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Chapitre 3 La base de ressources, les stratégies d’interaction et les réponses initiales

B. La réduction des interdépendances mène-t-elle à l’autopoièse?

Nous avons dit que l’autonomie est à la base de l’apprentissage. L’autonomie c’est la liberté de choix :

“Le concept technique et philosophique de liberté, le seul que nous considérions ici, signifie seulement : autonomie du choix.” (Jean Paul Sartre, 1943, p. 540)218.

Mais que se passe-t-il s’il y de plus en plus de liberté, donc une tendance vers la liberté absolue (et non plus relative, c’est à dire la réduction des interdépendances)? L’examen du cas le plus extrême de la perte d’interdépendance peut être décrit ainsi :

“Introspection and insanity : a Gödelian problem. (...) I see two major ways of using analogies to connect Gödel’s Theorem and human thoughts. One involves the problem of wondering about one’s sanity. How can you figure out if you are sane?. This is a strange loop indeed. Once you begin to question your own sanity, you can get trapped in an ever-tighter vortex of self-fulfilling prophecies, though the process is by no means inevitable. Everyone knows that the insane interpret the world via their own peculiarly consistent logic; how can you tell if your own logic is

217 “Several studies of decision-making point to the existence of a “slack”, some assets and energies that are

not committed to any specific use but are available.” (slack is sometimes referred to as strategic reserves). (...) An incrementalist, we suggest, is more likely to neglect encompassing analysis and to ignore the initial signs of the exhaustion of the slack than is the mixed-scanner.” (Amitai Etzioni, 1968, p. 295). Le thème des ressources libres sera repris et développé par Crozier (1975). Voir aussi Norbert Alter (1990).

218 “Dès lors, avec homo sapiens, la culture, le langage, nous pouvons concevoir la notion de liberté. L a

liberté n’est pas une qualité propre à l’homme. La liberté est une émergence, qui dans certaines conditions externes et internes favorables, peut émerger chez l’homme…Qu’est-ce que la liberté? Une vision insuffisante la définit comme la reconnaissance de la nécessité. Une autre vision insuffisante la définit comme ce qui échappe à la nécessité, c’est-à-dire l’identifie à l’aléa. Pour qu’il y ait liberté, il faut qu’il y ait un univers où il y ait des déterminismes, des constances, des régularités, sur quoi l’action puisse s’appuyer, mais il faut qu’il y ait aussi des potentialités de jeu, des aléas, des incertitudes, pour que l’action puisse se déployer. La liberté suppose donc déterminismes et aléas. Mais ce sont les toutes premières conditions externes de la liberté. Pour qu’il y ait liberté, il faut qu’il ait aussi ces conditions internes fondamentales : un appareil neurocérébral capable de se représenter une situation, d’élaborer des hypothèses, et capable d’élaborer des stratégies. Enfin, il faut qu’il y ait possibilité de choix, c’est-à-dire les conditions extérieures qui permettent le choix, et les conditions intérieures qui permettent de le concevoir.” (Edgar Morin, 1983, p. 323).

“peculiar” or not, given that you have only your own logic to judge itself? I don’t see any answer.” (Douglas Hofstadter, 1979, p. 696).

De même Cornélius Castoriadis rappelle que l’autonomie, c’est “suivre sa propre loi, explicitement et non pas aveuglément”. La perte d’interdépendances peut mener à des absurdités :

“Un paranoïaque - qui transforme immédiatement toute donnée pour l’adapter à son système d’interprétation parfaitement bouclé et étanche - serait le paradigme d’un être autonome (psychiquement). De même, une société à système du monde totalement clos et rigide - qu’il s’agisse d’une société archaïque ou de la société de 1984- serait “autonome”.” (Cornélius Castoriadis, 1983, p. 436).

L’autonomie, c’est suivre sa loi tout en acceptant les interdépendances. Cependant, la recherche de majeurs degrés d’autonomie peut dériver vers un comportement autopoiètique.

V. Conclusions du Chapitre 4

A la base de toute organisation on retrouve deux modes de régulation essentiels : la commande et l’autonomie. La prédominance de l’un ou l’autre des modes de régulation est le résultat des stratégies passées et présentes. Elles n’est pas explicable par des facteurs précis. Ni la commande, ni l’autonomie ne constituent des données, car bien qu’elles résultent d’actions passées et présentes et des respectifs calculs que font les acteurs de leur capacité d’intervention future, la combinaison spécifique de ces modes de régulation peut varier sous l’effet de nouvelles stratégies.

Est-ce qu’un acteur ou ensemble d’acteurs peut consciemment réguler les modes de régulation? Sous quelles conditions? Avec quelles marges de manoeuvre? Les notions de commande et d’autonomie permettent de décrire les propriétés spécifiques de régulation dont disposent les organisations. Elles n’expliquent pas comment les organisations s’adaptent. Un début d’explication est possible à partir de l’introduction des notions d’apprentissage et d’innovation.

Dans les situations complexes, l’innovation est vitale (Dominique Genelot, 1992, p. 280), mais on oublie souvent que l’innovation est le fait d’innovateurs. Leurs idées s’opposent à celles des autres acteurs au sein des organisations. Tous les acteurs peuvent apprendre à réagir face aux politiques des autres : l’apprentissage est interactif et donne lieu à la propriété de réflexivité. Les conflits ainsi générés, aussi bien à l’intérieur que dans l’environnement contribuent à la complexité que l’on tentait de confronter.

La réflexivité se trouve à la base de deux phénomènes précis : elle contribue à accélérer l’obsolescence des politiques et aux phénomène du surpilotage (“policy

accumulation” ou “oversteering”). Elle contribue ainsi au raccourcissement du cycle de vie des politiques. D’autre part, la réflexivité contribue à la complexité au sein de l’organisation et dans son environnement et explique l’accumulation des retards dans la conception et l’application des politiques (phénomène de l’hystéréris).

On devrait apprendre à réagir de manière adéquate face au phénomène de l’hystéréris. Mais la reconnaissance de la réflexivité nous conduit vers un raisonnement en boucle. Un problème apparemment inévitable d’enchevêtrement de logiques dans notre raisonnement ne nous permet pas de trouver une solution à ce problème essentiel de pilotage.

Ainsi, si l’on est d’accord pour dire que l’innovation et l’apprentissage sont vitaux pour les organisations, les limitations et les obstacles à l’innovation semblent s’accumuler. Le fait que nos modes de gestions n’arrivent pas à prendre en compte les phénomènes de réflexivité et d’hystérésis, les tendances au sur et sous-pilotage et l’étroite panoplie des instruments de politique dont nous disposons finalement commencent à limiter dramatiquement les prétentions de pilotage.

La discussion sur les processus d’apprentissage et d’innovation invitent à la prudence : des questions surgissent auxquelles nous n’avons pas de réponse. L’approche que Michel Crozier a récemment proposée pour confronter “la résistance” des élites au changement semble insuffisante et ne pas prendre en compte les analyses qu’il avait lui pourtant lui-même amorcé219.

Pour apprendre il faut de l’autonomie, mais plus un acteur tend vers l’autonomie, plus il réduit les interdépendances, plus il tendra vers un comportement spécifique : nous devrons aborder le problème de l’autopoièse. Si les acteurs réduisent les interdépendances, et donc ont tendance à se fermer sur l’extérieur, quelles conséquences cela aurait-il pour les processus d’adaptation? Quelles nouvelles implications aurait alors la théorie de l’autopoièse pour la réflexion

s u r l e p i l o t a g e ?

219 “Le problème est donc de les comprendre (NdA : les élites), de se mettre à leur place et de les prendre dans

Chapitre 5 La

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