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La reconstruction : un défi technique et local

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 60-67)

Introduction Partie 1

Chapitre 1. La reconstruction – un angle mort de la prévention en France ?

1.3. La reconstruction : un défi technique et local

1.3.1. Prédominance des approches sectorielles et locales

La reconstruction est donc envisagée en France de manière sectorielle et locale. Qu’il s’agisse de retours d’expérience ou de documents de cadrage de la politique française de prévention et plus largement de gestion des risques, la majorité des publications n’offre pas de vision systémique et globale de la reconstruction. Cependant, ces dernières années, deux publications ont attiré notre attention en raison de leurs propositions de nature méthodologique pour mieux connaitre et mieux gérer les défis de la reconstruction : le rapport de l’Institut des Risques Majeurs (IRMA) par Chance et Noury de 2011, et le rapport de l’Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice (INHESJ) dirigé par Schott et al. (2015). Le second document est focalisé sur la gestion des inondations dites extrêmes et reste sectoriel. Toutefois, les recommandations formulées dans ce rapport sont de nature à être transposées pour des reconstructions consécutives à d’autres types de catastrophes majeures comme plus modérées en termes d’impact. On peut citer par exemple la recommandation 52 qui propose de «Modifier l’article L 111-3 du code de l’urbanisme, [et]renverser ainsi le principe de droit à reconstruction après sinistre. Il faut prévoir que dans les zones de danger

(à qualifier) en cas d’inondation d’une exceptionnelle gravité, la reconstruction après sinistre est impossible sauf mention expresse dans le PPRI. Il faut ainsi définir des zones précises où la reconstruction après sinistre sera impossible et en informer nominalement les propriétaires au moment de l’adoption du Plan Local d’Urbanisme (PLU) ou du PPRI» (ibid., 2015). On peut imaginer de placer le curseur d’une autre manière que sur le caractère exceptionnel de l’inondation et ainsi adapter cette mesure à des inondations plus modestes mais, qui ponctuellement, peuvent revêtir une dimension dramatique en portant atteinte à la vie des occupants des bâtiments.

Les travaux sur la reconstruction en France sont relativement récents en comparaison avec les travaux sur la gestion des risques et des catastrophes naturelles. Il a fallu attendre les années 2000 et notamment le REX sur le cyclone Lenny aux Antilles en 1999 (De Vanssay et al., 2000) pour voir émerger les premiers travaux ayant une partie consacrée à la reconstruction. Avant cette mission de REX, Bourrelier (1997), dans son rapport d’évaluation des politiques publiques en matière de prévention avait évoqué la reconstruction en tant que période où des mesures de prévention pouvaient être prises. Ces mesures, essentiellement techniques portaient sur des enjeux particuliers (infrastructures et bâtiments) à reconstruire en prenant en compte les risques auxquels le territoire est exposé.

Le rapport Bourrelier (1997) évalue l’efficacité de la politique française de prévention des risques et la prise de décision dans le contexte de décentralisation. Il analyse la chaîne de prévention, dans laquelle il inclut la «préparation judicieuse à l’après crise». Cette préparation est divisée en deux volets : la prise en compte des risques dans les constructions futures et les questions d’indemnisation. De plus, dans les recommandations des inspections générales (IGE et IGA) et des missions parlementaires, qui occupent huit pages (ibid., pp. 694 à 702), dix lignes sont consacrées à la thématique de la reconstruction, soit 6,25 %. Il y est prescrit de reconstruire sur un autre site quand une construction en zone à haut risque a subi des destructions. La seconde occurrence de thématique de la reconstruction évoque la question des délocalisations, il s’agit alors d’aider à la délocalisation pour les entreprises en zone à risque élevé quand cela est possible. Cette approche reste sectorielle et partielle puisque l’aspect financier prévaut sur l’aspect politique et stratégique des choix opérés. Elle a cependant permis de stimuler la réflexion sur le sujet.

La temporalité de gestion de la reconstruction est la même que celle de la prévention, il s’agit du temps long. Ce constat n’a pas vocation à nier l’importance des études sectorielles ou à réduire l’importance des thématiques comme l’indemnisation, mais bien à mettre en exergue les lacunes méthodologiques dont souffre l’analyse du processus de reconstruction. L’indemnisation et plus

généralement le financement de la reconstruction sont des problématiques fondamentales. En effet, l’indemnisation détermine les modalités pratiques du relèvement. Dans le domaine de la prévention, les sommes allouées influent aussi sur la qualité des actions de prévention et sur leurs modalités de mise en œuvre. La loi du 13 juillet 1982 a gelé la situation en laissant penser que le remboursement

«automatique» des dommages aux particuliers et entreprises réglerait le problème. Or si ces remboursements sont bien perçus par les sinistrés en général, ils limitent la responsabilisation ce qui est dénoncé de façon récurrente par les rapports et REX (Bourrelier, 1997 ; Ledoux, 2000 ; Lefrou et al., 2000). Enfin, le remboursement des dommages n’est pas une action de prévention ni une réparation, c’est une compensation monétaire des dommages. Or de nombreux dommages ne sont pas pris en compte par les assurances : dommages au domaine public, dommages extérieurs aux habitations, valeurs non monétisables (pertes de vie humaines, impacts santé, biens affectifs), etc.

