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Toute action est “communicationnelle”, mais c’est là que commence le problème de l’information

Chapitre 1 La problématique de la gouvernance naît avec l’action

C. Toute action est “communicationnelle”, mais c’est là que commence le problème de l’information

Agir, c’est appliquer des forces et /ou transmettre de l’information. De ce fait la problématique de la gouvernance a de tous temps gravité autour de ces deux idées maîtresses : gouverner, piloter, c’est générer et appliquer différentes doses combinées de force et/ou de communication72.

“Only communication is necessarily and inherently social. Action is not. Moreover, social action already implies communication; it implies at least the communication of the meaning of the action or the intent of the actor, and it also implies the communications of the definition of the situation, of the expectation of being understood and accepted, and so on. Above all, communication is not a kind of action because it always a far richer meaning than the utterance or transmittance of messages alone. As we have seen, the perfection of communication implies understanding, and understanding is not the activity of the communicator and cannot be attributed to him.” (Niklas Luhman, 1986, p. 177) .

69 "Most planners and consumers of plans believe that the principal benefit of planning comes from use of its

product, a plan. The interactivist denies this. He asserts that in planning, process is the most important

product. Therefore, the principal benefit of it derives from engaging in it." (Russell Ackoff, 1981, p. 65).

70 “Economic view misses the goal searching nature of policymaking, including invention and identification

of new goals, social visions and values. Goal searching processes are a main essence of policymaking, both ideawise and empirically, which often is more important than the economizing idea." (Yehezkel Dror, 1988, p. 154).

71 "Le jeu désormais, s'est de plus en plus dégradé tandis que le problème s'est déplacé. Il ne s'agit plus de

faire prévaloir l'intérêt général, mais de faire émerger un consensus suffisant autour d'une vision acceptable de l'intérêt général par ceux qui auront à le mettre en oeuvre dans leurs décisions. Ce qui implique de se centrer non plus sur la décision, mais sur les processus de son élaboration, sur sa mise en oeuvre et sur les résultats qu'elle obtient." (Michel Crozier, 1992, p. 56).

72 “(...) it might be profitable to look upon government somewhat less as a problem of power and somewhat

more as a problem of steering; and it tries to show that steering is decisively a matter of communication." (Karl Deutsch, 1966, p. xxvii).

Bob Jessop a centré l’enjeu du thème de la communication avec pertinence :

“ (…) a) to say that societies get articulated in and through communication is a tautology; b) we need to explore who communicates with whom, how and about what.” (Bob Jessop, 1990, p. 334 and 335)73

Comme l’a indiqué Kenneth Arrow, la communication à l’intérieur des organisations a de profondes implications économiques :

“La capacité très limitée de l’individu d’acquérir et d’utiliser de l’information est un facteur fixe du traitement de cette information et l’on peut penser qu’en augmentant les ressources d’information on rencontre une forme des rendements décroissants. Les techniciens de l’organisation ont depuis longtemps admis cette sorte de limites et l’ont appelée “étendue de contrôle”. (...)En résumé, les coûts d’information, au sens général d’utilisation de ressources rares : a) sont en un certain sens croissants pour l’individu parce qu’il est lui-même un input rare; b) comportent un élément important de capital irréversible; c) et varient d’une direction à l’autre.” (Kenneth Arrow, 1976, p. 45 et 51).

D’autres ont abordé le problème de la communication a partir de la science de l’information, fondée sur la neurologie (voir Beer, Ackoff ). Ces travaux ont donné lieu à des approches différentes : la première voit l’organisation comme un ensemble formel d’acteurs, de niveaux de décision, de procédures d’interaction, et cherche à formaliser la communication et à la rendre plus effective et efficiente; dans la deuxième approche l’organisation est perçue comme un ensemble d’interactions questionnées en permanence, constitué d’acteurs plus ou moins autonomes et cherche au contraire à exploiter la redondance et la libre communication74.

Plusieurs discussions dérivent de cette confrontation. Pour les défenseurs de la redondance, les tentatives de “rationalisation” des flux d’information peuvent avoir des conséquences déplorables : d’une part parce que la plupart des systèmes d’information introduisent des modifications dans les organisations auxquelles ces systèmes ne s’adaptent guère75, d’autre part parce qu’augmenter les flux

d’information n’améliore pas nécessairement la capacité de pilotage (Russell

73 Voir aussi Kenneth Arrow (1976) : "On réunit de l'information même dans des activités qui n'ont pas cet

objectif." et Beer : "Il m'a parfois été impossible de découvrir comment l'information circulait, mais à coup sûr, elle circulait." (Stafford Beer, 1979, p. 110). De même Arnold Meltsner et Christopher Bellavita (1983, p. 16) qui insistent à juste titre sur l’étroite interrelation entre communication et organisation.

