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Evolutions du concept de reconstruction

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 67-72)

Introduction Partie 1

Chapitre 1. La reconstruction – un angle mort de la prévention en France ?

2.1. Evolutions du concept de reconstruction

2.1.1. La sociologie des catastrophes

Les premières études sur la période post-catastrophe menées dès les années 1980 portent surtout sur l’impact psychologique et émotionnel des catastrophes (Gilbert, 1998 ; Nigg, 1987), ou sur des variables sociologiques telles que la relation entre l’âge des sinistrés et les capacités de reconstruction (Bell et al., 1978 ; Huerta et Horton, 1978). Ces travaux prennent l’individu pour échelle d’analyse et traitent de la reconstruction comme d’un processus à part entière (Smith et Wenger, in Rodriguez et al., 2006). La reconstruction est aussi envisagée comme un processus planifiable, puisqu’elle est scindée en différentes séquences dont la propriété est de se reproduire systématiquement (Kates et Pijawka1977). Dans cette acception, chaque étape correspond à une série d’actions à mettre en œuvre pour accéder à l’étape suivante. Ces travaux partaient du principe que les choix et actions avaient pour aboutissement le retour à la normale, entendu comme un rétablissement de la situation antérieure. Si ces définitions ont l’avantage de rompre les barrières théoriques entre les différents secteurs de la reconstruction par l’approche temporelle en entrant dans la reconstruction par le phasage du processus, elles restent trop simplistes et gomment les différences au sein d’un système soumis à l’effort de reconstruction. Les études réalisées à la fin des années 1990 (Barry 1997 ; Platt 1999) soulignent l’importance des facteurs socio-politiques, culturels et économiques. Elles prennent pour échelle d’analyse la communauté et tendent à analyser les effets des reconstructions sur un pas de temps plus long que les travaux précédents. Les notions de pouvoir, de race, de classe sociale, de genre, l’expérience passée des catastrophes, ainsi que l’accès aux ressources (dont l’information) jouent un rôle dans le processus de reconstruction et leur étude ne peut être menée qu’à long terme.

Olson (2000) complète cette approche par des travaux sur le rôle du pouvoir dans la prise de décision.

La notion de vulnérabilité est alors étroitement liée à celle de reconstruction. Cannon en 1994 définit la vulnérabilité comme l’ensemble des «conditions propres à une société qui font que l’occurrence d’un phénomène naturel potentiellement dommageable se transforme en catastrophe» (Cannon, 1994).

Ces travaux centrés sur les modes de gestions et sur l’analyse de l’évolution des vulnérabilités éludent les questions liées aux modalités constructives. Rubin et Barbee en 1985 établissent une

définition axée sur la réparation et la restauration des bâtiments ainsi que sur la différence entre le relèvement à court terme et la reconstruction à long terme. Ces études sont poursuivies par l’analyse de l’aménagement du territoire et la planification urbaine en période de post-catastrophe (Ohlsen et Rubin, 1993). L’échelle d’analyse est la famille et l’on cherche à comprendre la capacité des foyers à se relever ainsi que les facteurs qui favorisent ou au contraire freinent leur reconstruction (Quarantelli, 1982). Ces études font suite à celles qui portaient sur les réponses des familles à l’alerte et sur la prise de décision sur les évacuations (Perry, 1982 ; Drabek et al., 1969). Nigg en 1995 étudie la reconstruction par une approche que l’on peut qualifier de «sociologie des catastrophes»15 puisqu’il définit la reconstruction comme un processus social déterminé par des conditions qui préexistent à la catastrophe. Il pose ainsi les jalons d’une analyse de la reconstruction comme phénomène intégré dans la vie des sociétés : comme une continuité, et non plus comme une rupture dont la cause est extérieure.

L’aboutissement de ce raisonnement se situe dans les travaux d’Oliver-Smith (1999) qui propose de définir ce qu’est une «reconstruction durable». La reconstruction est envisagée comme une opportunité d’orienter les territoires et sociétés vers un développement plus respectueux des ressources et des besoins des générations futures. La reconstruction durable s’attache à réduire les inégalités sociales et à mettre en œuvre des mesures de mitigation. Ainsi, les principes de la réduction des risques de catastrophe sont progressivement incorporés aux travaux sur la reconstruction par le biais des travaux sur les causes profondes (au sens de l’anglais «root causes») de la vulnérabilité (Becker 1994, Smith 2004). Le champ de vision s’élargit et l’on replace la catastrophe et ses conséquences dans le contexte plus large du développement des sociétés.

