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Chapitre 3 La base de ressources, les stratégies d’interaction et les réponses initiales

D. Les tentations d’une nouvelle technocratie spécialisée dans la gestion en milieu complexe

I. Commande et autonomie : deux modes primordiaux de régulation

Les notions d’autonomie et de commande ont été depuis longtemps l’objet de nombreux écrits, notamment dans la philosophie et les sciences politiques. Elles furent formalisées et opérationalisées dans le cadre des études de la cybernétique, puis largement diffusées dans diverses disciplines, entre autres par le biais de la théorie des systèmes, puis grâce au développement de la théorie de l’autopoièse.

“Autonomie signifie loi propre. Afin de bien comprendre ce concept, il est préférable de le comparer à l’allonomie ou loi externe, qui est comme l’image de l’autonomie réfléchie dans un miroir. C’est bien là, bien sûr, ce que nous nommons la commande. Ces deux thèmes, l’autonomie et la commande, se livrent une danse incessante. L’une représente la génération, l’affirmation de sa propre identité, la régulation interne, la définition de l’intérieur. L’autre représente la consommation, les systèmes à entrées/sorties, l’affirmation de l’identité de l’autre, la définition par l’extérieur. Leur jeu recouvre un vaste éventail de domaines, de la génétique à la psychothérapie.” (Francisco Varela, 1989, p. 7).

La commande est un concept standard qui se réfère à la relation prouvée entre un stimulus (par exemple un ordre) et une réaction (la mise à exécution). Dans le cas de la Colombie amazonienne c’est le mode de régulation le mieux connu par l’Etat. Mais :

“L’autonomie est moins à la mode. On considère généralement que c’est un terme vague et un peu moralisant, on refuse d’en parler sous prétexte que c’est une question sans réponse.” (Francisco Varela, 1989, p. 8)

De fait, au cours de la période étudiée, les autorités colombiennes ont souvent eu des difficultés a appréhender la notion de régulation autonome (surtout dans sa dimension politique et sociale), puisque la régulation autonome a été interprétée par certains acteurs publics comme étant une forme de gestion qui va contre le gouvernement (quand ce n’est contre la constitution). La définition de Cornélius Castoriadis précise la notion d’autonomie dans le cas des organisations sociales :

“Le terme autonomie a été utilisé depuis très longtemps - et à nouveau, par moi depuis 1949 - pour désigner dans le domaine humain, un état de choses radicalement différent : brièvement parlant, l’état où “quelqu’un”- sujet singulier ou collectivité - est auteur de sa propre loi explicitement et, tant que faire se peut,

L’idée d’autonomie n’implique pas la fermeture à l’extérieure195. L’autonomie

caractérise les systèmes qui suivent leur propre loi tout en maintenant des relations avec leur environnement196.

“(...) la notion d’autonomie ne peut être conçue qu’en relation avec l’idée de dépendance, et ce paradoxe fondamental est invisible à toutes les visions dissociatrices pour qui il y a antinomie absolue entre dépendance et indépendance. C’est cette pensée clef d’autonomie / dépendance que la réalité nous oblige à concevoir. Et du reste, plus un système développera sa complexité, plus il pourra développer son autonomie, plus il aura des dépendances multiples. Nous mêmes nous construisons notre autonomie psychologique, individuelle, personnelle, à travers les dépendances que nous avons subies qui sont celles de la famille, la dure dépendance au sein de l’école, les dépendances au sein de l’Université. Toute vie humaine autonome est un tissu de dépendances incroyables.” (Edgar Morin, 1983, p. 320, voir aussi Edgar Morin, 1990b, p. 46 )

On parle beaucoup d’auto, mais la notion d’autonomie implique déjà trois éléments. D’une part, la notion d’autonomie implique la possibilité de différencier un système de son environnement :

“La nécessité du nombre deux est la première idée importante de cette citation. Avant de parler d’auto-organisation, il faut déjà supposer une certaine différence entre une unité (ou un système) et son milieu (ou son environnement si vous préférez), un peu comme dans une relation figure/fond.” (Francisco Varela, 1989, p. 190)

De plus il faut au moins un observateur pour percevoir le phénomène d’auto- organisation :

“Or, lors du grand colloque intitulé “Les principes de l’auto-organisation”, qui était censé (en 1959) élucider cette nouvelle problématique, les participants n’en crurent pas leurs oreilles : j’avais osé soutenir qu’il n’y avait pas de systèmes auto- organisateurs “isolés”, puisqu’un environnement était nécessaire pour que ceux-ci puissent exister, et qu’il fallait surtout qu’un observateur puisse constater que l’auto-organisation avait eu lieu!”. (Heinz von Foerster - entretien avec -, Guitta Pessis-Pasternak, 1991, p. 202)

Le thème de l’autonomie avait été développé et appliqué par les cybernéticiens classiques (la découverte des “automates” dans le contexte de systèmes artificiels physiques). Les cybernéticiens critiques (c’est-à-dire ceux qui ont adapté les

195 Il ne peut y avoir de système autonome totalement coupé de l‘extérieur. S’il est totalement coupé de

l’extérieur, Il ne pourrait percevoir soit même ce phénomène de fermeture, puisque s’il est coupé de l’extérieur, l’extérieur ne peut se concevoir, et il n’y a ni fermeture, ni ouverture. Un système totalement fermé est un système inconcevable…

196 "(...) un système ouvert est un système qui peut nourrir son autonomie mais à travers la dépendance à

propositions cybernétiques initiales au contexte des organisations “du vivant” puis au contexte des organisations sociales “conscientes”) ont ensuite repris et transformé le concept. Ainsi, Karl Deutsch avait posé le problème spécifique de l’auto-pilotage organisationnel dans le contexte de l’autonomie (Karl Deutsch, 1966, p. 204). De même, Stafford Beer introduit la réflexion sur l’existence et l’importance de préserver les processus autonomes au sein des organisations, en particulier au sein des entreprises197.

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