1.3.2. Une approche technique plus que méthodologique

Pour la France, le constat est celui d’une absence de questionnement au niveau institutionnel sur la reconstruction. Le texte récent de la Stratégie Nationale de Gestion du Risque Inondation (SNGRI, DGPR-MEDDE 2014) ne fait quasiment pas état de la reconstruction, le terme n’est jamais évoqué. Par contre, le document comporte des occurrences des termes «rebondir» (une occurrence) et «retour» (cinq occurrences dont quatre dans l’expression «retour à la normale»). Lorsque la

«post-crise» est évoquée c’est par le biais des indemnisations. L’approche développée prône l’intégration de stratégies multirisques aux politiques d’aménagement du territoire et plaide en faveur d’un décloisonnement entre gestionnaires, c’est d’ailleurs un des objectifs de la réunion des compétences Gestion des Milieux Aquatiques et Préventions des Inondations (GEMAPI) au sein des Etablissement Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) à fiscalité propres ou de leurs groupements, les Etablissements Publics d’Aménagement et de Gestion des Eaux (EPAGE) et les Etablissement Public Territorial de Bassin (EPTB). Mais il n’est jamais mentionné de stratégie de reconstruction permettant de réduire les risques, ni de possible anticipation d’une reconstruction dans ce document de cadrage de la DGPR. Les questionnements émanant de politiques sont aussi très faibles du fait de la capacité de résilience du système français dans un contexte où le pays n’a pas encore essuyé de sinistre majeur comme le serait un séisme à Nice ou une crue majeure de la Seine.

De fait, il n’y a pas de réflexion globale ni de capitalisation des informations et expériences, tout se passe comme si la reconstruction était une simple remise en état des territoires sinistrés, permise par des financements conséquents. Les modalités de la politique de prévention globale ne sont pas remises en question par et pendant la reconstruction. Pourtant, le fait même qu’il y ait catastrophes et reconstructions atteste des limites de la politique de prévention, qu’il s’agisse des mesures de

réduction de la vulnérabilité ou des actions de protection qui visent à agit sur l’aléa. L’absence de remise en question des actions engagées depuis plusieurs décennies et l’absence de débat public en période de reconstruction remet en cause la notion d’opportunité préventive.

Malgré ces lacunes, il existe des outils qui permettent de poser les fondations d’un réel travail opérationnel et stratégique sur le processus de reconstruction. Le plan de continuité d’activité (PCA) en fait partie en ce qu’il est un outil de planification pour la gestion de crise et de la post-crise (CEPRI 2011). Les PCA ne sont pas des outils qui permettent de gérer la reconstruction à proprement parler mais ils ont pour but d’anticiper la transition entre la gestion de crise et les phases de réhabilitation et reconstruction. Ils constituent en cela des outils qui facilitent la mise en œuvre des opérations de reconstruction. Il s’agit de recenser les services des collectivités ou entreprises qui sont essentiels au retour à la «normale» et de réunir les moyens humains, financiers et stratégiques nécessaires à leur maintien en situation dégradée. «Anticiper apparait vital pour le fonctionnement de nos collectivités, pour le service qu’elles rendent à la population (service que personne d’autre, pas même l’Etat ne peut assurer à leur place) et pour leur image de marque» (Doligé, in CEPRI 2011). Les PCA visent la diminution des besoins d’un territoire en assistance extérieure pour libérer des capacités d’intervention pour d’autres zones impactées. C’est donc une démarche responsable et solidaire qui permet d’assurer une plus grande efficacité des actions de gestion de crise et de celles de la post-crise.

Ce guide de réorganisation de la collectivité en mode dégradé est composé d’une somme d’outils opérationnels issus d’une stratégie choisie par la collectivité. Ils nécessitent, comme toute action préventive, certains prérequis dont le pilotage par une volonté politique forte. Les PCA sont aussi trop centrés sur une échelle locale sans prendre en compte les effets dominos liés au fonctionnement en réseau sur des territoires plus vastes que ceux de la collectivité territoriale. Ils n’intègrent pas non plus les autres plans existants comme par exemple chez Électricité Réseau Distribution France (ERDF), or l’absence de coordination entre plans de continuité peut conduire à leur inefficacité. Les travaux sur les PCA ont pour intérêt de placer la catastrophe, et de fait la reconstruction, dans le champ des possibles. La préparation est alors envisagée comme une nécessité et non comme une option. Cette évolution se fait de manière interdépendante avec les évolutions de la notion de catastrophe. En effet, la notion de catastrophe est passée d’une définition limitée à un phénomène qui affecte une société devenue victime, à celle d’un désastre socialement construit. En filigrane se dessine le passage d’une société passive qui subit à une société civile responsable de sa sécurité. Cette transformation qui

accompagne le désengagement de l’Etat (dans un contexte de libéralisation et de réduction des moyens financiers et humains de l’Etat) est actée par la loi de modernisation de la sécurité civile13.

