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Chapitre 3 La base de ressources, les stratégies d’interaction et les réponses initiales

D. Connaissance savoirs pouvoir

Les connaissances et l’information représentent des ressources d’importance stratégique, dont la valeur surpasse souvent celle des ressources financières (J.A de Bruijn, E.F. ten Heuvelhof, 1991, p. 163 et 147). L’un des leitmotiv des travaux de Yves Lacoste est précisément son insistance sur l’importance de certains savoirs spécifiques (tel que le raisonnement géographique) aux fins de l’exercice du pouvoir141. Dominique Genelot rappelle à juste titre la différence entre la

connaissance (ou savoirs organisés) et la compétence (la capacité à mettre en oeuvre des connaissances ou des savoir-faire pour maîtriser une situation professionnelle donnée ou “savoir faire opérationnel, validé, utile, utilisable, utilisé” - Dominique Genelot, 1992, p. 210).

Ilchman, Rising Expectations and the Revolution in Development Administration, Public Administration Review (December, 1966), p. 317, cité par Crowther et Flores, 1970, p. 5).

139 Voir sur ce thème les réflexions extrêmement pertinentes de Paul Ladrière et Claude Gruson (1992, p.21-

39) sur “la question éthique” et sa relation avec l’économie et la gouvernabilité.

140 C’est-à-dire de l’une des “structures lourdes” au sens donné par Paul Ladrière et Claude Gruson : “Les

structures lourdes sont des éléments de natures diverses - matérielle, organisationnelle, culturelle - dont la création, l’adaptation, la suppression, ne sont réalisables que dans des délais longs, le plus souvent à coût élevé, et qui sont très difficiles, voire impossibles à modifier une fois qu’ils ont pris forme. “ (1992, p. 114).

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“Car la géographie sert d'abord à faire la guerre.(...) La géographie est d'abord un savoir stratégique étroitement lié à l'ensemble de pratiques politiques et militaires, et ce sont ces pratiques qui exigent le rassemblement articulé de renseignements extrêmement variés, au premier abord hétéroclites, dont on ne peut comprendre la raison d'être et l'importance, si l'on se cantonne au bien fondé des découpages du Savoir pour le Savoir. Ce sont ces pratiques stratégiques qui font que la géographie est nécessaire, au premier chef, à ceux qui sont les maîtres de l'appareil de l’État. S'agit-il vraiment d'une science ? Au fond, peu importe : la question n'est pas essentielle, dés lors que l'on prend conscience que l'articulation de connaissances relatives à l'espace qu'est la géographie est un savoir stratégique, un pouvoir." (Yves Lacoste, 1985, p. 10-11).

Or, ces connaissances, savoir-faire et compétences sont développés, répartis et accumulés de manière inégale entre les différents acteurs142, lesquels occupent

des positions inégales au sein des structures lourdes. Ces inégalités143 contribuent

à la persistance et la variété des jeux de pouvoir.

Le pouvoir constitue une ressource bien particulière. Les acteurs maintiennent leur autonomie par l’action. L’environnement de l’acteur est constitué d’autres organisations sociales et de la nature. Ces autres acteurs agissent et réagissent, selon leurs propres stratégies. Si l’acteur veut mettre en oeuvre sa stratégie ou simplement préserver son existence comme acteur, il devra générer et appliquer du pouvoir :

“The realization of most societal goals, even in situations in which the actor’s commitment and knowledge are considerable, requires the application of power. That is, under most circumstances, societal goals and decisions not supported by at least some degree of some kind of power will not be implemented. Hence, powerless actors are passive actors. The assumption which underlies these statements is that the realization of a societal goal requires introducing a change into societal relations, either in the societal environment or among the member units, and, as a rule, attempts to introduce changes (as distinct from changes that occur “anyhow”, which do not constitute the realization of a goal), encounter some resistance. Unless this resistance is reduced, a course of action set will not be a course of action followed. Power is a capacity to overcome part or all of the

resistance, to introduce changes in the face of opposition (this includes

sustaining a course of action or preserving a status quo that would otherwise have been discontinued or altered). Power is always relational and relative. An actor by himself is not powerful or weak; he may be powerful in relation to some actors in regard to some matters and weak in relation to other actors on other matters.” (Amitai Etzioni, 1968, p. 314).

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“Dans un Etat, plus le système politique est devenu complexe, plus les formes de pouvoir se sont diversifiées, et plus s'enchevêtrent les limites des circonscriptions administratives, électorales et les contours, plus ou moins flous et discrets, de multiples formes d'organisation qui ont un rôle politique ; par exemple, le rôle de tel réseau bancaire dans telle région, les "chasses gardées", les zones où s'exerce de façon plus ou moins occulte telle influence hégémonique, l'extension "spatiale" de telle "clientèle", etc. (...) Pour se reconnaître facilement dans cet enchevêtrement pour une bonne part formé de renseignements confidentiels, pour être en mesure de les utiliser avec efficacité, point n'est besoin d'être génial ; il faut surtout faire partie du groupe au pouvoir et avoir le soutien des classes dominantes." (Yves Lacoste, 1985, p. 34-35)."

