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Toute action est intentionnelle et implique de ce fait la notion de pilotage

Chapitre 1 La problématique de la gouvernance naît avec l’action

A. Toute action est intentionnelle et implique de ce fait la notion de pilotage

La définition de l’action par Sartre constitue notre point de départ:

“Agir, c’est modifier la figure du monde, c’est disposer des moyens en vue d’une fin, c’est produire un complexe instrumental et organisé tel que, par une série d’enchaînements et de liaisons, la modification apportée à l’un des chaînons amène des modifications dans toute la série et, pour finir, produise un résultat prévu. Mais ce n’est pas encore là ce qui nous importe. Il convient, en effet, de remarquer d’abord qu’une action est par principe intentionnelle. Le fumeur maladroit qui a fait, par mégarde, exploser une poudrière n’a pas agi. Par contre l’ouvrier chargé de dynamiter une carrière et qui a obéi aux ordres donnés a agi lorsqu’il a provoqué l’explosion prévue : il savait, en effet, ce qu’il faisait ou, si l’on préfère, il réalisait intentionnellement un projet conscient. Cela ne signifie pas, certes, qu’on doive prévoir toutes les conséquences de son acte. (...) Mais, s’il doit en être ainsi, nous constatons que l’action implique nécessairement comme sa condition la reconnaissance d’un “desideratum”, c’est-à-dire d’un manque objectif ou encore d’une négatité.” (Jean Paul Sartre, 1943, p. 487-488).

Plusieurs implications dérivent de cette définition. En premier lieu toute activité ni tout mouvement ne constituent une action. En deuxième lieu, pour qu’il y ait action intentionnelle, il faut qu’il y ait des expectatives et les expectatives se génèrent seulement si l’acteur perçoit la possibilité d’ajustements proactifs (Carr, 1948)58. Pour qu’il y ait possibilité d’ajustements proactifs, il faut qu’il y ait choix.

Pour que ce choix se transforme en action intentionnelle, ce choix doit être conscient59, basé sur des informations. L’acte de transformer ces informations en

58 “Hence your search for meaning is now basically a search for an answer to the question, What shall I do

now? In other words, meaning implies expectations, and expectations implies the possibility of anticipatory adjustments." (Lowell Juillard Carr, 1948, p. ).

59 “By decision we mean a conscious choice between two or more alternatives. Not all choices are conscious,

actions constitue le processus de prise de décision60 définie comme la clôture

progressive à l’encontre de tous les autres messages pouvant encore la modifier (Deutsch, 1966)61.

En troisième lieu, la définition proposée implique qu’il faut maintenir une relation plausible entre buts recherchés et la capacité réelle de l’acteur d’intervenir sur un thème donné62. Deutsch précise ainsi la notion de décision :

“Hardening a decision (...) is insignificant in practice if there are no facilities to put it into effect against possible external resistance, or in any case, to put it into effect in such a manner as to make some appreciable difference to the ensemble of outcomes in the environment that would have occurred anyway.” (Karl Deutsch, 1966, p. 110).

60 On peut donc considérer le chef d'entreprise comme un "comparateur", capable de transformer des

informations en actions. Cette transformation, c'est la prise de décision." (Joël de Rosnay, 1975, p. 64). Voir l’analyse de Lucien Sfez sur les raisons pour lesquelles la décision survivra à sa mordante “critique de la décision” (Sfez, 1992, p. 24-27).

61

"Hardening a decision -that is, closing the decision-making system against any further messages by which that decision might possibly be modified- (...)." (Karl Deutsch, 1966, p. 110).

62 C'est dans ce contexte qu'il convient de situer les critiques acerbes de Polanyi sur la planification centrale

des années d'après-guerre. Mais, à vrai dire, si l’on remplaçait la notion de “planification économique

centrale” par celles, contemporaines, de “programme d’ajustement structurel” et “nouveau rôle de l’État”, ces remarques pourraient certainement illustrer les déboires des programmes “ultra-libéraux”