Conclusion

La reconstruction en France s’apparente à l’achat de la «paix sociale», l’indemnisation systématique est la règle sans que l’on puisse parler de réelle conditionnalité des subventions. Le processus est géré à l’échelle locale sans qu’il y ai de capitalisation des expériences et informations ni de débat sur la manière de reconstruire et les implications que cela peut avoir sur le temps moyen et long du développement des sociétés. La reconstruction ne fait pas débat en France car le sujet est très politique. Les travaux existants traitent principalement des aspects financiers et techniques et ils sont récents (au regard de la thématique de gestion des risques). En plus de la recherche de responsabilités, l’absence de suivi médiatique de la phase de reconstruction peut être un facteur explicatif du manque d’intérêt pour le sujet. Les phases de crise et de post-crise immédiates sont très médiatisées mais les thématiques de la reconstruction et de la prévention sont moins rentables en matière d’audimat. Moins spectaculaires, elles mettent moins l’accent sur le pathos14 engendré par la précarité des situations individuelles voire collectives que sur les échecs de la politique en place et que sur la dignité de ces êtres aux vies brisées qui se relèvent pour se reconstruire. Le rôle des médias dans la gestion des risques et plus précisément dans la période post-catastrophe sera développé dans la deuxième partie de cette thèse. Ainsi, les travaux sur la mise en œuvre d’une «éthique préventive» en période de reconstruction sont stimulés par le constat de la difficulté à mettre en place des mesures structurelles en temps normal.

13Loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

14Nous parlons ici du pathosd’Aristote : un des moyens de persuasion dans l’art de la rhétorique.

Chapitre 2 – La reconstruction post-catastrophe – quelle articulation avec les notions de réduction des risques de catastrophe et de durabilité ?

Introduction

Si la reconstruction ne fait pas débat en France, elle est davantage traitée à l’échelle internationale. Quels sont les éléments qui motivent les chercheurs à travailler sur la reconstruction ? Comment définissent-ils ce concept et dans quels buts ? Comment la reconstruction est-elle théorisée ? La bibliographie internationale est produite par des chercheurs en sciences humaines et sociales et par des opérationnels intervenants en période d’urgence (Haas et al., 1977 ; Mc Entire, 2007). Cette littérature est fondée sur une tradition de REX dictée par le rôle de l’aide internationale dans la gestion de crise et de la reconstruction post-catastrophe, et plus largement dans les programmes d’aide au développement à destination des pays pauvres. Ce sont donc ces pays pauvres, «supposément plus touchés par les catastrophes et pour lesquels les capacités de résilience sont a priori faibles» (Revet, 2006), qui concentrent la majeure partie des recherches. Les études sont réalisées par des gestionnaires de la phase d’urgence (des architectes notamment) avec une entrée technique concernant les modalités constructives. Les travaux portent sur l’emploi de méthodes de construction plus résistantes aux risques et/ou mieux adaptées aux ressources locales. Les chercheurs en sciences humaines et sociales sont à l’origine des études sur les évolutions territoriales des régions sinistrées (Quarantelli, 1984 ; Oliver-Smith, 2009 ; Gaillard, 2008).

Les études étaient peu nombreuses sur la reconstruction post-catastrophe dans les pays riches où la reconstruction semblait plus évidente puisque ces pays avaient les capacités (financières et institutionnelles principalement) de se relever des conséquences d’un désastre d’origine naturelle. Les reconstructions après Katrina à la Nouvelle-Orléans et après le séisme et tsunami de mars 2011 au Japon ont donné lieu à de nombreuses recherches qui ont montré que la reconstruction post-catastrophe recèle des enjeux sociaux, politiques sanitaires et territoriaux quel que soit le degré de richesse du pays (Comfort et al., 2010 ; Hernandez, 2008). La plupart de ces travaux concernent la phase de l’immédiate post-catastrophe, or les conséquences des reconstructions s’étendent sur le long terme. A la fin des années 1970, les problématiques soulevées par la reconstruction motivent un nombre important d'études scientifiques (Haas et al.,1977 ; Davis, 1978, 1981a et b cités par Vinet 2007). Ces études concordent avec l’évolution de l’aide internationale dans la gestion des catastrophes naturelles, aide jugée trop ponctuelle (Revet 2009), et peu articulée avec les structures locales donc parfois mal calibrée. La reconstruction post-catastrophe est alors devenue indissociable des questions de développement (Aysan et Davis, 1992 ; Alexander, 2004). Ainsi après avoir traité des lacunes en

matière d’approche française de la reconstruction, nous opérons un changement d’échelle pour dépeindre et analyser les travaux scientifiques et institutionnels internationaux, ce qui nous conduit à questionner les relations entre stratégies de réduction des risques, résilience et reconstruction.

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