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Chapitre 3 La base de ressources, les stratégies d’interaction et les réponses initiales

I. La base de ressources

A. Introduction

Toute organisation émerge et agit dans une situation de rareté relative de ressources126, c’est-à-dire une situation où, pour atteindre certains objectifs face

aux actions des autres organisations, certains moyens d’action sont disponibles en qualité et/ou quantité limitée et/ou d’accès difficile ou impossible, alors que d’autres au contraire se trouvent disponibles ou d’accès facile.

La rareté de ressources est une notion non seulement auto-référentielle mais de plus, pour un acteur donné, la perception de la valeur d’une ressource et de sa rareté changent perpétuellement selon :

• son appréciation de la situation (c’est-à-dire, sa perception des problèmes confrontés, de sa base de ressources, et des intentions et capacités d’action des autres)

• la nature des horizons temporels ou spatiaux sur lesquels ses calculs sont fondés.

• ses intentions

L’appréciation des ressources et de leur rareté ne constitue pas une donnée invariante. Elle rétro-agit sur les expectatives de l’acteur et sur ses calculs d’autant plus qu’en passant à l’action, l’acteur modifie de nouveau sa base de ressources et transforme l’appréciation qu’il en fait.

La base de ressources d’une organisation ne se limite pas aux ressources financières ou aux ressources ayant une valeur de marché :

“L’homme se découvre subitement gérant d’un patrimoine de ressources simplement utiles qui rares ou non, reproductibles ou non, doivent être convenablement administrées. Il n’y a, peut-on dire sans paradoxe, que des biens économiques.” (René Passet, 1979, p. 96).

126 “Scarcity, we assume, prevails in the sense that the total amount of assets available is smaller than that

De nombreux auteurs ont signalé que mis à part le temps et l’espace (traités dans le précédent chapitre), il existe d’autres ressources rares telles que la culture, les valeurs, l’expérience et la capacité organisationnelle individuelle ou collective, l’autorité127, l’information, la connaissance et le savoir-faire, le pouvoir, les

ressources naturelles et la capacité de discerner et d’articuler ces ressources afin d’avoir une action efficace dans des situations de pouvoir partagé (voir sur ces thèmes entre autres : Beer, 1982 (1966), 1975; Arrow, 1976; Perroux, 1973; Passet, 1979; Mintzberg, 1986; Matus, 1981, 1985, 1987a, 1987b; Benveniste, 1989; Crozier et Friedberg, 1977; Crozier, Huntington, Watanuki, 1975; Bartoli, 1996).

Ces ressources partagent certaines caractéristiques, notamment le fait qu’il y a souvent impossibilité de les reproduire, de les transférer, impossibilité ou difficulté d’acquisition à travers les mécanismes du marché et impossibilité ou non-sens de les exprimer en valeurs monétaires128.

“Ce sont des biens, ce sont des marchandises. Elles ont une valeur économique réelle, pratique; elles accroissent l’efficacité du système, vous permettent de produire plus de biens ou de valeurs, quelles qu’elles soient, que vous tenez en haute estime. Mais ce ne sont pas des marchandises pour lesquelles l’échange sur un marché soit techniquement possible ou même ait un sens.” (Kenneth Arrow, 1976, p. 23).

C’est à partir de la reconnaissance de la spécificité de ces ressources et des investissements qui y sont liés que s’est développée la réflexion sur le phénomène de l’irréversibilité de certains de ces investissements :

“Cet investissement, dans la mesure où il est prisonnier de l’esprit de celui qui le fait, est nécessairement irréversible. Il peut bien entendu être transmis mais l’individu le possède toujours et ne peut l’aliéner, bien que, comme la plupart des investissements irréversibles, il soit soumis à dépréciation. (...) Au cours des vingt dernières années, l’investissement irréversible a donné lieu à quelques développements théoriques. L’irréversibilité n’a pas de conséquence lorsque la

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Dans leur rapport à la Commission trilatérale Crozier et. al. écrivaient : "In the United States, the government is constrained more by the shortage of authority than by the shortage of resources. (...)In Europe, governments seem to be facing shortages of both authority and resources, which is the major reason why the problems concerning the governability of democracy are more urgent in Europe than in the other Trilateral regions." (Michel Crozier, Samuel Huntington, Joji Watanuki, 1975 p.169-1970).

