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La grande absente des représentations de la gestion des risques

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 55-60)

Introduction Partie 1

Chapitre 1. La reconstruction – un angle mort de la prévention en France ?

1.2. La grande absente des représentations de la gestion des risques

1.2.1. Représentations de la gestion des risques : retranscrire la non linéarité des relations de causalité

La gestion des risques naturels est souvent symbolisée par la forme du cycle (Noury et Chance, 2011 ; Leone et al., 2010). Cette forme de représentation n’est pas propre à la France et est présente dans la littérature internationale. Les figurations réalisées par les auteurs français ne prennent pas ou très peu en compte la période de relèvement post-catastrophe. L’accent est alors mis sur la gestion de crise, de post-crise immédiate puis sur la période de prévention et de préparation à une

catastrophe future. Ainsi toute la période de relèvement des territoires et sociétés est-elle occultée de ces représentations. Lorsqu’elle est indiquée, elle bénéficie de beaucoup moins de détails et d’informations que les autres phases.

La représentation sous forme de cycle, si elle est très utilisée est aussi critiquée dans la mesure où l’issue n’est pas définie, autrement dit, le cercle en question est-il vicieux ou vertueux ? Le caractère circulaire de la représentation est problématique car il peut contribuer à véhiculer l’idée que la catastrophe est une perturbation extérieure et qu’elle appelle le rétablissement d’un équilibre en revenant à l’état antérieur (White et al., 2003 ; Few, 2007). White et al. (2003) parlent alors d’une

«spirale négative» du risque pour traduire les effets pervers d’un retour à la situation antérieure qui reproduit les tendances à l’identique alors même que la catastrophe et la nécessité de reconstruction ont mis en évidence les failles. White et al., (ibid.) opposent à cette «spirale négative» une «spirale vertueuse» qui traduit la capacité des sociétés à tirer des leçons de la gestion des évènements passés et à gagner en prévention. Si les auteurs reconnaissent l’utilité du cycle en tant qu’outil analytique, ils posent aussi les limites de l’outil. La représentation sous forme de cycle opère aussi une séparation théorique entre les différentes périodes de la gestion des risques et ne donne pas à voir immédiatement la superposition, les jeux d’influence, et les variations internes à chaque période (variations de vulnérabilités et de capacités de réponse entre type d’enjeu, entre individus, etc.). In fine, c’est la difficulté à distinguer clairement, dans la forme de cycle, le processus de production du risque – ou au contraire de réduction – qui est en jeu.

La forme du cycle contribue à gommer les variations existantes et envisageables, autrement dit elle élimine les informations très fines qui participent de l’explication systémique de la fabrication des vulnérabilités à différentes échelles et par les interactions de plusieurs processus de gestion environnementale, politique, économique, sociale, etc. Comme tout modèle, elle gomme les éléments qui dépendent de facteurs trop singuliers pour se concentrer sur les tendances à des échelles géographiques et à des pas de temps plus vastes. Si elle ne suffit pas à elle seule à représenter la complexité des relations de dépendance qu’entretiennent les périodes de gestion les unes avec les autres, ainsi que les variations locales d’un point de vue géographique et chronologique, elle permet d’effectuer un premier cadrage général qui appelle la discussion et la précision.

Nous avons tout de même choisi de garder ce mode de représentation par le cycle car malgré ses limites, il comporte de nombreux avantages. Il permet de figurer sans hiérarchiser les différents éléments, autrement dit, sans jugement de valeur sur l’importance d’une période par rapport aux autres. Les actions menées dans chacune de ces périodes influencent la manière dont sera gérée la

période suivante. Adapté à un cas d’étude, ce type de représentation devrait être détaillé pour décrire les causes et conséquences des variations locales. Il permet aussi d’exprimer sur un même plan différentes temporalités allant du court au long terme. Enfin, il évoque la possibilité du changement en restant ouvert. Le mode de représentation que l’on propose ici (cf. figure 4) pourrait aboutir in fineà une forme de spirale si l’on cherchait à l’étendre sur 100 ans par exemple. La spirale pourrait alors être positive ou négative en fonction des leviers et blocages rencontrés et des réponses qui leur ont été apportées. Ainsi le cycle tel que nous le concevons est le premier anneau d’une spirale qui représenterait la trajectoire d’évolution des sociétés et de leurs territoires. On voit poindre ici le concept de résilience qui sera détaillé en chapitre 2.

1.2.2. Place de la reconstruction dans ce cycle

Le schéma ci-dessous propose (cf. figure 4) une représentation du cycle de gestion des risques prenant en compte le temps long et transcrivant une approche de l’aménagement du territoire. Le caractère central des politiques d’aménagement a été choisi pour développer une approche institutionnelle et collective des trajectoires de reconstruction.