74 Le lecteur sait maintenant que la répétition, la redondance constituent un puissant mécanisme de sécurité

lorsqu'une organisation doit exploiter des éléments peu fiables." (Stafford Beer, 1979, p. 237).

75 "Independently designed MIS’s are seldom endowed with a capability of learning and adapting. They

tend to be devoid of either internal or external controls; hence they are not responsive to either their own experience or that of management. Over time they are more likely to deteriorate than improve."(Russell Ackoff, 1981, p. 148).

Ackoff, 1981, p. 143)76, et peut au contraire la réduire77. La nature de ce flux

d’information est fondamentale78.

Pour communiquer il faut non seulement des messages, des canaux, des moyens de transmission, mais aussi des récepteurs de l’information79. Les travaux initiaux

de cybernétique informationnelle, puis les théoriciens de la linguistique (entre autres les travaux de Ludwig Wittgenstein, 1961) suivis des auteurs de la “Nouvelle Communication”80 , avaient développé le thème selon lequel

l’information est à la fois signe et sens. Ces travaux ramenèrent l’attention aux acteurs individuels, leurs codes, la difficulté d’établir la logique de leur langage, leurs manières de comprendre, de transmettre, de traduire une information en décision, l’importance des conversations et du langage corporel81.

Ce faisant ces auteurs introduisirent aussi une explication de taille face aux échecs répétés des tentatives de “rationalisation de l’information” au sein des entreprises82 : en effet quelque soit la qualité et la quantité d’information

76" Cela prouve clairement qu'alimenter de lourdes bases de données ne résoudra pas ce genre de problèmes.

On ne peut pas évaluer d'avance toutes les variantes possibles de tous les programmes possibles et les stocker : ceci est notre argument le plus évident." (Stafford Beer, 1979, p. 175) .

77 “Creating an information overload may disrupt the opponent's capacities." (Karl Deutsch, 1966).

78 "Et ici, pour la n-ième fois, je réfute l'idée couramment admise qu'il faudrait donc avoir accès à toutes les

sources d'information, et pouvoir faire apparaître de longs cortèges de chiffres sur des écrans cathodiques. C'est ridicule. C'est inutile. Il faut enfin nous libérer de l'obsession des chiffres. Il vaut mieux évaluer que chiffrer : c'est un aphorisme qui aurait à coup sûr un succès s'il était tourné plus élégamment. Car c'est un fait que le cerveau humain n'est pas très à son aise avec les chiffres." (Stafford Beer, 1979, p. 200).

79"Si l'on perçoit quelque chose, il doit y avoir des capteurs : par définition, on ne peut pas sentir quelque chose

qui est extrasensoriel." (Stafford Beer, 1979, p. 144).

80 La nouvelle communication, 1981; voir aussi Terry Winograd et Fernando Flores, 1989.

81 Ces discussions eurent de nombreuses retombées en matière de gestion. Alors que les défenseurs de

systèmes de gestion privilégient l'offre d'information, des théoriciens de l'organisation tels que Beer et Ackoff privilégient l’analyse de la demande d'information. Russell Ackoff résume ainsi deux critiques fondamentales des approches traditionnelles de l’information en entreprise : “Most MIS’s are designed under the assumption that one of the most critical handicaps under which managers operate is the lack of relevant information. It is obvious that managers lack relevant information. It is not so obvious that if they had it they would perform better or that they need it critically. My experience suggests that many would not perform better because they suffer from an overabundance of irrelevant information." (p. 139). "Most designers of MIS’s determine what information managers need by asking them what they want. Doing so is based on the assumption that managers know what information they need." (Russell Ackoff, 1981, p. 141).

82 Même Stafford Beer se laissa aller au rêve des systèmes d'information intelligents : "Above all, we should

use our cybernetic understanding of filtration to deploy computers properly as quasi-intelligent machines, instead of using them as giant data-banks of dead information." (Stafford Beer, 1975, p. 430). Beer a par la suite largement récusé ces premières tentatives cybernétiques, à cause du problème du "sens" de l'information, qu'aucun filtre ne saurait résoudre.

formelle véhiculée, quelque soit le support matériel, il se générera toujours une quantité et qualité d’information informelle incontrôlable, laquelle, même en quantité ou de qualité infime, peut véhiculer plus de sens et générer ainsi plus d’impact au sein et entre les organisations. Nous retrouverons ce phénomène de résistance auto-organisationnelle au moment d’introduire la notion d’autopoièse.

II. L’organisation et son environnement : introduction à la notion de “situation”

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