2.1.2. L’approche du risque par l’endommagement : la reconstruction traitée par ses aspects physiques

Un changement d’échelle est opéré pour passer de la communauté au territoire, la question qui se pose alors est de savoir comment palier l’endommagement / la destruction (c’est le paradigme risk research16) et la reconstruction est alors entendue comme l’ensemble des actions permettant de bâtir à nouveau. A partir des années 2000, beaucoup de travaux ont été faits sur la reconstruction physique des bâtiments et des infrastructures, avec pour question centrale de savoir comment mieux les reconstruire (Geis, 2000). L’objectif de ces études est de trouver des méthodes de construction qui soient plus résistantes aux aléas et qui permettent d’améliorer les performances énergétiques des

15En référence au livre «Sociology of disasters» de Dynes, Marchi et Pelanda (eds.) (1987).

16Voir Reghezza 2013

bâtiments. L’amélioration de l’esthétique avec notamment les questions d’harmonisation et d’unité urbaine est aussi prise en compte. Ces travaux sur la reconstruction reprennent le postulat du processus planifiable en l’associant à celui de la possibilité de mettre en place une gestion intégrée de la reconstruction. Les ambitions de la reconstruction sont alors de repenser le développement et de l’ajuster aux besoins et aux tendances d’évolution des sociétés soumises à l’effort de reconstruction.

Cette notion de reconstruction comme opportunité préventive ne fait pas l’unanimité chez les chercheurs. L’étude historique des reconstructions par une approche comparative (Vale et Campanella, 2004) met en avant le fait que les périodes de reconstruction ne sont pas des périodes qui génèrent des gains en matière de prévention et de développement durable. Au contraire, elles sont plus souvent des périodes de creusement des inégalités et d’augmentation des vulnérabilités, principalement des plus démunis, pour qui la situation de précarité engendrée par la crise peut perdurer plusieurs années (Oliver-Smith, 1991 ; Gaillard, 2008 ; Hernandez 2009). Des travaux portant sur la reconstruction suite aux inondations stipulent que les reconstructions sont un retour à une situation préexistante (Whittle et al., 2011). Le préfixe «re» implique une reproduction, de vulnérabilité notamment. Le retour à une situation antérieure a tendance à augmenter les vulnérabilités car elle conserve les tendances préexistantes qui sont creusées par les conséquences de la catastrophe. Les travaux menés par la suite imputent cette augmentation des vulnérabilités aux impératifs temporels de la reconstruction. Après la catastrophe il y a nécessité et volonté de reconstruire vite et mieux mais l’urgence dans laquelle la reconstruction est organisée empêche souvent de traiter les causes profondes de la vulnérabilité voire pire l’augmente par ignorance de certains problèmes et de leurs causes (Ingram et al., 2006). La définition de la reconstruction est ainsi complétée par une possibilité de changement. Elle inclut le rétablissement des fonctions vitales de la société avec des standards minimum de fonctionnement et le retour des activités permettant de revenir au niveau de vie d’avant la catastrophe ou l’accession à un meilleur niveau de vie sur le long terme (Godschalk, 1991 cité par Mc Entire, 2007).

Pour produire une approche méthodologique, les définitions ont par la suite dû prendre en compte la pluridisciplinarité et insister sur le fait que la catastrophe est une construction sociale. Cela signifie que la société produit les vulnérabilités qui vont concourir à une situation catastrophique.

Comme une empreinte en creux, cela signifie aussi qu’elle a la capacité de modifier des paramètres pour moduler sa propension à subir un risque de catastrophe. Progressivement, l’idée s’installe que pour mettre en œuvre une reconstruction qui ne soit pas un accélérateur de vulnérabilités et plus généralement de paupérisation des communautés sinistrées, elle doit être planifiée. La planification ex anten’est cependant pas suffisante pour mettre en place une réelle stratégie de RRC. La catastrophe

dépassant par définition les capacités de réponse des sociétés, elle engendre une situation dont l’évolution est incertaine. Ainsi la planification ex antede la reconstruction reste limitée et doit être complétée avec un effort de planification ex post. La définition de la reconstruction évolue encore vers une prise en compte plus systémique et diachronique. « Disaster recovery can be defined as the differential process of restoring, rebuilding, and reshaping the physical, social, economic and natural environment through pre-event planning and post-event actions »(Smith et Wenger, in Rodriguez et al., 2006).