Figure 4 :Représentation du cycle ouvert de la gestion institutionnelle et collective des catastrophes

Le point de départ temporel de l’analyse est la catastrophe qui représente le T0 (temps 0)12, autrement dit, elle constitue notre clé de lecture de l’aménagement du territoire. Le fait de prendre la catastrophe comme origine temporelle des politiques de gestion des risques implique d’adhérer au postulat selon lequel les catastrophes sont fondatrices en matière de gestion des risques. Ce postulat peut être étayé par les dates d’approbation des PPR, de la révision des documents d’urbanisme, de la production d’outils de sensibilisation et de l’information sur les risques. Ainsi, la catastrophe de 1999 dans l’Aude a joué le rôle de déclencheur dans l’approbation des PPRI (I pour inondation) dans le département. Ce fut aussi le cas en Dracénie (département du Var) après les inondations de 2010. Pour ces deux territoires, les PPRI ont été approuvés dans l’année qui a suivi la catastrophe afin de contraindre l’urbanisation dans les zones à risque. Durant cette première année, les actions des phases

12La chronologie est détaillée en chapitre 4, pp. 129 à 156

de gestion de crise, de post-crise et de réhabilitation s’enchainent avec pour ambition la mise en sécurité des personnes des biens et du territoire d’une part, et la mise en place les conditions de la reprise d’activité, d’autre part. La période de gestion de crise comprend donc les actions de sauvetage des personnes et de mise en sécurité. Ces opérations se poursuivent durant la période de post-crise pendant laquelle la notion d’urgence est peu à peu diluée à mesure que les effets dominos sont écartés par la sécurisation des lieux sinistrés (Vinet, 2007). Notons ici que la phase de gestion de crise, liée à la persistance des effets dominos néfastes, peut perdurer dans le temps et continuer de générer et d’entretenir de l’insécurité et de la précarité alors même que la reconstruction à proprement parler est amorcée. C’est le moment où le relogement est organisé et plus généralement, où les mesures d’aide temporaires sont prises pour venir en aide aux sinistrés. En parallèle, l’évaluation des dommages est réalisée pour calibrer le montant des aides à attribuer à chaque secteur : les biens publics, les biens privés parmi lesquels on distingue les habitations, les moyens de locomotion et les entreprises dont agricoles, qui bénéficient d’un régime particulier. En France c’est aussi le temps des expertises par les compagnies d’assurance (ce qui se fait aussi dans d’autres pays riches) et de la reconnaissance des territoires en état de Catastrophe Naturelle. Lorsque l’estimation du coût des dommages est terminée, le nettoyage et la remise en état peuvent commencer. Ces opérations peuvent être regroupées sous le terme de réhabilitation (Vinet et al., 2011b). La réhabilitation peut être définie comme l’ensemble des mesures permettant le retour à un fonctionnement du territoire suffisant pour assumer l’effort de reconstruction qui passe par la reprise des activités. Durant cette phase les acteurs de la reconstruction se réunissent afin de programmer l’attribution des crédits dédiés à la reconstruction.

La phase de reconstruction à proprement parler marque une rupture avec les phases précédentes (gestion de crise et post-crise immédiate) en ce qu’elle est tournée sur le relèvement du territoire à moyen et long terme. Les travaux et actions de réduction des risques et de relance du développement du territoire qui sont programmés et mis en œuvre à cette période s’étendent sur plusieurs mois et années. Ils sont souvent repris par des programmes de prévention et d’aménagement du territoire plus larges et qui font appel à des financements plus diversifiés et à des modes de gouvernance plus «traditionnels», c’est-à-dire, hors gestion spécifique de la reconstruction. Ce glissement peut poser problème car les personnes en charge des dossiers changent de poste (c’est particulièrement vrai dans la fonction publique) et que les procédures classiques n’ont pas été conçues pour gérer les temporalités et modes de financements propres aux actions de reconstruction. Durant cette phase les premiers REX sont menés sur les actions de gestion de crise et de post-crise immédiate.

La période de prévention a pour origine temporelle la tenue des REX menés en général dans l’année qui suit la catastrophe. La prévention consiste à prendre des mesures structurelles,

organisationnelles et informelles de réduction des risques et vulnérabilités. Certaines mesures de prévention peuvent être initiées pendant la reconstruction et se poursuivre pendant la période de développement et prévention qui suit. L’enjeu est de répondre aux problématiques de défauts ou manquements dans la stratégie identifiés avant la catastrophe et/ou mis en évidence par la catastrophe.

Nous avons identifié trois périodes auxquelles des REX peuvent être menés :

A T+1 : pour analyser la gestion de la crise et la programmation des crédits de reconstruction.

C’est pendant la période de gestion de la post-crise que sont mises en place des structures de gouvernance de la reconstruction.

A T+5 : pour analyser la mise en œuvre de la reconstruction (lieux, moyens humains et économiques, programmation). Cela permettrait aussi de mieux identifier les besoins et les moyens à mobiliser pour achever les actions de reconstruction.

A T+10 : pour analyser l’efficacité des décisions prises pendant la reconstruction.

Les enseignements tirés de la catastrophe et de la gestion du processus de relèvement sont autant de pistes d’évolution des politiques de gestion des risques. C’est cette capacité à tirer les leçons des expériences passées qui fait prendre toute son importance à la démarche de REX et qui permet de transformer un cercle potentiellement vicieux en cercle vertueux.

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