143 "Du fait de leur situation sociale, les acteurs n'ont pas les mêmes "capacités stratégiques" Comme d'ailleurs

une même ressource n'augmente pas de la même façon les "capacités stratégiques" des acteurs. Là comme ailleurs, il existe des processus cumulatifs qui permettent à certains d'utiliser comme ressource ce qui à d'autres n'apportera rien. Là comme ailleurs, on "prête plus facilement aux riches". Bien plus, une même ressource "objective" sera perçue et effectivement mobilisée par certains acteurs, alors qu'elle ne pourra être utilisée par d'autres.(p.76)…..Toutes les ressources à la disposition d'un acteur ne sont en effet ni également

pertinentes ni également mobilisables au sein d'une organisation donnée." (Michel Crozier, Erhard

Plusieurs difficultés méthodologiques sont liées à la notion de pouvoir :

“The main methodological objection to the use of the concept of power is that power can be assessed only post-hoc; we know that x has power only after he overcomes the resistance of y, and whether or not he can do so - it is said - is unknown until after he has done it. Such post hoc analysis has no predictive value. To avoid this difficulty, let us use “power” not for a single exercise of it on a single issue over a single subject at one point of time, but rather to refer to a generalized capacity of an actor, in his relations with other actors, to reduce resistance to the course of action he prefers in a given field (i.e. the “presence” of other actors) about a set of matters over a period of time.” (Amitai Etzioni, 1968, p. 314).

D’autre part, la notion de pouvoir est vague, mais :

“Pour vague qu’elle soit, une telle formulation a l’avantage de ne pas préjuger d’une théorie sur l’essence du pouvoir, de s’appliquer également à toute forme de pouvoir et surtout de diriger l’attention sur ce qui constitue à nos yeux l’essentiel : le caractère relationnel du pouvoir. En effet, agir sur autrui, c’est entrer en relation avec lui; et c’est donc dans cette relation que se développe le pouvoir d’une personne A sur une personne B. Le pouvoir est une relation, et non pas un

attribut des acteurs.” (Michel Crozier, Erhard Friedberg, 1977, 65).

C’est à partir de cette définition du caractère relationnel du pouvoir que l’on peut percevoir les multiples enjeux spécifiques autour de chaque action144. De plus les

sources du pouvoir sont multiples (Etzioni, 1968; Matus, 1992). La relativité du pouvoir ajoute à la difficulté d’appréciation. Comme il n’est pas toujours possible d’apprécier correctement toutes les données 145, aucun acteur n’est à l’abri de

crises internes ou externes de pilotage146. L’une des sources du pouvoir est

certainement la capacité de savoir percevoir et utiliser une variété de ressources en vue d’obtenir ses objectifs147. Le pouvoir constitue donc bien une ressource

144

"(...) chaque action constitue un enjeu spécifique autour duquel se greffe une relation de pouvoir particulière." (Michel Crozier, Erhard Friedberg, 1977, p. 68).

145

"The sources of power are many and varied and include such intangible elements as the capacity of a societal unit to mobilize the loyalties of the membership and the efficacy of its organization and elites. Therefore, it is usually difficult for even a detached observer to assess accurately the power of various actors, and when the assessor is himself an actor in the field, the reasons for misjudgment multiply." (Amitai Etzioni, 1968, p. 319).

146 "Since power is always relational, changes in the balance of force can be effected through shifts in both

capacities and / or vulnerabilities. And since no social force, institutional order or social system is self- sufficient, each is vulnerable to at least some forms of internal crisis, external failures or mode of attack. It is this combination of capacities and vulnerabilities to which the concept of strategic selectivity orientates us." (Bob Jessop, 1990, p. 358).

147

Crozier et Friedberg développent l’idée avancée par Etzioni : "Quelle est la source, quels sont les fondements du pouvoir? La réponse à cette question semble aller de soi : ce sont tout naturellement les atouts, les ressources et les forces de chacune des parties en présence, bref, leur puissance respective qui détermineront le résultat d'une relation de pouvoir. Mais encore convient-il de préciser davantage ce qu'on

particulière : Etzioni signale d’une part la différence entre le pouvoir et d’autres ressources (qu’il désigne comme étant des “atouts”).

“All of this is possible once the distinction between assets and power is recognized. Assets are possessions of an actor which may be converted into power but are not necessarily so used; hence, there is a systematic difference between the assets of an actor, which may be viewed as a power base or potential, and his actual capacity to reduce the resistance of others, which is the power actually generated.” (Amitai Etzioni, 1968, p. 315).

D’autre part :

“Like energy, power is directly observable only when used. The power of a unit can be predicted by studying its assets, its total structure, and its past performances in this regard. But like the world of physical energy, there is no gain-for-nothing, for power has a cost; assets used to generate it are no longer available to the particular sector. If the asset base is not replenished, the probability of compliance will decline.” (Amity Etzioni, 1968, p. 316)148.

II. De la complexité à la stratégie, vers la complexité…

A. Les jeux de pouvoir comme générateurs d’incertitude et de conflit :

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