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“A good illustration at the societary level concerns the attempt to find a rational answer to the problem : where should London's third airport be sited? It turned out that "rational" ought to mean "cheapest". Immense research efforts and an elaborate quasi-legal paraphernalia produced an attempt to make a monetary quantification of eudemony. The research tried to place money values on such commodities as a noisy environment and the convenience to travelers of shorter and longer city-airport journeys. I contend that this cannot be done, because eudemony is not single-valued. Secondly I contend that we do not even want to do it, because "cheapest" is not the cynosure of the human condition. Thirdly I contend that the original question should not have been asked. To see why not we must recognize how that question floats from deep inside the third trap- the trap of technology incorrectly managed." (Stafford Beer, 1975, p. 357).

demande future de capital est régulièrement croissante; mais elle est particulièrement importante lorsqu’il y a des fluctuations, notamment des fluctuations aléatoires.” (Kenneth Arrow, 1976, p. 47).

Amitai Etzioni avait ainsi précisé la caractéristique d’irréversibilité dans le cas particulier de “la connaissance” :

“Is knowledge a scarce commodity? One characteristic of knowledge mitigates the effect of its particularly skewed distribution : unlike other products, the output of the knowledge sector is to some extent not subject to the laws of scarcity and of supply and demand. Knowledge is a pattern of symbols, and symbols can be transmitted without being lost. The teacher possesses no less knowledge after he has taught; nor does a book held less information after it has been read. (...) However, knowledge has carriers in the material world which are subject to the laws of scarcity (...)” (Amitai Etzioni, 1968, p. 206).

La base de ressources existe à l’état latent : il faut la percevoir et la mobiliser. La base de ressources, n’est donc pas seulement la base matérielle de la survivance, c’est aussi ce que l’organisation peut et veut percevoir en vue de ses stratégies : bien qu’il y ait certainement des données “objectives”, “tangibles”, la base de ressources est aussi dans la tête des acteurs. Elle ne mène pas une vie indépendante de l’organisation. Elle forme au contraire un prolongement des capacités organisationnelles et des savoir-faire développées au coeur de l’organisation. En effet, pour mobiliser les atouts de base, il faut d’autres ressources : des connaissances, du vouloir-faire, des savoir-faire (savoir distinguer et mobiliser les ressources, avoir et savoir penser le temps et l’espace, savoir d’autre part penser l’organisation et ses stratégies). Mobiliser les savoir- faire et les vouloir-faire implique d’ailleurs de nombreux autres savoir-faire… B. Le patrimoine naturel

Toute organisation interagit avec la nature, mais la perception de la nature et les caractéristiques de ces interactions varient sous l’influence de multiples facteurs tels que les valeurs et la culture (en particulier les symboles associés aux éléments naturels), les savoirs accumulés, les besoins perçus, les finalités recherchées et les stratégies d’interaction avec d’autres organisations ainsi que leurs interactions avec la nature129. La distinction, la classification et l’utilisation

des éléments naturels sont auto-référentielles.

Dans la tradition scientifique occidentale, le patrimoine naturel comprend les éléments non renouvelables (les combustibles fossiles et non fossiles, les minéraux métalliques et non métalliques, les matériaux de carrière); les milieux

129 "Dans la mesure même où elle n'est pas naturelle, l'action collective n'est pas un exercice gratuit. C'est toujours une coalition d'hommes contre la nature en vue de résoudre des problèmes matériels." (Michel Crozier, Erhard Friedberg, 1977, p. 23).

physiques (les sols, les eaux continentales, les eaux marines, l’atmosphère - le climat) et les organismes vivants (les espèces animales, les espèces végétales et les micro-organismes); ces éléments se distribuent dans les écosystèmes humides ou terrestres, ancrés à des espaces définis130. La plupart des écosystèmes ont été

intensément manipulés, d’autres sont préservés d’une manière plus ou moins efficace. Les interactions avec les éléments naturels, par exemple, à travers la manipulation bio-génétique mais aussi, comme c’est le cas en Amazonie Colombienne l’exploitation inadéquate des ressources131, donnent lieu à de

nouveaux problèmes de pilotage, qui impliquent des choix moraux et éthiques pour les différents acteurs impliqués.

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