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Chapitre 1 La problématique de la gouvernance naît avec l’action

A. La difficulté de la modélisation de l’organisation sociale humaine

Une organisation se perçoit grâce à la représentation ou modélisation qu’en fait un acteur situé à l’extérieur ou à l’intérieur de l’organisation en question83, et qui

se produit à travers l’activité intellectuelle et la pratique (Beer, 1975; Checkland, 1981; Flood et Carson, 1988), exercice périlleux et aux résultats incertains84.

Une organisation physique, vivante ou sociale est un ensemble de composantes caractérisés par des comportements et des interrelations - que l’on peut plus ou moins différencier de leur environnement - perçus et modélisés selon la vision du monde, les idées et l’expérience pratique d’un acteur donné. Les organisations ainsi perçues et modélisées peuvent être caractérisées comme étant plus ou moins ouvertes sur - et dépendantes de - leur environnement.

La représentation et la modélisation d’une organisation peut être codifiée et communiquée à un ensemble d’acteurs à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation. Certaines représentations de l’organisation sont ainsi partagées, intériorisées par les différents acteurs, à tel point que grâce aux différentes pratiques qui unissent les différents intervenants, l’organisation devient “palpable” et se constitue en nouvel acteur. D’autres représentations sont perpétuellement mises en cause, quelques fois même et surtout par les acteurs les plus identifiés à l’organisation.

83 Dans la lignée de raisonnement de Sartre, Arrow (1976) et Ménard (1990) avaient insisté sur ce problème

de méthode : pour aborder les problèmes de l'économie institutionnelle, il faut se situer, soit à l'extérieur soit à l'intérieur de l'organisation.

84 "In this perspective the social scientist would be like the physicist studying atomic particles without

reference to how the particles may feel or how they might view him as a scientist. Concepts, categories of analysis, indicators, hypotheses, and research problems are generated not with reference to the perspective of the objects or social systems being studied but from the "universalistic" theories developed by social science. The logical meaning of terms is deduced from abstract, public "theories" rather than from the world view of the subjects. (...)The notion that there is a considerable gap between the "expert" and the layman, or the subject being studied, is built into the model as is the idea that one can discover truth in a piece of reality without disturbing the whole or without creating the reality observed through the very process of observing it." (L. Vaughn Blankenship, 1971, p. 195-196).

Fréquemment, les interprétations et représentations formelles et amplement codifiées de la structure d’organisation sont en contradiction avec d’autres représentations informelles, non codifiées, mais donnant lieu à une structure informelle tout aussi “réelle” (Stafford Beer, 1979)85.

Une organisation sociale est constituée d’au moins deux acteurs86 qui établissent

des relations d’interaction plus ou moins invariantes et spécifiques, en tout cas de nature telle qu’un acteur-observateur les distingue dans l’espace et dans le temps, par rapport à leur environnement (définition basée sur Zeleny, 1981, p. 5). Une partie de ces interactions se modifie à un rythme négligeable au vu des fins d’observation de l’acteur-observateur : c’est ce l’on appelle la structure87

organisationnelle (voir Karl Deutsch, 1988, p. 55). La structure organisationnelle peut être plus ou moins hiérarchique. Les interactions entre acteurs et organisations conforment des réseaux, régis par des systèmes de régulation spécifiques, sur lesquels nous reviendrons au cours de ce travail.

Les interactions entre acteurs, dont les modifications ne peuvent être négligées au vu des fins de l’observation, forment des processus (Karl Deutsch, 1988, p. 55), ou stratégies d’action.

L’organisation, ce sont des acteurs, leurs stratégies et une structure d’interactions, qui permet de les différencier par rapport à un environnement. Les interactions sont multiples, et peuvent être de nature physique ou symbolique (communicationnelle). Dans tous les cas, i l s’agit d’interactions informationnelles, sur lesquelles nous reviendrons par la suite.

Chaque organisation possède au moins deux centres de décision. A chaque centre de décision correspond au moins un acteur (une personne ou un ensemble88 de

85 Les actions liées à l'observation des organisations, leur modélisation et la codification de ces

représentations dans les signes, le langage, les symboles et la logique, conduisent à des problèmes d'ordre théorique amplement traités dans la littérature (en particulier le problème de l'enchevêtrement des logiques), sur lesquels nous ne nous étendrons pas. Nous ferons seulement référence à ces thèmes dans la mesure où ils permettront de cerner des aspects particuliers de la problématique de la gouvernance.

86 Probablement, en particulier du point de vue de la psychanalyse, on pourrait avancer qu'une organisation

humaine pourrait être constituée d'au moins un acteur : un acteur peut avoir plusieurs personnalités. D'autre part, l'une des caractéristiques de l'être humain est d'être capable de réfléchir non seulement sur son environnement (la nature et les autres), mais aussi sur lui-même.

87 “Structures may persist for a long time because of their internal characteristics, or because of some

structure-maintaining processes. Thus sand dunes are maintained by the wind, buildings by repairs, organizations by recruitment.” (Karl Deutsch, 1988, p. 55).

88 La définition de l'acteur dépend des fins de la recherche et du niveau d'analyse. Au niveau de la famille ou

de l'entreprise, chaque individu peut être un acteur. Au niveau d'analyse du General Agreement on Trade and Tariffs (GATT), les acteurs seront les grands groupements de producteurs, les gouvernements des pays concernés ou les blocs commerciaux, c'est à dire les plus petits centres de décision encore pertinents aux fins de l’analyse.

personnes qui agit). Chaque individu constitue potentiellement un centre de décision (Beer, 1972). L’organisation à au moins un niveau d’organisation. Les niveaux d’organisation ne sont pas nécessairement des niveaux hiérarchiques : ils devraient être interprétés comme des niveaux de décision plus ou moins complexes, souvent enchevêtrés (Beer, 1975; Laborit, 1974, p.118; Passet, 1979; Matteaccioli, 1988; entretien avec Jean-Pierre Dupuy par Pessis-Pasternak, 1991, p. 109)89.

En utilisant l’approche des niveaux de modélisation élaborée par Jean Louis Lemoigne (1990), la nature des organisations se décrit de la manière suivante, en allant du niveau d’organisation le plus simple au niveau d’organisation le plus complexe : les organisations peuvent être identifiables, actives (elles ont une volonté d’action et disposent de ressources qui permettent leur mise en oeuvre), régulées, s’informent sur - et décident de - leur propre comportement, ont une mémoire, coordonnent leurs décisions d’actions, imaginent et conçoivent de nouvelles décisions possibles, se finalisent (Jean-Louis Lemoigne, 1990, p. 58). Au cours des chapitres qui suivent, nous traiterons plus en détail l’étude de deux propriétés spécifiques des organisations sociales humaines : la réflexivité90 et

l’autopoièse. Ces deux notions supposent la possibilité d’établir une différence entre l’organisation et ses “entours”.

B. Les organisations naissent en se différenciant de leur environnement

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