Cette dernière définition présente l’intérêt de détailler les principales actions : restaurer, reconstruire et recomposer ; ainsi que les principaux domaines (environnement bâti et naturel, domaines social et économique) du relèvement post-catastrophe. Cependant, elle occulte les principes de réduction des risques et de développement durable. La définition est purement descriptive et ne permet pas d’englober les conséquences des actions et des choix stratégiques. Bryson et al. (2002) conçoivent la planification de la reconstruction comme un système dont les motivations sont le contrôle et la sécurité interne. Cette définition met l’accent sur une restauration rapide des services lorsqu’ils sont mis en péril par une catastrophe naturelle. Elle a le mérite de prendre en compte les conséquences des actions et de fixer un objectif aux prises de décisions. Cette approche reste malgré tout ancrée dans le court terme et réductrice.

2.1.3. Intégration des notions de relèvement et de durabilité

Le développement des travaux sur le développement durable opère et traduit un changement de paradigme (hazard research17) qui prône une gestion plus intégrée. La reconstruction physique fait de la place au relèvement des territoires et sociétés. Alexander (2010) propose d’inclure cette dimension de durabilité dans la reconstruction en entrant dans le sujet par la porte de la réduction des vulnérabilités ou par celle de la mitigation. Selon l’auteur, la mitigation doit être pensée en accord avec les principes du développement durable. Cela signifie qu’elle doit pouvoir résister dans le temps en ayant la capacité de s’adapter aux nouvelles circonstances tout en ne portant pas atteinte à l’environnement. Pour ce faire, il est nécessaire de combiner des méthodes structurelles et non structurelles de réduction des vulnérabilités. Pour être efficace, la mitigation en période de reconstruction doit en outre obtenir un soutien fort de l’opinion publique. En filigrane se dessine une définition d’une reconstruction durable. Cette reconstruction permettrait de générer une dynamique de

17Voir Reghezza 2013

développement économique, de préserver le genius loci18 et de créer – ou recréer – une unité au sein de la communauté locale ainsi que dans le rapport de la communauté avec le gouvernement central.

Cette acception de la reconstruction prend en compte des aspects socio-économiques par le biais de l’attachement au territoire et des conflits pour les aspects sociaux ; et par le biais des emplois et des moyens de subsistance pour l’aspect économique. Elle intègre aussi les problématiques de réduction des vulnérabilités sur le temps long. Cette définition de la reconstruction durable est indissociable de la notion d’opportunité préventive. Cependant, il est des facteurs de durabilité qu’elle ne prend pas en compte comme les modalités de prise de décision ou encore la notion de qualité environnementale (Pusawiro, 2011). La durabilité est conditionnée par un engagement sur le temps long qui se traduit notamment par la maintenance des bâtiments et infrastructures. En effet, un bien peut-être reconstruit de manière préventive et répondre aussi aux impératifs du développement durable, s’il n’est pas entretenu, les gains préventifs diminueront avec le temps. Les digues sont un bon exemple pour illustrer cette problématique. Elles sont en effet construites pour protéger les enjeux mais peuvent devenir source d’un danger accru si elles sont mal entretenues (Defossez, 2009 ; Vinet, 2010). A ce sujet, Comfort et al. (2010) entendent la reconstruction durable comme une dynamique visant à développer un système d’éducation viable capable de former des décideurs professionnels, des gestionnaires, des ingénieurs et du personnel médical pour gérer, faire vivre et entretenir les infrastructures reconstruites.

La multitude de définitions et d’approches de la reconstruction témoigne de l’effort de conceptualisation mais aussi de l’absence de consensus. Elle met aussi en lumière le caractère pluridisciplinaire et multiscalaire, global pourrait-on dire, des problématiques soulevées par ce concept. Cette analyse qualitative est complétée par une analyse quantitative à l’aide des méthodes de bibliométrie. On ne peut pas parler de progression historique des travaux sur la reconstruction à la manière d’une succession : d’abord les aspects sociologiques, puis les aspects physiques et enfin les aspects de gestion intégrée et durable. Si l’enchainement semble correspondre aux différents paradigmes de la gestion des risques on ne peut pas parler de succession linéaire, il s’agit plutôt d’évolutions au gré des spécialités des auteurs qui traitent de la reconstruction et des problématiques spécifiques posées par les études de cas de ces derniers.

18Locution latine que l’on peut traduire par « l’esprit du lieu »qui évoque l’attachement des communautés à leur territoire

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