16.Influence des additifs chimiques de la remise en suspension sur le détachement de l'encre (ERIC) (Carré et al. 1995)

En revanche, l’addition de soude peut présenter deux inconvénients majeurs. Le premier est la dissolution des contaminants solubles du papier récupéré avec une augmentation consécutive de la libération de DCO dans les eaux de procédés pendant la remise en suspension. Les lignes de désencrage fonctionnant en circuit fermé, l’accumulation de DCO dans ces eaux a des effets négatifs sur les opérations de fabrication du papier. Par ailleurs cette charge en substances

organiques dans les effluents des usines doit être traitée (Miranda et al. 2009b, 2009a).

Le deuxième inconvénient est la formation de groupements chromophores sur la lignine de pâte mécanique, si celle-ci est présente dans la composition fibreuse des papiers récupérés. Ceci conduit au jaunissement des fibres. C’est le cas notamment des papiers avec bois, notamment les vieux journaux et magazines, qui contiennent beaucoup de pâte mécanique et donc beaucoup de lignine.

Cet inconvénient peut être contré par l’ajout de peroxyde d’hydrogène (H2O2) pour blanchir ou

réduire le jaunissement des fibres (Lassus 2000).

• Le peroxyde d’hydrogène (H2O2)

C’est un agent de blanchiment, introduit pour blanchir ou réduire le jaunissement des fibres. C’est

sa forme basique (HO2-) qui agit sur les groupements chromophores. Il faut donc introduire un

agent alcalin comme l’hydroxyde de sodium pour garantir l’efficacité du peroxyde d’hydrogène. L’effet bénéfique du peroxyde ajouté à faibles doses est d’assurer la stabilité de la blancheur et de baisser l’alcalinité élevée dans le pulpeur (Renders 1993).

0 500 1000 1500 2000

0%NaOH - 0% H2O2 1%NaOH - 0% H2O2 1%NaOH - 1% H2O2

ERIC (p

p

m

)

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Malheureusement le peroxyde d’hydrogène est très instable, il réagit aussi très vite avec les cations métalliques pour se décomposer en espèce inactive. Des agents protégeant le peroxyde d’hydrogène d’une trop grande décomposition sont donc ajoutés ; citons le silicate de sodium dont l’action est décrite juste après.

• Le silicate de sodium (Na2SiO3)

L’un des rôles du silicate de sodium est la stabilisation du milieu réactionnel. Il chélate certains ions métalliques présents dans l'eau, limitant ainsi la décomposition du peroxyde d’hydrogène et réduisant en parallèle la formation de dépôts à base de calcium, insolubles. Il intervient sous une forme colloïdale et permet donc de tamponner le milieu ce qui favorise l’action blanchissante du peroxyde d’hydrogène (Lassus 2000; Carré and Galland 1999).

Plusieurs auteurs ont étudié le rôle du silicate de sodium dans le procédé de désencrage. Beneventi et al., ont montré que le silicate a une action dispersante vis-à-vis des fibres, des fines et des charges et aussi des encres ce qui permet d’éviter la re-déposition de l’encre après son détachement de la fibre. Cette action dispersante engendre aussi une réduction des pertes en fibres (Beneventi et al. 2007).

Lapierre et al., ont démontré que le silicate de sodium joue un rôle utile lors de la remise en suspension des magazines et journaux imprimés en offset (70:30 ONP : OMG) (Lapierre et al. 2006).

Figure I-17. ERIC après remise en suspension (pH ~9.1) en fonction du temps de remise en suspension, avec silicate de sodium 2% et sans silicate de sodium (Lapierre et al. 2006)

La figure I-17 présente l’évolution de l’ERIC (taux d’encre résiduelle) en fonction du temps de remise en suspension : la présence de silicate de sodium a réduit l’ERIC de 120 ppm après 10 min

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et empêche la re-déposition de l'encre tout au long du procédé de désintégration car c’est un collecteur d’encres.

III.2. Les nouvelles tendances de remise en suspension

La tendance dans l’évolution de la chimie du désencrage au cours des dernières années est la réduction de l’utilisation de produits chimiques dans les lignes de désencrage, notamment ajoutés lors de la remise en suspension. Cette nouvelle approche a principalement deux raisons : la première est une raison économique qui vise la réduction des coûts des lignes de désencrage (Hans Ulrich et al. 2000) (coût des produits et coût de traitement des effluents) et la deuxième est une raison environnementale puisque la réduction du pH des eaux de procédés limite la dissolution de matière organique et induit une amélioration de l’élimination des substances collantes ‘stickies’. Ceci implique une réduction du rejet de substances polluantes dans l’eau des procédés. Ainsi, les effluents demandent moins de traitement pour clarification. Les réglementations environnementales sont aussi de plus en plus exigeantes en ce qui concerne les rejets des effluents polluants et leur valorisation. Des conditions de remises en suspension neutres sont présentées dans le tableau I-11.

Tableau I-11. Conditions d’une remise en suspension neutre (Jiang and Ma 2000)

Additifs chimiques pH Papiers adaptés aux conditions

de neutralité

NaOH (optionnel) 5,5 – 8 MOW, OMG/MOW, toners

Dans le cas d’une véritable remise en suspension neutre, aucun produit chimique n’est ajouté dans le pulpeur (Rosencrance et al. 2005). Dans certains cas, le silicate de sodium seul peut être utilisé au cours de la remise en suspension. Cette remise en suspension est appelée « à faible alcali » car la présence de silicate augmente le pH du milieu (Lapierre et al. 2006).

La remise en suspension neutre ou faiblement alcaline des journaux et magazines imprimés en offset ou rotogravure conduit souvent à des résultats de désencrage inférieurs à ceux observés en milieu alcalin. Ceci provient d’un décrochage d'encre insuffisant, une fragmentation accrue des particules d'encre et un rendement fibreux plus faible. Les explications seront développées dans le chapitre 6 de ce manuscrit (Chapitre VI).

Les usines produisant de la pâte marchande à partir de vieux papiers de bureaux (MOW) contenant principalement des fibres de pâte chimique, fonctionnent souvent déjà dans des conditions neutres. Ces usines peuvent même n’utiliser aucun tensioactif dans certains cas. Avec une telle matière première, la limitation principale est la présence de particules d’encre de grande taille après remise

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en suspension, ce qui rend difficile leur élimination lors de l’opération de flottation ultérieure. Ces particules sont généralement fragmentées dans une opération de dispersion aval.