d’intervention prônés par les institutions financières multilatérales dans les années quatre-vingts : "Surely the planet to-day is bristling with governments committed to economic planning and filling fat columns of figures, setting out Four-Year Plans and Five-Year Plans; putting out every now and then hectic reports on the progress made in the execution of these plans. Are these governments not actually doing-and massively achieving in the face of the world- precisely that of which I have so rigorously proved the complete unfeasibility? The confrontation does not embarrass my argument. I still maintain that whatever these governments may be actually doing, the sets of figures which they embody in their elaborate economic plans have little bearing on their achievements. Malinowski has pointed out that the attribution of magical powers to chieftains lends them an authority for leadership, which is indispensable to the society under their dominion. The economic plans of to-day probably have as much practical value for the good government of people who believe in them as had the magical formulae of old; but no more. (...) The columns of figures set out in governmental economic plans express claims to economic powers that are only imaginary. But belief in such powers may be induced by carrying out with great emphasis some fairly extensive economic policies-which cause a certain amount of stress and strain- and pretending that you are thereby putting into effect your economic plan, with all its figures. This procedure follows the common practice of magic ritual. By draping yourself in black cloth, you attract dark clouds and by sprinkling water you make the rain come down. The absence of practical results does not disturb those who believe in magic, and the same holds through for those who believe in economic planning. (...) Take economic life. It is of course true to say that "In 1938 Britain produced X million tons of steel and Y million tons of coal", but only in the sense in which it is correct to say :"This morning Britain shaved 10 million faces and blew 40 million noses". These things happened in Britain because people concerned had reason to do them, not because any comprehensive intention had willed them to do so. They would be represented as so willed in a "planned economy", where the tons of steel and coal to be produced are among the favorite "production targets". Such targets, however, like the plans of which they form part, are little more than pigments of the mind." (Michael Polanyi, 1951, p. 133, 137 et 196).

En quatrième lieu, agir c’est transformer une situation indésirable63 en une

situation désirable64, et c’est cette interprétation de l’action qui forme la base de

l’approche systémique contemporaine :

“Reality is taken to contain “real-world problems”, situations about which we have, in the happy phrase of Miller and Star (1967), not idle but busy curiosity, “busy” signifying a readiness to take action, to change the situation and hopefully to secure improvement. These problems located in reality may then be formulated, by means of systems theory, as problems in the discipline of systems and tackled by means of systems methodology which incorporates systems models and techniques. The

system methodology involves intervention in “reality”, the intervention being a source of case records of systems studies.” (Peter Checkland, 1981, p. 10). En cinquième lieu, les notions d’action et de gouvernance sont intimement liées : l’idée de “pilotage” ou de “gestion” n’a aucun sens s’il n’y a pas d’action ; sans action il n’y a pas de problème de gouvernance (Matus, 1987). Il ne peut y avoir d’action intentionnelle s’il n’y a pas identification préalable de l’information disponible ou réflexion sur la “négatité”, les choix et les finalités.

La question du pilotage, implicite dans la notion de gouverner doit être mise au premier plan et avant tout, même si le pouvoir, constitue une facette essentielle de la problématique de gouvernance 65. Le pilotage c’est toute réflexion qui

précède et préside l’action d’un acteur donné (Matus, 1987), à l’intérieur d’une organisation sociale ou à partir de celle-ci vers son environnement. Dans ce contexte, il est utile de mentionner la différence rappelée par Ulrich, entre la notion de “gestion” (mais on pourrait aussi dire pilotage, gouverner etc.) et la notion de “leadership” : la notion de leadership s’applique au niveau des personnes, tandis que la notion de gestion est plus large et s’utilise au niveau des organisations et de ses processus66.

63 “By “problem” is meant not the puzzle, paradox or conundrum which exercises the philosopher, but

simply any situation in which there is perceived to be a mismatch between "what is" and what might or could or should be." (Peter Checkland, 1981, p. xii). En d'autres mots, ce que Sartre dénommait la "négatité".

64 Voir ainsi une application dans l'un des travaux récents sur la gestion d'environnement : "(...) on peut

appeler gestion intentionnelle l'ensemble des actions ayant ainsi pour but la résolution d'un problème d'environnement donné (...). (Laurent Mermet, 1991, p. 68).

65 "(...) it might be profitable to look upon government somewhat less as a problem of power and somewhat

more as a problem of steering (...)" (Karl Deutsch, 1966, p. xxvii).

66 “Management” and “Leadership”. (…) Leadership denotes in it’s most fundamental meaning “the leadership of people”. When it is used in the context of an organisation, the concept of leadership has only a metaphorical meaning. Thé methafore of leadership, however, does not reflect adequately the complexities implied in leading social systems. The result of using the term leadership when referring to heading a whole organization is that leadership is equated with people in organizations. The term “management” by contrast does not convey such a person oriented meaning. It is organizations that are managed, not people.” (H. Ulrich, 1984, p.30).

Les notions de pilotage et de gestion recouvrent aussi bien la directivité des actions individuelles que la conception et le développement de systèmes finalisés entiers67. Il s’en suit que la capacité de pilotage repose sur la capacité de

discerner, de générer et de mettre en oeuvre les ressources rares en vue des finalités de l’acteur, ainsi que sur la capacité de générer de nouvelles finalités. Dans ce sens et aux fins de notre étude, nous souscrivons l’approche de nombreux auteurs qui consiste à utiliser sans les différencier, les notions de pilotage, de gestion, de maîtrise organisationnelle, de régulation, de gouverner et de planification.

B. Toute action est “intentionnelle”, mais là commence le problème de la

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